L’Opéra de Limoges a choisi de proposer Tosca de Puccini, un des opéras les plus populaires du répertoire. La production a vu le jour à l’Opéra national de Lorraine à Nancy en 2022 et a été reprise dans plusieurs maisons d’opéra (Toulon, Rennes, Angers Nantes Opéra). Elle est donnée à l’Opéra de Limoges dans une distribution entièrement nouvelle constituée de trois prises de rôles. L’ouvrage est d’autant plus proche du public de notre pays que Puccini et ses librettistes, Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, l’ont tiré de la pièce de Victorien Sardou au même titre à l’article près (La Tosca) (1887) qui a vu y triompher la grande tragédienne française Sarah Bernhardt.
Tosca est-elle un opéra vériste ?
Tosca de Puccini est souvent cataloguée dans l’école vériste. Les dates n’y sont pas pour rien. L’opéra est créé à Rome en 1900 et en version française à l’Opéra-Comique à Paris en 1903, le vérisme s’étendant de 1890 avec la création de Cavalleria Rusticana de Mascagni jusqu’à, en gros, les années 1910. Tosca se détache pourtant de la matrice du mouvement : l’ouvrage est en trois actes (pour deux pour Cavalleria avec un intermezzo), mais surtout par le milieu appréhendé. Les pulsions morbides dans la nouvelle de Giovanni Verga affectent le monde agraire du sud de l’Italie (la pauvreté engendrant la vendetta). L’opéra de Puccini met en scène une classe privilégiée : une cantatrice, un peintre voltairien, un chef de la police, un sénateur destitué de « la défunte république romaine » et sa sœur, l’Attavanti ; on célèbre un « Te Deum », on détaille une cantate, on écoute une mélopée champêtre. On notera comment Puccini oppose le monde de l’art à la cruauté des autorités politico-religieuses, les arrières-plans prenant un rôle déterminant dans Tosca, à voir le lien créé avec les pouvoirs par le sacristain ou les sbires. Pourtant si Tosca n’est pas typiquement un ouvrage vériste, sans doute n’existerait-elle pas sans le contexte de la « Giovane Scuola ». Peu d’ouvrages mettent aussi nettement la violence à nu que l’opéra de Puccini. Les trois principaux personnages (et même quatre avec Angelotti) ne réchappent pas de l’engrenage tragique qui s’est mis en place dès lors que démarre l’enquête de Scarpia alimentée par la jalousie de l’amante de Caravadossi.
On a souvent fait remarquer le petit nombre de formes closes (airs, duos) dans l’opéra, ces dernières pouvant rappeler le bel canto romantique antinomique de la « tranche de vie ». Certes elles sont bien intégrées au tissu symphonique, mais restent substantielles au regard de la brièveté de l’ouvrage. Les grands airs, presque les tubes, sont bien là, transposables au concert. On ne peut qu’être impressionné par les 1200 « 78 tours » auxquels a donné lieu l’enregistrement des principaux airs de l’opéra (version originale) ou de La Tosca. (version française).
La mise en scène baroque et fantastique de Silvia Paoli
Si la scénographie de base (signée Andrea Belli) peut surprendre par son apparent minimalisme elle ne préfigure en rien de la richesse de la mise en scène de Silvia Paoli et de la proposition d’ensemble, décor compris. Le spectacle s’ouvre sur un praticable qui ne rappelle pas les lieux où est censée se dérouler l’action (église San’Andrea della Valle, palais Farnese, château St Ange). Un vaste cadre cubique monochrome blanc permet à quelques éléments fonctionnels de se déplacer. Une scène tournante pour l’échafaudage du peintre permettra de créer une tension lorsque Scarpia et Tosca sont mis face à face, le camouflage cachant les travaux de peinture disparaissant. L’acte II est encore plus épuré, une longue table servant à rassembler dans le camp du pouvoir les acteurs du crime : le chef de la police et des cardinaux vêtus en rouge, partie prenante de la perversité et de la cruauté des autorités ; un des tortionnaires, Sciarrone, est d’ailleurs un ecclésiastique. Quelques scènes scabreuses mettent à mal le service automatisé des religieuses et incriminent Scarpia et ses complices. La blancheur du décor, la crudité des éclairages (Fiammeta Baldiserri) permettent de décrypter au scalpel l’étendue du mal. À l’acte III les grands pans du décor enserrent Tosca et Mario dans une nasse dont, on le sait, ils ne sortiront pas vivants.
La scénographie ne limite pas la mise en scène à une épure serait-elle déjà en elle même dénonciatrice. Deux éléments apparemment exogènes, notamment le premier, concourent à faire de la présence de l’abjection et de l’emprise sur les corps une vision heuristique. Le finale de l’acte I où se déroule le « Te Deum » est présenté comme une fresque baroque qui en mettant en scène la crucifixion de saint André peut évoquer Le Caravage ou les peintures de San’Andrea. L’épisode place la mort au centre de la proposition. Cette apothéose grandiose, si elle se détourne de la foule assistant à une cérémonie liturgique, est en parfaite congruence avec la somptuosité de la partition de Puccini.
Le deuxième élément est le choix de faire intervenir un ballet dans Tosca, ce qui ne vient pas à l’esprit quand on connaît les canons du vérisme. Les huit danseurs.ses masqué(e)s de noir et en uniformes revisités représentent les forces au service du chef de la police (l’hermaphrodisme laisse le choix du bestiaire évoqué). À l’acte II ils collaborent avec le pouvoir en violentant et en appuyant les actes de torture infligés à Mario, le corps ensanglanté de ce dernier étant exposé sans répit. Les murs eux-mêmes suintent des souffrances du quasi supplicié. La chorégraphie va ensuite tourner au fantastique ; d’abord en rongeant la dépouille de Scarpia, puis dévêtus, les sbires animalisés, puis fantomatiques participent aux conséquences des exécutions en figurant une hécatombe. L’ossuaire qui en résulte sera celui sur lequel s’effondrera Tosca qui, en réponse au tir de Spoletta, se donnera la mort à l’identique, les agents casqués ayant repris leur fonction première.
Cette mise en scène s’appuie dans sa totalité sur une direction d’acteurs précise. On suit les regards échangés, l’évolution de Tosca qui d’amante frivole devient la pièce maîtresse de la machine à broyer. Les autres personnages n’ont pas moins de présence ; comme dans un film, esthétique à la laquelle la référence est évidente, Mario s’inquiète du sort d’Angelotti, Scarpia mime la dévotion, Spoletta ne permet aucune échappatoire… Tout concourt à une réflexion sur le mal, les corps et les enjeux de la passion. Cette mise en scène a été bien reçue par le public.
Trois prises de rôles qui feront date
Le rôle mythique de Tosca revient à la soprano germano-arménienne Hrachuhi Bassénz qui est en saison à Dresde et distribuée sur plusieurs grandes scènes internationales, dans des rôles comme Desdemona, Leonora ou Violetta. La cantatrice sait faire vivre un personnage qui est le seul à vraiment évoluer dans l’opéra, le corps scénique participant de ce passage de la coquetterie à l’émergence d’une panique inaugurale déployée dans des situations inédites pour elle (bien qu’elle soit par son métier cantatrice). La voix est modulée, la musicalité timbrée, les couleurs raffinées, les sons sur le souffle, notamment dans le duo du troisième acte, superbes.
Elle s’accorde particulièrement bien au Mario de Jose Simerilla Romero ténor argentin, espagnol et américain de surcroît, familier d’un répertoire étendu (Alfredo, Nemorino, Pinkerton ou Lensky) défendu dans nombre de grandes maisons d’opéra (Staatsoper Hannover, Deutsch Oper de Berlin, mais aussi à Londres ou Tokyo). Les registres sont homogènes, l’émission riche et ductile, la projection solidement assumée. Le slancio du vérisme en s’accordant aux formes pleines de la mélodie signe un discours puccinien auquel il est rarement rendu une telle intensité. Le rôle est joué avec aisance, les scènes de souffrance aux actes II et III par un comédien investi laissant percevoir une vibration tragique puissante. Un interprète à suivre !
Dans Scarpia c’est à Tommi Hakala qu’il a été fait appel. Distribué dans de grands théâtres (Madrid ou le Met), ce baryton s’est confronté en Finlande d’où il est originaire à Wotan dans plusieurs opéras de Wagner. Le personnage exprime la noirceur du rôle ; son jeu se diversifie par rapport aux situations dictées par les rapports de force qu’il a lui même installés. La voix est à l’écoute des affects terribles et joue avec les qualités données au legato souple, aux accents bien vocalisés.
Pas de rôles secondaires dans un cast parfait
Angelotti, le sacristain ou Spoleta ont, en dehors de leur participation vocale, d’authentiques personnages à jouer. Ils font également progresser l’histoire.
L’Angelotti d’Antoine Foulon a le mordant et l’ampleur vocale voulus. La rondeur de la voix et le jeu bien conduit caractérisent le sacristain d’Andres Cascante. En Spoleta, Yoann Le Lan est parfait, la quinte aiguë complétant un sens maîtrisé de la scène. Très bien aussi Édouard Portal (Sciarrone) et Grégory Smolly (le geôlier).
Le public a plébiscité aussi bien la puissance vocale au finale de l’acte I du chœur de l’Opéra dirigé par Arlinda Roux Majollari que la justesse scénique des jeunes d’OpéraKids entre les mains d’Ève Christophe.
L’orchestre Symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle Aquitaine sous la direction de son chef Pavel Baleff donne tout son éclat à l’œuvre, sa dimension théâtrale bien sûr, mais aussi par les ruptures, les chromatismes, les spasmes, son ouverture sur les formes du langage opératique moderne qui n’en congédie pas pour autant le lyrisme intrinsèque de l’ouvrage. La lecture de l’orchestre a été largement associée au succès de la représentation.
Sur les trois dates le public a rempli la vaste salle de l’Opéra (1500 places!) et a fait un triomphe à la production.
Didier Roumilhac
16 mars 2025
Direction musicale : Pavel Baleff
Cheffe de chœur : Arlinda Roux Majollari
Cheffe de chant : Élisabeth Brusselle
Mise en scène : Silvia Paoli
Scénographie : Andrea Belli
Costumes : Valeria Donata Bettella
Lumières : Fiammeta Baldisseri
Distribution :
Tosca : Hrachuhi Bassénz
Mario Caravadossi : Jose Simerilla Romero
Scarpia : Tommi Hakala
Cesare Angelotti : Antoine Foulon
Le sacristain : Andres Cascante
Spoletta : Yoann Le Lan
Sciarrone : Édouard Portal
Le geôlier : Grégory Smolly
Orchestre Symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle Aquitaine
Chœur de l’Opéra de Limoges
Chœur d’enfants d’OperaKids
https://www.operalimoges.fr/tosca
En tournée :
Vichy (28 et 30/03/2025)