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Un pas de côté : un spectacle émouvant qui se savoure comme un moment suspendu (au Théâtre Anthéa d’Antibes)

Un pas de côté : un spectacle émouvant qui se savoure comme un moment suspendu (au Théâtre Anthéa d’Antibes)

jeudi 11 septembre 2025

©Pasqualito

C’est un jour de printemps. Catherine et Vincent se croisent, presque par hasard, sur un banc public qui borde une voie arborée. Rien ne les prédestinait à se rencontrer : elle, mariée à un compagnon en pleine dépression qu’elle tente de soutenir tant bien que mal en élevant ses deux enfants, lui – compositeur de musique – époux d’une femme qu’il ne regarde plus vraiment, et en proie à l’angoisse sourde du vieillissement ainsi qu’à une impression de désenchantement du quotidien.

Au début les mots se font rares : ce sont plutôt des silences partagés, des regards, des petits gestes. De fil en aiguille, les deux inconnus se découvrent, la parole s’installe et, avec elle, une forme d’intimité. Ce rendez-vous fortuit, qui ne devait être qu’une rencontre fugace et sans conséquence, se mue en rituel : ils se retrouvent régulièrement sur ce banc qui devient leur refuge, une envie de rencontrer l’autre, une parenthèse dans leurs vies respectives avec le désir d’échapper un instant à leur quotidien, un espace hors du monde où ils se sentent vivants. Ils se parlent, rient, se confient leurs doutes et leurs blessures. Un lieu où ils peuvent être simplement eux-mêmes… Oser furtivement s’enlacer et échanger un baiser.

Mais jusqu’à quand cette parenthèse peut-elle durer ? Ce “pas de côté” restera-t-il une échappée innocente ou deviendra-t-il un véritable tournant de leur vie ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller ? Quels risques sont ils capables de prendre ?… Faut il faire un pas de plus ?…

Une thématique subtile sur la beauté des rencontres éphémères, la tentation, le temps qui passe

La pièce d’Anne Giafferi repose sur un thème universel : le doute au quotidien. Elle interroge ces moments où la vie apparemment bien tracée semble soudain monotone, où l’on se demande s’il ne faudrait pas prendre une voie de traverse, se perdre sur une petite route pour retrouver l’incertitude, la surprise, le frisson. C’est exactement ce qui arrive aux deux personnages : ils ne l’avaient pas prévu, ils ne cherchaient pas la rencontre. Ce ne sont ni des dragueurs, ni des aventuriers en quête d’émotions fortes. Et pourtant, la rencontre leur tombe dessus, les bouleverse, les déstabilise et les rend maladroits.

La pièce met en scène cette maladresse, ce flottement : que faire lorsque quelqu’un vient bousculer votre équilibre, alors que vous êtes déjà engagé dans une histoire d’amour même si elle est abîmée par le temps et la routine ?… C’est là tout l’intérêt du texte qui donne au propos sa légèreté et sa profondeur à la fois : il nous parle de nous, de ce que nous vivons parfois en silence. Car au fond, la pièce montre que la solidité d’un couple n’exclut pas la fragilité : elle en est même souvent le revers. Se laisser toucher par le doute, se laisser attirer par une autre personne, partager des confidences, est-ce nécessairement trahir ?La pièce ose même une métaphore vertigineuse lorsque les deux protagonistes évoquent le couple au bord de la falaise : vont-ils sauter dans le vide ? Image puissante qui illustre leur propre interrogation : doivent ils franchir cette ligne invisible qui sépare l’amitié de l’amour, la routine monotone d’une vie rangée de l’inconnu d’une passion tardive ?…

Anne Giafferi qui excelle dans l’art de la confidence choisit la simplicité comme fil rouge. Elle explore, avec élégance, pudeur, humour, et une infinie délicatesse cette zone grise où l’amitié flirte avec l’amour, elle esquisse tout en nuances les contours de cette amitié amoureuse, fragile et précieuse, troublante et néanmoins pudique qui pourrait glisser vers autre chose en se gardant de tout effet inutile et en évitant le piège du pathos et du mélodrame. Les dialogues simples et naturels laissent filtrer les doutes, les désirs, les regrets. Sa mise en scène qui privilégie la sobriété et l’émotion vraie se caractérise par une allure cinématographique : plans courts, rythme soutenu et changements rapides qui renforcent l’impression de légèreté et de spontanéité.

Un duo en état de grâce pour une partition à quatre mains

Depuis plus de vingt ans, Isabelle Carré et Bernard Campan forment un couple artistique qui ne cesse d’émouvoir. Trois films et deux pièces les ont déjà réunis1 et chaque nouvelle collaboration semble renforcer leur complicité.

Ce qui frappe d’entrée c’est la parfaite osmose entre les deux interprètes. Isabelle Carré et Bernard Campan se connaissent, ils sont amis dans la vie et ont partagé de nombreux projets artistiques. Cette complicité se voit, se sent, s’entend et devient l’un des moteurs de la pièce : ils respirent ensemble, se répondent avec une économie de moyens et une spontanéité qui semblent naître sur le vif, donnant au spectateur l’impression de surprendre un moment de vie.

Dans Un pas de côté, ils excellent dans l’art de la demi-teinte : leurs silences, leurs regards, leurs hésitations sont autant de petits bijoux de vérité. Ils se nourrissent l’un de l’autre, éclairent mutuellement leur jeu d’une précision extrême et d’une simplicité désarmante, et insufflent à cette pièce une humanité rare.

Isabelle Carré incarne une Catherine lumineuse à la fois pudique, fragile et profondément vivante, qui garde toujours une part de tendresse pour son mari tout en s’autorisant ce souffle de liberté. Bernard Campan prête à Vincent sa mélancolie tendre, son humour discret doublé d’une dose de maladresse touchante devant son refus d’abdiquer face au temps qui passe.

Leur duo touche par sa sincérité. L’alchimie entre les deux comédiens est évidente et leur complicité scénique rend crédible ce lien à la fois amical, amoureux et fragile. Ils nous invitent parfois à sourire mais surtout à réfléchir sur nos propres choix de vie.

Excellentes prestations des comédiens qui entourent le couple Isabelle Carré et Bernard Campan : Helène Babu, Kelly Gowry, Stanislas Stanic, et Pierre-Antoine Suarez.

On ressort de cette pièce le cœur à la fois charmé et étreint par cette délicatesse de ton, cette justesse des émotions et des sentiments qui fait de Un pas de côté, une pièce à la fois lumineuse et bouleversante2

Christian Jarniat

11 septembre 2025

 

1 Isabelle Carré et Bernard Campan sont réunis dans : Se souvenir des belles choses film de Zabou Breitman (2001), La Dégustation pièce de Ivan Calbérac (2019) (Molière 2019 de la comédie) puis film en 2022, Un pas de côté pièce de Anne Giafferi (2025), Jean Valjean film de Éric Besnard (2025).

2 A partir du 18 septembre au Théâtre de la Renaissance à Paris

Assistante mise en scène : Kelly Gowry
Scénographie et vidéo : Alain Lagarde
Assistante vidéo 
: Manon Boucher
Costumes : Cécile Magnan
Lumière 
: Christian Pinaud

Distribution :

Isabelle Carré
Bernard Campan
Helène Babu
Kelly Gowry
Stanislas Stanic
Pierre-Antoine Suarez

Coproduction Anthéa, théâtre d’Antibes en accord avec le théâtre de la Renaissance à Paris

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