42nd Street (42e Rue) avait déjà été représenté au Théâtre du Châtelet à Paris en 2016 dans une production nouvelle. Il devait être repris pour la fin d’année 2020 mais a été reporté à cause de l’épidémie de Covid.
Cette comédie musicale est inspirée d’un roman de Bradford Ropes (1932) et également d’un film emblématique du « backstage musical » réalisé par Llyod Bacon en 1933 et chorégraphié par Busby Berkeley. La comédie musicale dont le livret est de Michael Stewart et Mark Bramble, les lyrics d’Al Dubin et la musique d’Harry Warren a été créée au Winter Garden Theatre de New York le 25 août 1980 (1) produite par David Merrick et mise en scène et chorégraphiée par Gowen Champion.
L’action se déroule à New York en 1933 où l’on ne se relève que depuis peu des conséquences du krach financier de Wall Street de 1929 et de la grave crise économique qui a entraîné la faillite de nombre de théâtres. Julian Marsh, un producteur d’un certain âge, tente de se refaire et essaie de retrouver une place significative en misant sur une nouvelle comédie musicale Pretty Lady.
La vedette de cette revue sera Dorothy Brock qui n’est plus remontée sur les planches depuis 10 ans, mais son amant, le riche Abner Dillon, est disposé à investir une somme colossale si sa maîtresse tient le premier rôle. Une jeune et jolie fille, Peggy Sawyer, arrive trop tard à l’audition et ne peut être intégrée dans la troupe. Toutefois une interprète vient à manquer et Julian Marsh l’engage comme doublure. Les affaires se compliquent car Dorothy Brock entretient une liaison avec Pat Denning son ancien partenaire de scène. Pour éviter tous problèmes avec son riche mécène Julian Marsh fait en sorte de l’éloigner.
Mais les ennuis ne sont pas terminés pour autant car lors de la première de Pretty Lady à Philadelphie, Peggy bouscule par mégarde Dorothy et la blesse involontairement. Peggy est immédiatement renvoyée de la troupe. Mais il s’avère que Dorothy s’est cassée la cheville et ne pourra assurer son rôle dans la revue. Tout le monde s’accorde pour la remplacer par Peggy mais celle-ci est déjà à la gare pour prendre son train. C’est elle qui va devoir sauver le spectacle. On la rattrape et on la convainc de remplacer Dorothy. Il ne reste que 36 heures pour monter Pretty Lady avant la première à New York. Peggy est soumise à un régime de répétitions exténuantes. Une demi-heure avant le spectacle, Dorothy vient voir Peggy dans sa loge, explique à la jeune fille qu’elle est admirative de son talent et lui donne d’ultimes conseils avant d’entrer en scène. Le show est un énorme succès et en l’espace d’un soir, Peggy devient une star. Resté seul sur scène, Julian Marsh savoure son triomphe.
42nd Street est l’une des plus remarquables comédies musicales parce que cette œuvre, qui est un modèle de show sur le thème du théâtre dans le théâtre, propose au public d’assister aux diverses répétitions puis d’admirer la revue enfin achevée. Se déroulent en conséquence un certain nombre de séquences chantées mais aussi de numéros de danse et de claquettes. Au tout début, le rideau ne se lève que de soixante centimètres environ, laissant apparaître le bas des jambes des danseurs-chanteurs dans un numéro éblouissant de claquettes à couper le souffle. Ils sont en l’occurrence 30 sur scène qui exécutent cette séquence époustouflante et il en sera ainsi de même tout au long de la représentation où de fastueux tableaux se succèdent à un rythme trépidant dans des décors impressionnants aussi somptueux que ceux d’un final dans un grand cabaret (décors et costumes : Peter McKintosh, lumières : Chris Davey). Il va de soi, que la technique de ces danseurs et danseuses (mais qui chantent également selon la tradition bien établie des « musicals ») est stupéfiante. Rien d’étonnant toutefois à cela car nous sommes dans la grande tradition anglo-américaine et avec des interprètes d’outre-Manche et d’outre-Atlantique. Il y a là une énergie, un dynamisme, une vigueur, une joie de jouer, un charme, que l’on ne retrouve que dans les comédies musicales à Londres et à Broadway et qui n’y est jamais allé ne peut se faire une idée de ce qu’est l’extrême virtuosité en cette matière (sauf évidement à voir les grands films de l’âge d’or d’Hollywood).
La mise en scène et la chorégraphie sont ici signées par Stephen Mear (récompensé avec Matthew Bourne par le Laurence Olivier Award de la meilleure chorégraphie pour Mary Poppins. Il a été également distingué pour Gypsy, Kiss Me Kate, Crazy for You, Sweet Charity, Sinatra, Soul Train). Mear a également chorégraphié Singin’ in the Rain au Châtelet à Paris en 2015 (dans la mise en scène de Robert Carsen) Sunset Boulevard à Londres (2016) et à Broadway (2017), avec Glenn Close. En reconnaissance de ses réalisations il a été nommé Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique.
La baguette a été confiée à Gareth Valentine compositeur, arrangeur, chef d’orchestre qui, parmi un nombre impressionnant de « musicals », a notamment dirigé Cats, Miss Saigon, Cabaret, Chicago, Into the Woods, Nine, Oliver, Follies, Company, Anything Goes, The King and I, Wicked, Camelot et Singin’ in the Rain au Châtelet à Paris en 2015.
L’orchestre est essentiellement composé pour la circonstance par des instruments d’harmonie au rang desquels des bois, des vents, des percussions, contrebasse, mais aussi harpe, guitare, banjo, piano.
Avec des professionnels d’une telle envergure on ne pouvait qu’imaginer une représentation très haut de gamme. Ce que l’on a vu et entendu dépasse largement nos espoirs. C’est un sommet. Un « spectacle-culte » avec une distribution en tous points idéale à la hauteur des exigences théâtrale, vocale et chorégraphique de l’œuvre.
Alex Hanson (Julian Marsh) charismatique et élégant, Emily Langham (Peggy Saywer) fraîche, émouvante et danseuse virtuose, Jack North (Billy Lawlor) doté d’une fort jolie voix, Rachel Stanley qui cabotine à bon escient en Dorothy Brock, Annette McLaughlin qui brûle les planches en Maggie Jones.
On songeait en voyant 42nd Street, au rayonnement du Théâtre du Châtelet depuis les années 1930 jusqu’à la fin des années soixante. Les opérettes à grand spectacle y étaient en permanence à l’affiche avec une débauche de moyens qu’on ne peut plus voir aujourd’hui dans pareilles œuvres. Beaucoup plus tard, Paris n’a pas pu échapper à l’attraction de la comédie musicale et il a été monté sur cette scène nombre de remarquables chefs-d’œuvre mythiques de ce répertoire. En s’émerveillant sur cette représentation de 42nd Street, longuement ovationnée par un public debout véritablement en délire, on se plaisait à imaginer que l’un des plus fabuleux théâtres de Paris, à l’instar d’autres capitales, puisse à nouveau consacrer une très large place à la comédie musicale genre particulièrement fascinant, unanimement apprécié et réjouissant dont l’intérêt et la vocation sont d’apporter en ces temps difficiles, la joie et le bonheur au cœur des spectateurs.
Christian Jarniat
Le 11 décembre 2022
(1) Près de 50 ans se sont écoulés, il est vrai entre le film 42nd Street et la comédie musicale sur les planches de Broadway. Mais ce n’est pas l’exemple unique. De manière identique plus de 30 ans (1952-1983) séparent le film Singin’ in the Rain ( Chantons sous la pluie ) de sa version scénique. Et davantage encore : 63 ans pour Un américain à Paris entre la sortie du film (1951) et la création de la comédie musicale en 2014 au Châtelet à Paris…avant Broadway !