Logo-Resonances-Lyriques
Menu
West Side Story à l’Opéra National du Rhin (Strasbourg)

West Side Story à l’Opéra National du Rhin (Strasbourg)

mercredi 1 juin 2022
West Side Story © Klara Beck

Alain Perroux a pris la direction de l’Opéra National du Rhin en Janvier 2020. On le sait grand amateur de comédies musicales et il a rédigé pour la collection « Avant Scène Opéra » un livre intitulé « La comédie musicale, mode d’emploi » en 2009, lequel fait autorité non seulement par le nombre d’ouvrages évoqués, mais encore par une riche iconographie. Dans les déclarations récentes qu’il a faites, notamment lors d’une émission sur France Musique, Alain Perroux a indiqué qu’il entendait faire une place significative à la comédie musicale à l’Opéra du Rhin. On ne peut que s’en réjouir… Il y aura peut-être, dans les années à venir, une ou plusieurs œuvres de Stephen Sondheim qu’Alain Perroux admire tout particulièrement et dont il a traduit certains livrets. Pour la première année pouvait-il faire meilleur choix que West Side Story, ouvrage emblématique s’il en est, puisque depuis sa création au Winter Garden Theatre à Broadway, l’œuvre a été représentée dans tous les théâtres du monde et fait l’objet de deux versions cinématographiques, la première en 1961 mise en scène par Robert Wise (10 oscars) (lequel fut également le réalisateur de La mélodie du bonheur ) et la deuxième en 2021 réalisée par Steven Spielberg.

Barrie Kosky un éminent metteur en scène «  multi facettes »
A Strasbourg à l’Opéra du Rhin, 11 représentations ont été programmées dont 8 à Strasbourg et 3 à Mulhouse*. Outre l’évènement que constituait le titre lui-même, la mise en scène a été confiée à l’un des plus célèbres artisans en pareille matière, à savoir Barrie Kosky, actuel directeur du Komische Oper de Berlin. Celui-ci s’est illustré dans nombre de mises en scène d’opéra, abordant une multiplicité de compositeurs de Monteverdi, à Hans Werner Henze en passant par Rameau, Purcell, Mozart, Rossini, Tchaïkovski, Verdi, Moussorgski, Borodine, Bizet, Richard Strauss, Puccini, Rimski-Korsakov, Debussy, Prokofiev, Schönberg, et bien entendu Wagner (sa mise en scène des Maîtres Chanteurs de Nuremberg a fait sensation au Festival de Bayreuth) mais Barrie Kosky est un metteur en scène comme on les aime car il n’a pas l’esprit étroit et sait servir avec bonheur tous les genres y compris l’opérette et la comédie musicale. C’est ainsi qu’on lui doit Orphée aux enfers de Jacques Offenbach, Ball im Savoy de Paul Abraham, Les Perles de Cléopâtre d’Oscar Straus, Un Violon sur le toit de Jerry Boch (représenté à l’Opéra du Rhin en 2019), Kiss Me Kate de Cole Porter et plus récemment la sublime production de Frühlingsstürme (Tempête de printemps) de Jaromir Weinberger (dont un récent DVD/Blu-Ray nous a fort heureusement livré un exceptionnel témoignage de son talent). 

Un minimalisme radical (« Seulement la lumières et les corps »). Intemporel et grandiose
Ce West Side Story avait déjà été donné au Komische Oper de Berlin en 2013 et à plusieurs reprises les années suivantes. Engouement du public ? Chef d’Œuvre incontesté ? Admiration pour le metteur en scène ? Toujours est-il que toutes les représentations étaient données à guichets fermés. L’idée de Barrie Kosky est d’aller à l’essentiel c’est-à-dire de dépouiller la scénographie de tous les effets décoratifs qui pourraient distraire l’attention des spectateurs. Et c’est ainsi que lorsque le rideau s’ouvre, la scène est entièrement vide à l’exception toutefois d’un plateau tournant sur lequel sont dessinés les tracés d’un terrain de basket. Au fil de la représentation, ce plateau va permettre à la fois les changements rapides mais également de faire venir sur scène les divers accessoires qui vont constituer, en quelque sorte, les points de repères où se déroule l’action : un simple lit pliant décrira à suffisance la chambre de Maria, un étal de fruits sera la boutique de Doc, quelques tubes de métal astucieusement agencés et une plateforme constitueront le balcon de l’immeuble où vit Maria. Et c’est à peu près tout sachant que Barrie Kosky a voulu traiter l’ouvrage de Léonard Bernstein avec simplement des corps et de la lumière (l’interview accordée dans le programme de salle s’intitule au demeurant : « Seulement la lumière et les corps »). La pièce telle que l’a voulue Barrie Kosky et son co-metteur en scène chorégraphe Otto Pichler se nourrit d’un minimalisme radical et d’un stupéfiant travail sur la lumière (Franck Evia). Le metteur en scène estime qu’il n’est pas nécessaire de voir la ville mais plutôt de la sentir. Cette ville pourrait être n’importe quelle mégapole dans le monde car l’histoire de l’amour contrarié par la violence est évidemment un thème éternel. Ici, tout est quasiment en noir et blanc sachant que les garçons des Sharks sont pour la plupart torses nus, entièrement tatoués et que les Jets portent polos ou tee-shirts noirs. 

Violence sans la lueur d’espoir d’un nouveau jour : Sombre et poignant
Ce qui caractérise également la mise en scène de Barrie Kosky est la violence extrême qui oppose les deux bandes rivales. Il n’y a dans sa conception aucune lueur d’espoir et de manière inéluctable, la mort est au rendez-vous. Barrie Kosky pense en effet que rien ne sera mieux demain, que certains personnages comme Maria devront porter une blessure tout au long de sa vie et souligne que la pièce ne se termine pas par un duo d’amour mais par un point d’interrogation qui doit rester sans réponse. De cette violence on retiendra évidement celle du combat entre les deux factions qui clôt le premier acte, le viol d’Anita chez Doc très explicite et particulièrement douloureux alors qu’il était, jusqu’à présent, seulement suggéré dans les productions classiques ainsi que dans les deux versions cinématographiques et la fin de l’œuvre où après une scène absolument bouleversante de Maria sur le corps agonisant de Tony, les Jets et les Sharks demeurent en arc de cercle sans qu’aucun des membres des deux bandes rivales esquisse le moindre premier pas. En conséquence contrairement à ce qui a été vu jusqu’à ce jour, personne ne viendra vers le corps de Tony pour le transporter dans une marche funèbre réconciliatrice. Ceci signifie que la version, telle qu’elle nous est présentée, marque de son sceau une sombre désespérance excluant toute tentative de concorde.

Une nouvelle chorégraphie puissante et un magnifique rendu orchestral
Barrie Kosky a travaillé comme pour les autres comédies musicales qu’il a mises en scène au Komische Oper de Berlin avec le chorégraphe Otto Pichler avec lequel il entretient une étroite collaboration. L’un des intérêts de ce West Side Story est précisément qu’Otto Pichler n’a pas fait comme dans quasiment toutes les productions théâtrales (ainsi que dans les deux films de Wise et de Spielberg) un copié-collé de la chorégraphie de Jerome Robbins, laquelle, avec juste raison, s’est érigée quasiment en un monument tant par ses idées novatrices (à l’époque) que par son absolue perfection gestuelle. De ce fait, personne n’a véritablement songé à y toucher.
Le mérite d’Otto Pichler est justement d’avoir osé autre chose dans la gestique, tout en conservant l’esprit de ce qu’avait souhaité initialement Jerome Robbins. Outre l’apport essentiel du metteur en scène et du chorégraphe, il faut ici saluer la magnifique prestation de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse et sa parfaite adéquation avec la musique de Léonard Bernstein. Il est vrai que de surcroît, à la baguette, David Charles Abell apporte sa connaissance approfondie de la comédie musicale, lui qui figure dans les deux enregistrements vidéographiques des Misérables pour les commémorations successives du 10ème et du 25ème anniversaire de la création de cette œuvre. Un chef parfaitement élégant dans sa direction et qui sait mettre en valeur toute la palette des sentiments musicaux de ce West Side Story. Au demeurant, au salut final, les applaudissements ont été particulièrement nourris à l’égard des musiciens qui sont demeurés longuement dans la fosse.

L’excellent choix d’une distribution extrêmement pointue 
La distribution réunie par les soins d’Alain Perroux est proche de ce que l’on peut qualifier de perfection. A noter que dans celle-ci il y a qu’une seule interprète qui soit issue de l’opéra à savoir la soprano néo-zélandaise Madison Nonoa (qui s’est illustrée dans des rôles de Mozart, Puccini, Offenbach, Britten…). Elle concrétise tout ce que représente l’esprit de cette nouvelle génération d’artistes (notamment en Allemagne, Autriche, Pays de l’Est et Etats-Unis) à savoir être capable de maitriser à la perfection tous les genres du théâtre musical. Dotée d’une fort jolie voix, sachant danser, elle est aussi une excellente comédienne et sa scène finale est absolument bouleversante et déchirante d’émotion. Son partenaire, Mike Schwitter – déjà largement apprécié dans son rôle du Lieutenant Cable de South Pacific tout récemment à l’Opéra de Toulon – dessine l’exact portrait de Tony lequel doit nécessairement trancher avec le reste des garçons de la bande des Jets obnubilé qu’il est par l’amour qu’il porte à Maria. Vocalement on touche ici à ce que l’on peut rêver d’idéal par la conduite maîtrisée d’une voix d’une belle clarté et d’un legato proche d’un instrument de musique. Tous les piani qu’exigent la partition sont scrupuleusement respectés à la lettre et l’interprète irradie un charme tout à fait spécifique qui en font incontestablement le personnage idoine pour le rôle.
Mais le reste de la distribution se situe au même niveau avec notamment l’autre couple formé par Kit Esuruoso, sculptural et sombre dans le rôle de Bernardo et l’exceptionnelle Amber Kennedy dans celui d’Anita danseuse hors-pair doublée d’une remarquable chanteuse. Citons aussi, le bouillant Riff de Bart Aerts dans le rôle de Riff. Il faut dire aussi tout ce que le ballet de l’Opéra du Rhin apporte par sa présence et sa technicité dans cette production laquelle, au final, ne compte pas loin de 60 artistes sur scène sans compter les instrumentistes d’un orchestre symphonique au complet.
Ovations nourries pendant plus d’une dizaine de minutes d’un public intergénérationnel partagé entre enthousiasme et émotion. C’est sans doute là la puissance des chefs d’œuvres. 

Christian JARNIAT
Le 1er juin 2022

Alain Perroux a également en 2010 rédigé dans la même collection un ouvrage sur « Opéra, mode d’emploi ».

* Dernieres dates pour voir ce spectacle : 

Mulhouse.  La Filature

https://www.lafilature.org/

26 Juin 2022 à 17h00
28 Juin 2022 à 20h00
29 Juin 2022 à 20h 00

 

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.