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ballet Höhenrausch — Le Theater-am-Gärtnerplatz danse l’ivresse fleurie des sommets

ballet Höhenrausch — Le Theater-am-Gärtnerplatz danse l’ivresse fleurie des sommets

vendredi 2 juin 2023
Joel Distefano et Hikaru Osakabe Crédit photographique © Marie-Laure Briane  

 

Le Theater-am-Gärtnerplatz porte actuellement à la scène le nouveau ballet du chorégraphe autrichien Georg Reischel, un ballet produit dans le cadre du Festival munichois Power Flower, dont nous avons déjà évoqué l’exposition Flowers forever que l’on peut visiter à la Kunsthalle. Danseurs et danseuses, tous sexes confondus, arborent fièrement de beaux dirndls* abondamment fleuris en début de ballet.

Höhenrausch (L’ivresse des sommets)

Le spectacle naturel des Alpes et la vue des montagnes développent une force qui influence et façonne les hommes depuis la nuit des temps. C’est ainsi que sont nées des traditions, des coutumes et des habitudes typiques de la région alpine. Mais si l’on monte en altitude sans aucune précaution, la diminution de la pression atmosphérique peut provoquer le mal des montagnes, la confusion et l’illusion des sens. Nous vivons aujourd’hui dans une société marquée par la recherche du succès et de la performance et par un fort individualisme. L’ Ivresse des sommets ” (Höhenrausch) devient ainsi le symbole de notre société qui veut souvent aller trop haut, trop vite.

Dans sa chorégraphie, le salzbourgeois Georg Reischl revient thématiquement à son pays natal et montre que nous avons besoin de retrouver les anciennes traditions pour pouvoir emprunter de nouvelles voies : ” Les coutumes du pays de Salzbourg, qui sont curieuses et uniques à la région, m’ont inspiré pour créer une chorégraphie qui rassemble ce qui ne va pas forcément bien ensemble, à savoir la culture traditionnelle alpine et la danse contemporaine “. Sur la Symphonie n° 4 en mi bémol majeur, que le compositeur autrichien Anton Bruckner dénomma lui-même La Romantique, point culminant de la symphonie romantique tardive, le chorégraphe définit un vocabulaire de mouvement contemporain qui ne renie pas sa relation avec la danse classique, afin de faire en sorte que la musique soit visible à travers le corps. Il définit sa chorégraphie comme un ballet alpestre : les Alpes et le ballet, deux catégories que l’on n’associe généralement pas. Georg Reischl se souvient de son enfance au cours de laquelle l’envie de danser dans un ballet lui était venue, un désir étranger aux traditions locales. Aujourd’hui il tente de trouver un mode d’expression qui parvienne à réunir l’inconciliable et qui opère de façon associative et suggestive, sans pour autant vouloir raconter une histoire. La symphonie de Bruckner, dont la première version date de 1874, se compose de quatre mouvements qui évoquent l’atmosphère des forêts et des montagnes de son pays natal.

La chorégraphie comporte quatre parties au cours desquelles sont présentées diverses traditions et coutumes des régions alpestres autrichiennes : la première commence dans un décor de carte postale qui évolue vers une dimension scénique tridimensionnelle, la deuxième s’inspire d’une forme de sport de lutte typique de ces régions, le “Ranggeln” ** qui est ici mis en scène avec une touche artistique, une interprétation de Georg Reisch qui est originaire de la région où ce sport est pratiqué, la troisième est introduite par le fracas des cloches qui annoncent l’arrivée des Krampus***, la dernière partie nous présente les nouveaux développements du monde contemporain dans lequel l’individu peine à trouver sa place.

Les décors et les costumes suivent cette progression. Dans la première partie, une toile transparente d’avant-scène reçoit l’impression d’une carte postale présentant les clichés du tourisme traditionnel : un joli village dans une vallée encastrée dans un décor de montagnes. À l’arrière de la scène, deux grands panneaux découpés présentent des décors de montagnes en duplication symétrique inversée. Danseurs et danseuses portent le même costume aux jupes plissées avec des devants abondamment fleuris et des justaucorps brodés de fleurs. Contrairement à la tradition qui exigeait une stricte séparation et différenciation du masculin et du féminin, les sexes ne sont pas différenciés par les costumes. La toile d’avant-scène a disparu pour les luttes soft du Ranggeln qui se déroulent devant les panneaux symétriques à décor de montagnes avec en leur centre une énorme sculpture de paille fleurie, figurant la fête des moissons. Lutteurs et lutteuses sont habillés de maillots fuchsia. Dans la troisième partie, les panneaux sont placés de part et d’autre de la scène tout entière occupée par la danse des Krampus dont les costumes n’ont plus rien à voir avec la représentation traditionnelle des monstres mi-chèvres mi-démons : ils sont masqués, revêtus de longs manteaux noirs faits d’une abondance de longues languettes de tissu noir aux reflets métallisés qui voltigent en tous sens, et portent des perruques noirs avec de part et d’autre de la face deux longues touffes de cheveux jaune fluo. Dans la quatrième partie, les panneaux aux décors de montagnes ont été retournés, on n’en voit plus que l’armature sur laquelle viennent se jucher quelques danseuses et danseurs. La troupe est vêtue de pantalons et de t-shirt gris sombre. Comme dans la première partie, le vestimentaire des sexes est à nouveau indifférencié, mais toute couleur a disparu.

Tel est le concept présenté par le programme qu’il est utile de parcourir avant la représentation pour saisir les intentions du chorégraphe, qui nous ont paru difficilement décodable sans le secours d’explications. Le travail des interprètes nous a davantage semblé se baser sur l’expression corporelle que sur la danse avec la théâtralisation d’un monde qui au cours de la soirée bascule progressivement vers une aliénation collective : les visages se tordent, les bouches sont distendues, ouvertes à se décrocher la mâchoire, les yeux exorbités ; le travail des bras et des mains montre des figures complexes souvent distordues ; la danse et les jeux de jambes sont relativement peu présents et même lorsque les Krampus se lancent dans des mouvements endiablés, ils ne sont pas perceptibles car ils sont noyés par l’agitation des languettes de tissus des costumes. Le monde contemporain extrêmement terne de la quatrième partie semble avoir perdu ses repères et ses racines.

Les quatre séquences sont interrompues par des intermèdes plutôt pesants qui semblent s’éterniser en longueur : un des danseurs s’amuse à faire résonner l’écho des montagnes, deux des lutteurs se disputent sur le chemin à prendre et finissent par perdre le sens de l’orientation, des cloches montagnardes aux sons discordants annoncent l’arrivée des Krampus… Ces intermèdes n’apportent pas grand chose au propos et nuisent à la partie musicale de la soirée : l’homogénéité et le fil du propos symphonique sont mis à mal par ces interruptions. Absent de la représentation scénique, le romantisme médiéval voulu par Bruckner n’a pu être rendu par l’orchestre que le chef a mené à la baguette, tambour battant, comme pour une marche militaire triomphale et tonitruante. On était loin de l’évocation charmante d’une ville moyenâgeuse, de l’épopée de chevaliers se lançant au-dehors sur de fiers chevaux, des affres de l’amour repoussé ou de la danse pour un repas de chasse exprimées par les annotations du compositeur. 

Une soirée promettant l’ivresse des sommets qui pourrait bien donner la gueule de bois.

Luc-Henri ROGER
2/06/2023

* Le Dirndl désigne le costume tyrolien traditionnellement porté par les dames.

**Ranggeln, Ranggln, désigne un sous-type de sport de lutte qui a une longue tradition dans les Alpes orientales. L’objectif d’un combat est d’amener l’adversaire au sol avec les deux omoplates à l’aide de différentes prises et portées au cours d’un temps limité à six minutes, afin de remporter le combat et d’accéder au tour suivant. Si le temps de combat de six minutes s’est écoulé sans qu’il y ait de vainqueur, le combat est considéré comme un match nul, ce qui élimine normalement les deux participants.
Le vainqueur d’une épreuve obtient le titre de hogmoar (également appelé hagmoar)[1], terme qui vient de hag (haie, limite de propriété) et de meier (intendant) et qui désignait autrefois une ancienne fonction des paysans libres en ce qui concerne la juridiction en matière de propriété.

*** Le Krampus est une créature mythique anthropomorphe terrifiante, munie de cornes, fréquemment décrite comme mi-chèvre, mi-démon et notamment présente dans le folklore des Alpes bavaroises et tyroliennes. Il a pour rôle, à l’époque de Noël, de punir les enfants qui se sont mal conduits. Il est fréquemment associé à saint Nicolas lors de la fête homonyme, qui, lui, récompense les enfants avec des cadeaux. Brutal, incontrôlé, omniprésent et, du point de vue des enfants, très dangereux et effrayant. Il demande aux enfants s’ils ont été sages. Si ce n’est pas le cas, le Krampus viendra vous chercher ! Aujourd’hui, une course annuelle de Krampus est organisée dans diverses régions. C’est le cas dans la région de Salzbourg ou à Munich. Mais le Krampus du 21ème siècle ne fait plus peur à personne et ces courses attirent surtout des foules de touristes.

Distribution

Direction d’orchestre Michael Brandstätter
Chorégraphie Georg Reischl
Décors Michael Lindner
Costumes Min Li
Lumière Kai Luczak
Dramaturgie András Borbély T.
Assistance chorégraphique Filippo Buonamassa
Danseurs et danseuses Alexander Hille, Matthew Perko, Jana Baldovino, Mikaël Champs, Joel Distefano, Douglas Evangelista, Willer Gonçalves Rocha, Marta Jaén Garcia, Mikayla Lambert, Amelie Lambrichts, Yunju Lee, Elisabet Morera Nadal, Hikaru Osakabe, Roberta Pisu, Alexander Quetell, Luca Seixas, David Valencia, Emily Yetta Wohl, Chia-Fen Yeh
Ballet du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Prochaines représentations les 4, 9 et 11 juin et les 11 et 12 juillet 2023

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