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TOUT MON AMOUR, DE LAURENT MAUVIGNIER, AU THÉÂTRE NATIONAL DE NICE

TOUT MON AMOUR, DE LAURENT MAUVIGNIER, AU THÉÂTRE NATIONAL DE NICE

jeudi 23 mars 2023
Philippe Torreton avec l’ombre d’Ambre Febvre © Pascale Cholette.

Tout mon amour, mis en scène par Arnaud Meunier …ou traumatisme d’une famille amputée du tout dernier de ses membres. Elisa a six ans lorsqu’elle disparaît sans laisser de traces, laissant derrière elle une famille vidée de sa substance. « On n’oublie rien, rien de rien, on n’oublie rien du tout, on n’oublie rien de rien, on s’habitue, c’est tout ».
 
Cette famille n’échappe pas à la règle, interprétée par Jacques Brel en d’autres temps, et panse tant bien que mal l’absence de sens, occupe le temps, le long temps de dix longues années, déménage, part en voyage, invite des amis, va même jusqu’à passer un pacte pour ne plus jamais évoquer à nouveau le sujet de la disparition, faute de piste ; un pacte pour immoler l’espoir de retrouver l’enfant pour celui de retrouver sa liberté. Mais « ni tout cela, ni rien au monde ne sait pas nous faire oublier, ne peut pas nous faire oublier »…
 
Traumatisme d’une mère, scandé par la voix lancinante d’Anne Brochet (1), noyée dans le déni et l’isolement mental, ayant perdu le sens de l’écoute et de la relation au point de devenir incapable d’aimer le seul enfant qu’il lui reste ! Une mère disséquée entre sa volonté d’oublier et son incapacité charnelle à vivre au présent. Une mère destituée de son rôle de mère, une mère morte.
 
Traumatisme d’un père, incarné à merveille par Philippe Torreton (2), qui tente de garder sa dignité, ses pieds sur terre, mais qui est pourtant hanté par la présence des morts qui s’adressent à lui, à commencer par celle de son père qu’il vient d’enterrer sur les lieux de la disparition, dans ce village de leur passé. « Crève !!! » hurle-t-il au fantôme paternel tout juste décédé mais qui ne parvient pas à mourir, qui ne parvient pas à partir faute de vérité tangible sur la vie ou la mort de la progéniture disparue. « Même mort, je suis seul ! » se désespère le grand-père, dans la peau de Jean-François Lapalus, qui espère toujours voir sa petite fille ressuscitée. C’est peut-être pour cela qu’il porte un costume de couleurs, parce qu’il lui reste encore un peu de vie…
 
Traumatisme d’un fils et frère, admirablement interprété par Romain Fauroux : « j’avais huit ans, je crois que c’est bien comme âge, pour se souvenir », lance-t-il dans une tirade qui glace le sang.
 
Traumatisme de l’enfant concernée, Elisa. « Elisa comme asile », Elisa « la folle », incroyablement interprétée par Ambre Febvre. Par des gestes désarticulés et une voix aussi aigüe et aérienne que fragile, elle pose des notes de cristal sur des émotions perchées dans le vide ; le vide d’une famille, le vide d’une éducation, le vide d’une culture, le vide sidéral d’une existence. Fantôme ? Réalité ?
 
Traumatisme enfin d’une famille entière, affligée par les non-dits, où les dialogues des personnages, tous murés dans leurs propres deuils, se superposent, s’entrechoquent, s’opposent, tels des monologues sans pauses pour écouter l’autre et entendre une autre vérité.
 
Laurent Mauvigner, auteur de la pièce mais aussi officier des Arts et des Lettres et détenteur de nombreux prix littéraires, aborde la notion de deuil impossible avec des mots à fleur de peau : «Ça s’évapore comme la brume dans la bouche des anges ». Sa plume alerte laisse apparaître et communiquer les vivants et les morts, créant ce doute perpétuel sur la vérité.
 
En appui à ce silence angoissant des faits, à cette interpénétration du monde céleste au terrestre, Pierre Nouvel, scénographe, joue avec les cloisons transparentes et mobiles, nous faisant passer sans que l’on ait le temps de le réaliser, d’une pièce à une autre, de l’intérieur à l’extérieur, de la maison à la caravane… Autant d’angles de vue que d’interprétations, éclairés par Aurélien Guettard qui dessine des fenêtres de lumières et colore l’espace d’émotion.
 
« C’était un enterrement et ça s’est bien passé », mais qui est véritablement mort ? On se le demande encore…

Nathalie AUDIN
23 mars 2023 (1) L’actrice a reçu le prix Romy-Schneider en 1991 et le César du meilleur second rôle féminin en 1992. (2) Il remporte le César du meilleur acteur en 1996.

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