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Triomphe pour Guillaume Tell à Lausanne : Claude Cortese a visé juste.

Triomphe pour Guillaume Tell à Lausanne : Claude Cortese a visé juste.

dimanche 13 octobre 2024

@Carole Parodi- Opera de Lausanne

Remarquable performance à l’Opéra de Lausanne pour l’ouverture de la saison 2024-2025, sous l’égide de son nouveau directeur, Claude Cortese, avec cette superbe production de Guillaume Tell de Gioachino Rossini, en version originale française, sous la baguette du chef Francesco Lanzillotta.

Une direction musicale envoûtante autant que poétique

Dès les premières notes, la maîtrise incontestée de Rossini dans l’art de créer des passages sonores est confirmée. L’ouverture, magistralement interprétée par l’Orchestre de Chambre de Lausanne, a envoûté l’auditoire par ses couleurs d’une grande beauté, des attaques franches et précises, des nuances presque chantantes … Une poésie pure se dégageait, tissant un lien presque organique entre le public, les lacs et les montagnes suisses.

Noir salle, rideau baissé, invitant les esprits à être attentifs. Quelle satisfaction de retrouver ce processus que certains qualifieront peut être de « désuet » mais avec lequel aucune distraction visuelle (pas de décors, ni de danseurs sur scène) ne vient troubler l’introduction, seule la musique suffisant à esquisser les lieux et l’époque !

La flûte et le hautbois, reprenant les motifs célèbres de l’œuvre, dessinent des paysages sonores, invitant l’auditoire à se plonger dans l’univers onirique de la Suisse pastorale. Pas de dispersion inutile, il suffit de se laisser porter par les airs célèbres et l’imagination prend le dessus : aucune déception donc. Le rideau demeure baissé, soulignant que la musique, en 1839 comme aujourd’hui, se révèle à elle seule capable de captiver l’audience. Les Lausannois appréciant à juste titre cette simplicité bienvenue et saluant l’intelligence de cette ouverture. Le public totalement subjugué a accueilli cette performance orchestrale avec des bravos sonores, attestant de l’alchimie parfaite entre les musiciens et le chef.

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@Carole Parodi- Opera de Lausanne

Une mise en scène sobre pour célébrer un personnage mythique

La mise en scène de Bruno Ravella vise à l’épure. Les décors signés Alex Eales, malgré leur sobriété, évoquent la nature, rendant hommage aux paysages helvétiques. L’art de la suggestion est ici à l’œuvre, laissant en conséquence les spectateurs se concentrer sur les voix : au final le plus important !

Les couleurs pastel des costumes de Sussie Juhlin-Wallen, contrastent avec celles des décors. Les teintes délicates des robes des villageoises se heurtent au rouge menaçant des uniformes autrichiens, créant une opposition visuelle symbolique entre innocence et oppression.

Rossini a judicieusement choisi d’évoquer musicalement la tragédie de Schiller : un drame de résistance et d’émancipation, s’attachant à dépeindre une quête de liberté collective plutôt qu’un simple soulèvement contre la tyrannie. Sa composition s’inscrit dans une vision plus humaniste, où le combat pour l’indépendance prend une dimension universelle. Son opéra, marqué par l’émergence du romantisme, s’éloigne des récits purement historiques pour pénétrer le domaine de la poésie. En donnant la part belle à l’individu, Rossini sublime la dimension intime du drame, nous livrant une musique où l’action politique s’élève au-dessus des sentiments. L’amour de la patrie passant avant l’amour d’une vie.

Guillaume Tell reste dans l’imaginaire collectif – et ce depuis plus de 600 ans – un symbole emblématique de la Suisse. Le personnage mythique fusionne avec l’histoire pour incarner un idéal de liberté, d’unité et de justice, valeurs résonnant encore avec force aujourd’hui.

Le premier acte vibrant d’une énergie bucolique fait l’éloge des danses et des fêtes pastorales suisses. L’idéal helvétique, magnifié par les thèmes du travail, de l’amour et de l’union se trouve violemment confronté à la brutalité de l’oppression autrichienne. On voit ici toute l’importance des symboles nationaux et du patriotisme.

La mise en lumière par Christopher Ash sublime l’ensemble, jouant intelligemment avec les contrastes entre le jour et la nuit, entre ombre et lumière. Ce traitement presque cinématographique accompagne avec subtilité les transitions émotionnelles de l’œuvre, notamment dans l’acte final où l’aube de la liberté éclaire la scène d’une manière presque religieuse, Guillaume Tell s’élevant sur une montagne avec le ciel qui s’éclaircit de façon presque prophétique.

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@Carole Parodi- Opera de Lausanne

Une distribution brillante chaleureusement acclamée par le public

Au centre de ce drame, Jean Sébastien Bou brille dans le rôle-titre. Son interprétation à la fois puissante et nuancée capture à merveille la détermination impassible du héros légendaire en peignant avec sensibilité l’amour d’un père, d’un patriote et d’un ami. Sa voix maîtrisée à la perfection dotée d’aigus brillants, d’un médium profond et sonore et d’un grave particulièrement bien ancré dans le corps confère au personnage une présence imposante, digne des plus grands barytons. Et l’acteur vaut le chanteur.

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@Carole Parodi- Opera de Lausanne

Julien Dran, dans le rôle d’Arnold, incarne avec acuité le conflit intérieur de son personnage, partagé entre son amour pour Mathilde et son devoir envers sa patrie. Son timbre clair et chaleureux et son interprétation bouleversante donnent vie à ce déchirement tragique. Emploi emblématique et très attendu des mélomanes, le ténor sort de ce défi vocal victorieux. Grâce à une tessiture étendue les contre-ut fusent. On s’émerveille de son « Asile héréditaire », et de sa prestation spectaculaire – oserait-on dire magistrale – car la voix éclatante reste fraîche tout au long de l’œuvre, qui rappelons-le dure plus de 4 heures !

A chaque air, le ténor est acclamé par un public en délire obligeant le chef à attendre la fin des applaudissements avant de continuer. La voix passe au-dessus de l’orchestre et du chœur sans problème « Aux armes ! » clame-t-il avec vaillance : oui, armons-nous devant un tel talent !

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@Carole Parodi- Opera de Lausanne

Olga Kulchynska, en Mathilde, séduit par une douceur exquise et une diction française impeccable.

Géraldine Chauvet (une Hedwige digne et maternelle) assure et touche par sa prière au ciel « Sauve Guillaume » ; le ciel l’entendra et la Suisse respirera.

La soprano lyrique léger canadienne, pleine d’entrain, Elisabeth Boudreault (Jemmy), dans le rôle travesti du fils de Guillaume Tell, brille par sa justesse et son timbre éclatant et ses pianissimi parfaitement exécutés qui apportent une sincérité touchante au personnage.

Sur « Laisse-moi mourir dans tes bras », sa voix cristalline enchante autant que dans l’air « Ah que ton âme se rassure », ou la pureté est joliment phrasée et la diction parfaite.

On découvre alors un père affaibli, rassuré par son enfant qui lui donne la force nécessaire pour accomplir son devoir afin que sa main ne tremble pas. Dans son sein, il place son courage et remporte cette épreuve avec force : « Je suis Guillaume Tell, enfin ! ».

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@Carole Parodi- Opera de Lausanne

L’anathème contre Gessler enthousiasme le public. On reste impressionné par la force vocale de Gessler (Luigi De Donato). On aime la couleur de voix légère comme une plume du jeune Sahy Ratia dans le rôle du pêcheur. On salue le Leuthold bien chantant de Marc Scoffoni.

Le chœur de l’Opéra de Lausanne, sous la direction experte d’Alessandro Zuppardo, ne se trouve pas relégué au second plan mais forme un véritable protagoniste collectif. Son énergie et son engagement apportent une profondeur supplémentaire à la narration de l’œuvre.

Cette production de Guillaume Tell recueille un triomphe, en atteste les acclamations du public après chaque air et une standing ovation au salut final.

Pari réussi et succès au rendez-vous pour le nouveau directeur de l’Opéra, Claude Cortese, qui nous rappelle que la quête de ce héros pour la liberté constitue une lutte universelle, intemporelle, mais avant tout profondément humaine.

Cécile Day Beaubié
13 Octobre 2024

Direction musicale : Francesco Lanzillota 
Mise en scène : Bruno Ravella
Décors: Alex Eales
Costumes : Sussie Juhlin-Wallen 
Lumières : Christopher Ash
Chorégraphie et assistanat à la mise en scène : Carmine de Amicis   

Distribution :

Guillaume Tell : Jean-Sébastien Bou
Mathilde : Olga Kulchynska
Arnold : Julien Dran
Jemmy : Elisabeth Boudreault
Hedwige : Géraldine Chauvet
Melchtal/WaleerFurst : Frédéric Caton
Gessler : Luigi De Donato
Ruodi, un pêcheur : Sahy Ratia
Rodolphe : Jean Miannay
Un chasseur : Warren Kempf
Leuthold : Marc Scoffoni

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne

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