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UNE BATAILLE PERDUE D’AVANCE

UNE BATAILLE PERDUE D’AVANCE

samedi 22 mars 2025

Laurent Cabasso (c) D. R.

Le magnifique pianiste Laurent Cabasso porte au sommet les « Variations Goldberg » au cours d’une soirée en l’Église Saint-Guillaume de Strasbourg et devant une foule vivant la métamorphose inclusive de cette paroisse luthérienne. Par contre, la comédienne Marie-Christine Barrault se prête à la réalisation d’une fausse bonne idée : montrer les désagréments d’une nuit d’insomnie tandis que retentit au clavier cette admirable représentation du monde.

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Rattachée au luthéranisme français, l’Église Saint-Guillaume de Strasbourg se trouve liée à des histoires familiales où apparaissent les noms de Charles Munch, de la parentèle d’Albert Schweitzer et des proches de … Jean-Paul Sartre. Connue pour un goût ardent de Bach marqué chaque année par l’exécution de l’une de ses deux grandes « Passions », elle vit actuellement une révolution. Devenu paroisse inclusive LGBTQ+, le sanctuaire accueille des concerts dits décoiffants, programmés par l’entreprenant Cyril Pallaud. Ces derniers temps, Saint-Guillaume aura été le cadre de prestations de pole dance et d’autres innovations. Dès lors, les activités frappées du sceau Pallaud ont une vertu thérapeutique : la remise en question d’acquits poussiéreux.

Alors qu’approche l’apparition, à Saint-Guillaume, de Nathalie Dessay en tournée d’adieux, le maître des lieux vient de réunir le pianiste Laurent Cabasso et l’actrice Marie-Christine Barrault pour une soirée annoncée avec tambours et trompettes. Il s’agissait d’une création mondiale mêlant les « Variations Goldberg » et la représentation scénique d’une nuit d’insomnie vécue par une dame de la bourgeoisie après avoir effectué des achats dans un magasin Éric Bompard. On sait peut-être qu’un des élèves de Bach aurait joué cet Annapurna de la musique de tous les temps à un membre de la noblesse allemande pour qu’il rejoigne Morphée. D’où l’idée d’installer Mme Barrault sur une scène comportant un lit et des meubles désuets.

Tenant à formuler le présent écrit selon la bonne éducation, je considère cette expérience comme dépourvue de sens. L’absolue grandeur d’une telle œuvre d’abstractions sublimes est – par nature – incompatible avec la trivialité d’une illustration maladroite au premier degré. Autrement dit, le metteur en scène débutant Guillem Aubry eu une fausse bonne idée. De même, le prologue constitué par la lecture de textes tirés de l’ « Encyclopédie » entre les sept formants de la « Suite française » en sol majeur BWV 815 nuit à la globalité de la forme. Les propos choisis sont incompréhensibles à la majorité des auditeurs parce que faisant appel à des connaissances réservées aux élèves des cours d’analyse et d’écriture musicales. En outre, ils ne se rapportent pas directement à Bach.

Je loue néanmoins la constance de Laurent Cabasso. Il est resté imperturbable devant son Yamaha, alors que Mme Barrault se livrait à un mélange de performance et de mime, « hommage » involontaire à Marcel Marceau, natif de Strasbourg. La concentration de Cabasso, pareille à celle habitant son enregistrement majeur des « Variations Diabelli » de Beethoven, est fascinante. En découle une véritable représentation du monde laissée par Bach au talent d’une minorité d’interprètes. En effet, la simplicité apparente du texte du BWV 988, sa parcimonieuse polyphonie accueillante constituent un cadre à l’intérieur duquel très peu de claviéristes savent s’installer avec autorité. Cabasso est au nombre de ces heureux élus. Le pianiste a toujours cultivé la clarté des lignes, le souci du propos structuré, la recherche de l’énonciation heureuse. Il n’aura pas perdu son temps avec des formatrices de premier ordre comme Yvonne Loriod et Maria Curcio, elle-même élève du glorieux Artur Schnabel.

Une fois encore, Cabasso m’a fasciné par l’équilibre émanant des registres opposés de l’instrument, par la saveur qu’il tire au moment de mettre en valeur les délices chromatiques de l’une ou l’autre des trente Goldberg, par sa conduite souveraine dans l’énonciation du thème de l’Aria introductive et dans sa reprise finale. Il crée une illusion suprême de legato, et ce sur un instrument n’étant par nature ni un violon ni un violoncelle. Il est, avec ses confrères Pierre-Laurent Aimard, Alexandre Tharaud et Pierre Reach, l’un des champions français des Goldberg. J’aurais bien aimé que – comme Rudolf Serkin à Berlin en 1921 – il en fasse un bis. Ou plutôt une seconde exécution sans le cadre d’un combat scénique largement perdu d’avance. (1)

Dr. Philippe Olivier

(1) On notera que Laurent Cabasso aura donné les « Variations Goldberg » telles quelles le 20 mars 2015, au cours d’une répétition dite générale.

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