Voulez vous faire salle archicomble ? Voici la recette infaillible : affichez La Vie parisienne et vous serez certains du remplissage !… Cette certitude s’est à nouveau vérifiée au Casino Barrière de Toulouse. On constatera qu’Offenbach est, une fois de plus, au rendez-vous et ce compositeur semble jouir d’un statut hégémonique. Théâtre archicomble pour cette représentation où de nombreuses demandes de places n’auront pu vraisemblablement être toutes satisfaites dans une salle qui en comporte 1200(1) Un gros sujet de satisfaction que ce succès public pour TLA Productions, l’un des derniers bastions en France qui s’attache, contre vents et marées, à défendre le sort de l’opérette dans le cadre d’une saison diversifiée.
On sait en outre que le plus célèbre sans doute des ouvrages d’Offenbach n’a cessé de donner lieu à diverses moutures : la version en 5 actes au Théâtre du Palais Royal le 31 octobre 1866, puis celle en 4 actes le 25 septembre 1873 au Théâtre des Variétés, et enfin celle dite « de censure » – avec quasiment deux actes 4 et 5 nouveaux faisant valoir des morceaux totalement inconnus – restituée dans la version du Palazzetto Bru Zane représentée successivement à l’Opéra de Rouen, à l’Opéra de Tours et au Théâtre des Champs Elysées entre novembre 2021et janvier 2022 (dans la mise en scène de Christian Lacroix également concepteur des décors et costumes)
C’est la seconde version de 1873 – la plus couramment représentée – qui était à l’affiche à Toulouse.
On retrouve avec émotion, au pupitre de l’orchestre Melodia, Claude Cuguillère qui fut pendant de nombreuses années le chef d’orchestre permanent du Capitole de Toulouse. Riche de décennies de fréquentation du répertoire d’opérette, il en est le chantre emblématique et sa baguette experte sait, comme peu, trouver la parfaite adéquation avec le style de pareil ouvrage auquel il confère allant et vivacité.
Serge Manguette – auréolé de son récent triomphe pour la comédie musicale La Cage aux folles de Jerry Herman à l’Odéon de Marseille – connaît aussi sur le bout des doigts cette Vie parisienne qu’il a mis en scène et chorégraphié à deux reprises (et dans deux productions différentes) à l’Opéra de Nice : une première fois en 2013 avec à la baguette Philippe de Chalendar et Pauline Courtin en Gabrielle et une deuxième fois en 2019 avec au pupitre Bruno Membrey et la gantière d’Amélie Robins)
Il est évident, comme on le soulignait déjà à ces occasions, que le regard d’un chorégraphe est un plus pour l’opérette. D’abord pour l’habileté à manier sur le plateau un grand nombre d’intervenants avec le souci constant d’un ordonnancement d’images parfaitement esthétiques, ensuite par le soin porté à la gestuelle des protagonistes qui visent toujours à l’aisance et à l’élégance. Car Serge Manguette sait habilement passer, avec autant d’aisance que de fluidité, d’une scène à l’autre dans une œuvre dont les multiples enchaînements sont quasiment ininterrompus.
Pour l’occasion, le ballet de Carole Massoutié fait merveille grâce au brio des danseuses et danseurs tandis que le cancan final recueille, comme à l’accoutumée, la participation enthousiaste du public.
Faut il rappeler que la Vie parisienne avait été spécifiquement écrite pour un théâtre voué plus spécialement à la comédie. A la création les rôles principaux – à l’exception de celui de la maîtresse d’Offenbach Zulma Bouffar (Gabrielle)(2) véritable chanteuse lyrique – avaient été confiés à la troupe des comédiens du Palais Royal qui se consacraient exclusivement au vaudeville. A retenir dans le même esprit la version de 1958 par la compagnie Renaud-Barrault au Palais Royal, mise en scène de Jean-Louis Barrault avec des comédiens tels que Simone Valère, Suzy Delair, Madeleine Renaud, Pierre Bertin, Jean Desailly et la version de la Comédie-Française en 1997 mise en scène par Daniel Mesguich avec la troupe de l’illustre maison.
Or l’une des qualités de cette Vie parisienne toulousaine est incontestablement l’homogénéité de sa distribution, chaque interprète atteignant l’excellence dans le texte parlé, ce qui s’inscrit dans l’esprit même de l’œuvre originelle.
Ainsi Alfred Bironien et Rémy Mathieu sont-ils particulièrement convaincants et dynamiques respectivement en Gardefeu et Bobinet. Florian Laconi reprend avec la même faconde et les mêmes dons comiques – qui nous avaient enchantés en février 2016 à l’Opéra d’Avignon – le brésilien, Frick et Prosper comme l’avaient fait en leur temps les créateurs Jules Brasseur (en 1866) et Jean Berthelier (en 1873). Et dire que quelques semaines auparavant le ténor se mesurait avec succès au rôle périlleux de Vasco de Gama dans L’Africaine de Meyerbeer sur la scène de l’Opéra de Marseille ! Un grand coup de chapeau l’artiste !
Eve Coquart, parfaite musicienne (au demeurant diplômée de violoncelle) douée d’un jeu subtil, incarne une brillante Gabrielle qui séduit à la fois par son brio et sa sensibilité interprétative avec une voix idéale plus lyrique que celle que l’on entend souvent dans pareil emploi et qui donne ainsi tout son sens au personnage. Laurent Arcaro, au timbre percutant, dessine un charismatique Baron pour une fois d’allure jeune ce qui justifie son envie irrépressible de « s’en fourrer jusque là » tandis que Morgane Bertrand, après avoir interprété le rôle de Gabrielle en tournée avec Opéra Eclaté d’Olivier Desbordes et Clermont Auvergne Opéra, se glisse avec aisance dans les atours d’une Baronne malicieuse dont la féminité frémissante rivalise avec une irrésistible coquetterie doublées d’un chant souple et moelleux.
A noter que la Baronne chante son air « Je suis encore toute éblouie » (désormais très souvent rétabli dans la version de 1873). Laeticia Goepfert , physique élancé, assure avec son habituel abattage une sensuelle Metella. La trépidante Julie Morgane confère tout le piquant qu’on lui connaît au rôle de Pauline tandis que Vincent Alary fait un numéro étourdissant et déjanté en Joseph et Urbain.
A la fin de la représentation, le public debout, a longuement ovationné chanteurs, musiciens et danseurs. Eu égard au succès ce spectacle pourrait sans nul doute faire l’objet d’une reprise.
Christian Jarniat
12 novembre 2023
1 A noter qu’une semaine plus tard le spectacle était repris à Mérignac au théâtre du Pin Galant
2Zulma Buffar fut également la créatrice de quasiment tous les premiers opéras-bouffes d’Offenbach et entre autres – de Geneviève de Brabant, Le Roi Carotte et Le Voyage dans la lune
Distribution :
Direction Musicale : Claude Cuguillère
Mise en scène : Serge Manguette
Chorégraphie : Carole Massoutié
Gabrielle : Eve Coquart
Métella : Laeticia Goepfert
La Baronne : Morgane Bertrand
Pauline : Julie Morgane
Le Baron : Laurent Arcaro
Raoul de Gardefeu : Alfred Bironien
Bobinet : Rémy Mathieu
Le Brésilien/Frick/Prosper : Florian Laconi
Joseph/Urbain : Vincent Alary
Orchestre Mélodia
Chœur Mélopée de Toulouse
Productions TLA
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