Salle comble au théâtre de Beaulieu pour la première de ce spectacle exceptionnel qui s’est joué à guichets fermés. Public conquis, avant que le spectacle ne commence : voici la preuve que le nom de Béjart continue d’attirer les foules.
Julien Favreau, directeur artistique ad intérim, remplaçant Gil Roman depuis le 28 février, a relevé avec brio le défi de reprendre les rênes du BBL.
Serait-il malvenu de dire qu’il incarne le pilier de cette compagnie emblématique?
Non, car il symbolise parfaitement la solidité de cette structure légendaire dont la réputation, solidement établie n’est plus à faire mais doit constamment, à l’instar d’autres compagnies, se réinventer. Avec classe, énergie et passion Favreau maintient cet équilibre délicat.
L’ambiance en coulisses et sur scène en témoigne : les artistes, souriants, semblent heureux de perpétuer un bel héritage, et l’atmosphère régnant au sein du théâtre respire la sérénité.
Adieu le stress, bonjour la convivialité !
Si la suite de l’aventure reste à écrire, que les fans de Maurice Béjart se rassurent, la relève est en cours et le répertoire du grand chorégraphe se trouve assuré.
Un Hamlet puissant et bouleversant
En première partie, la création mondiale Hamlet, chorégraphiée par Valentina Turcu, a subjugué le public. Ce ballet, interprété par onze artistes, explore avec une rare intensité la folie humaine et la passion, l’ombre et la lumière.
Une mise en scène magistralement orchestrée où chaque danseur brille tour à tour dans une atmosphère hypnotique. Les égos restent au vestiaire, laissant place à une œuvre où le talent de chacun magnifie l’ensemble. En parfaite osmose avec la musique, les scènes de couples évoluant tantôt sur des morceaux de Max Richter, ou encore des groupes Muse et Cigarettes After Sex se distinguent par leur intensité poignante et leur expressivité presque animale, magnifiant ainsi chaque mouvement empreint de drame, d’amour intense et de colère.
L’interprétation intense de Julien Favreau, incarnant le spectre qui vient hanter le personnage titre de la pièce de Shakespeare, a particulièrement marqué les esprits par sa force tranquille et sa puissance inouïe. Dès ses premiers pas sur scène, son aura débordante captive l’audience, son regard impénétrable caché derrière des lunettes de soleil, établissant un lien indéfectible entre la performance et l’émotion brute.
Pas besoin de mots pour incarner ces divers personnages, la danse étant le langage universel, la magie de chaque mouvement fait le reste, transportant le spectateur dans un monde où les émotions parlent d’elles-mêmes.
Óscar Eduardo Chacón Ramírez ( Hamlet ) crée une sensation vertigineuse, utilisant la scène de manière hypnotique. Min Kyung Lee, dessine avec grâce et fragilité une bouleversante Ophélie. Ensemble, ils transforment chaque mouvement en une myriade d’émotions, envoûtant le public par leur alchimie et leur profondeur artistique. Leur performance, à la fois puissante et délicate, transcende les attentes, offrant une interprétation contemporaine et poignante du drame shakespearien.
Rhapsody in Blue : Une Ode à la Liberté Artistique
En deuxième partie, Rhapsody in Blue, chorégraphiée par Giorgio Madia, célèbre la liberté artistique sur une partition de Gershwin.
Les mouvements, d’une pureté incroyable, associés au décor poétique, créés une ambiance à la fois amusante et harmonieuse.
Les danseurs, tous vêtus de bleu, dégagent une légèreté, une élégance parfois teintée d’espièglerie, rappelant la même vivacité de SCHRäääG, chorégraphié et présenté par Kinsun Chan, en février dernier lors du PSCP (atelier indépendant du concours principal du Prix de Lausanne).
Le décor mouvant, semblable à des roseaux lumineux qui ondulent et forment une barrière enchantée, ajoute une dimension de comédie musicale à la chorégraphie, créant ainsi une atmosphère unique et presque magique. Ce cadre visuel enrichit l’impression d’une performance dynamique et vivante au son des notes jazzy de Gershwin.
Le Boléro de Béjart : LE Spectacle Incontournable
S’il y a un spectacle à voir une fois dans sa vie, c’est bien le Boléro de Ravel par Béjart.
Plongeant dans un challenge physique de 15 minutes, rythmé par une cadence répétitive et envoûtante, Julien Favreau s’illumine sur scène. Fidèle à l’esprit du chorégraphe, il prouve avec éclat qu’il n’a besoin de rien pour captiver.
Comment traduire l’essentiel en mouvement ? En observant le soliste évoluer sur cette immense table rouge, une évidence s’impose : incarner pleinement son authenticité. Se laisser emporter par la mélodie, fusionner avec la musique pour n’être plus rien d’autre que soi.
Les plus belles choses sont souvent les plus simples, mais aussi les plus difficiles à atteindre. C’est dans cette simplicité, et grâce à une persévérance inébranlable, que la magie continue d’opérer, encore et toujours.
Favreau, en parfaite osmose avec la musique et la trentaine de danseurs autour de lui, ressemble à une idole sur un autel rouge. La chorégraphie de Béjart, avec ses mouvements angulaires et les bras carrés se révèle redoutable et pourtant magnifiquement exécutée par la troupe.
On pourrait penser à une œuvre du peintre Fernand Léger, connu pour son style cubiste, chaque élément paraît soigneusement orchestré pour former un tout harmonieux et énergique.
La pièce, sensuelle et électrisante, a sublimé les corps des artistes. Les mouvements de hanches balançant et les œillades échangées ont ajouté une touche de sensualité presque animale, captivant tous les regards.
Le public, en délire, a offert une standing ovation presque aussi longue que le “Boléro” lui-même. Ravel et Maurice Béjart auraient été fiers de cette performance exceptionnelle.
Nous avons assisté à une soirée unique, comme il y en existe peu dans l’histoire de la danse. Chaque performance magnifiquement interprétée, témoigne de la vitalité et de l’excellence du Béjart Ballet Lausanne. Cette soirée au théâtre de Beaulieu restera gravée dans les mémoires comme un moment de grâce, d’élégance et de puissance.
Cécile Day-Beaubié
14 juin 2024