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Un Prophète impressionnant et somptueux au Festival d’Aix-en-Provence

Un Prophète impressionnant et somptueux au Festival d’Aix-en-Provence

samedi 15 juillet 2023
Mané Galoyan et John Osborn/Elizabeth DeShong/Edwin Crossley-Mercer/ Chœur de l’Opéra de Lyon, la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, la Banda de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée dirigés par Sir Mark Elder ©Vincent Beaume

Dans sa riche programmation, à l’occasion de son 75e anniversaire, le Festival d’Aix-en-Provence a proposé au Grand Théâtre de ProvencE Le Prophète de Giacomo Meyerbeer en version de concert avec le London Symphony Orchestra sous la baguette de Sir Mark Elder avec le chœur de l’Opéra de Lyon. Cet opéra a été retransmis en direct sur France Musique. 

Meyerbeer, aujourd’hui la fin d’un purgatoire ?
Les opéras de ce compositeur, qui fut en son temps « la coqueluche de Paris », remportèrent des triomphes éclatants dans la première moitié du 19e siècle puis tombèrent dans l’oubli. Meyerbeer connut donc pendant plusieurs décennies sa période de purgatoire puis revint au goût du jour à partir de la deuxième moitié du 20e siècle. Récemment (2021) l’Opéra de Bordeaux affichait Robert le Diable. En juin 2022 Olivier Py mettait en scène Les Huguenots au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles et un an plus tard l’Opéra de Marseille lui emboîtait le pas dans une production signée Louis Désiré pour la clôture de sa saison lyrique. Le rideau de l’opéra de la cité phocéenne s’ouvrira encore en octobre 2023 sur une œuvre de Meyerbeer à savoir L’Africaine.

Le Prophète et le mérite avéré de la version de concert
Pour les opéras qui exigent un important déploiement de musiciens et de chœurs, le Festival d’Aix-en-Provence a pris le parti de versions de concert plutôt que de productions scéniques. C’est notamment le cas pour Le Prophète de Meyerbeer, Otello de Verdi et Lucie de Lammermoor de Donizetti (dans sa rare version française).

Ce qui milite en faveur de ces versions de concert réside, à revers, dans la lourdeur et la complexité inhérente à la scénographie (et à la mise en scène) de certaines œuvres et plus spécifiquement de celles qualifiées – comme ici – « grand opéra ». 
On a souvent écrit dans ces colonnes tout le bien que l’on pensait des versions de concert. Les artistes peuvent ainsi se concentrer essentiellement sur leur chant et donner, de ce point de vue, le meilleur d’eux-mêmes. C’est en outre souvent l’occasion de réaliser concomitamment un projet discographique ce qui est le cas pour ce Prophète qui était enregistré pour le LSO Live en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane-Centre de Musique Romantique Française.

Pour autant la version concertante n’exclut ni les intentions dramatiques ni même le jeu des « acteurs ». Non seulement des entrées et sorties sont « théâtralisées » mais encore les protagonistes, qui ne sont pas en permanence les yeux rivés sur leur partition, parviennent aussi à « jouer » en exprimant par leur engagement comme par leurs gestes et leurs expressions toutes les intentions du livret. De surcroît cette version de concert ne se contente pas d’un simple éclairage fixe blanc comme on le voit habituellement mais toute une série d’effets lumineux ont été mis en place (sur les musiciens comme sur les solistes) suivant les ambiances des scènes, de la musique et de…l’action. On pense, par exemple, au final ou la lumière rougeoyante évoque les flammes de l’incendie qui ravage le palais de Münster (1). 

Les influences musicales en amont et en aval.
Eu égard à la date de la première du Prophète (1849) les influences des compositeurs italiens (Rossini, Bellini et Donizetti) régnant évidement en maîtres à l’époque, ne pouvaient être qu’évidentes, Meyerbeer étant leur exact contemporain (2).
Pour autant, à bien écouter cet ouvrage on perçoit, en sus, le caractère extrêmement « précurseur » de la musique de Meyerbeer qui influencera les compositeurs tels que Wagner (qui naturellement – de mauvaise foi – s’en défendait) ou Verdi. C’est ainsi qu’on entend ici en germes des pans entiers de Lohengrin et à travers le personnage de Fides, les futures Azucena du Trouvère et Amneris d’Aïda

Le London Symphony Orchestra brille de mille feux 
Pour rendre totalement justice à pareille œuvre, il faut un orchestre à l’effectif copieux et d’une extême qualité. Le festival d’Aix-en-Provence a eu l’heureuse idée d’inviter le London Symphony Orchestra qui est l’une des phalanges les plus célèbres du monde avec le Philharmonique de Berlin ou encore le Philharmonique de Vienne. Sir Mark Elder (3) éminent chef britannique qui a dirigé les plus grandes formations de la planète rend avec cet ensemble orchestral ses lettres de noblesse à la partition de Meyerbeer (qui n’apparaît à aucun moment triviale ou prosaïque) et lui confère même un raffinement peu commun. Et c’est ainsi que l’on entend sous sa baguette, non seulement des musiciens de très haut niveau mais encore dans l’excellence : le Chœur de l’Opéra de Lyon, la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, la Banda de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et des chanteurs au sommet de leur art. Cet effectif impressionnant de quelques 170 exécutants porte ce Prophète au pinacle.

Une distribution vocale choisie avec pertinence et bonheur 
John Osborn est sans doute l’un des ténors les plus célèbres de sa génération. Après plus de 20 ans de carrière internationale et une quinzaine d’enregistrements audio et vidéo il est apprécié, à juste titre, dans les œuvres belcantistes ainsi que dans le répertoire romantique français (4). 
Dans le rôle de Jean de Leyde, outre son charisme, sa noblesse d’expression et son intelligence interprétative consommée il nous gratifie d’une exceptionnelle leçon de chant (dans un français impeccable) sans jamais forcer les moyens très étendus qu’il possède et sans donner l’apparence de la moindre fatigue sachant toujours doser ses efforts et ne jamais tomber dans le piège de grossir sa voix ou d’être tenté par des aigus forte là où un falsetto est plus adéquat. L’admirable phrasé du songe : « Sous les vastes arceaux d’un temple magnifique » (annonçant l’art élégiaque d’un Massenet), l’hymne « Roi du ciel, roi des anges » avec tous les ornements belcantistes en sont l’éloquente démonstration. En faisant preuve de pareille sagesse, on ne peut s’empêcher de penser à un Alfredo Kraus qui, à près de 70 ans, avait encore la fulgurante jeunesse vocale pour chanter Roméo.

Dans son air « Ô sois bénis mon fils » l’américaine Elizabeth DeShong révèle des moyens opulents et une voix particulièrement longue. Au tableau de la cathédrale de Münster, la mezzo-soprano en duo avec l’orgue fait entendre des accents d’une héroïne verdienne (Azucena) capable aussi non seulement d’habiles mezza voce mais encore d’aigus cinglants à toute épreuve. Ses imprécations qui concluent l’acte sont impressionnantes en contrepoint des voix graves. La voix rejoint la tessiture d’une falcon au début de l’acte 5 avec la puissante cavatine « Ô toi qui m’abandonnes » suivie de l’électrisante cabalette  « Comme un éclair précipité » où elle fait preuve d’une extrême vélocité et d’une incroyable virtuosité. Le triomphe qui suit n’est que justice.

Dès son entrée la soprano arménienne Mané Galoyan (Berthe) fait valoir un timbre ravissant de soprano lyrique en chantant son air éthéré « Mon cœur s’élance et palpite » où elle manie à la perfection les sons filés. Dans le duo du 1er tableau de l’acte 4 avec Fidès son chant très émouvant sur un souffle constamment soutenu émeut tout particulièrement dans « Pour garder à ton fils le serment ». Et le duo qui se poursuit avec « Dernier espoir, lueur dernière » présente bien des similitudes avec celui de Norma et d’Adalgisa dans le chef-d’œuvre de Bellini. De longues acclamations montent du public pour couronner la prestation des deux cantatrices. A la fin de l’œuvre Mané Galoyan sait trouver les accents dramatiques pour donner le relef tragique adéquat au suicide de Berthe. Le trio des anabaptistes omniprésent est servi avec une éloquence sans faille par James Platt (Zacharie), Guilhem Worms (Mathisen) et Valerio Contaldo (Jonas). Une mention spéciale pour Edwin Crossley-Mercer (Comte d’Oberthal) aussi distingué de présence que de timbre.
 
Nombre de rappels nourris et chaleureux lors des saluts. Le Prophète a séduit, au-delà de toutes espérances, le public du festival et la rédemption de Meyerbeer a trouvé (mais est-ce encore nécessaire ?) une nouvelle et prestigieuse étape pour s’affirmer de manière éclatante.

Christian Jarniat
15 juillet 2023

(1) Le jeu des acteurs et les lumières sont réglés par Romain Gilbert metteur en scène réputé tant en France qu’à l’étranger.
(2) N’oublions pas que Meyerbeer se prénomait Jakob et avait italianisé son prénom en Giacomo.
(3) Sir Mark Elder est le premier chef britannique à avoir dirigé une nouvelle production au Festival de Bayreuth.
(4) Outre Le Prophète, John Osborn a accepté, dans cette édition du Festival, de remplacer le ténor Pene Pati indisponible dans la version française de Lucie de Lammermoor 

 

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