Le Pin Galant programme cette saison Tosca à l’occasion du centenaire de la disparition de Puccini (1858-1924). C’est la compagnie espagnole « Opéra 2001 », habituée du Pin Galant, et qui diffuse dans ses tournées les grands titres du répertoire d’opéra en Europe qui a produit le spectacle.
Quelques chiffres…
Tosca, votre moteur de recherche préféré vous le confirme, est dans le top 10 des opéras les plus joués au monde. Notre pays, on verra pourquoi, a toujours plébiscité l’ouvrage de Giacomo Puccini. Des chiffres… L’ouvrage, créé en 1900 à Rome, arrive dans la traduction de Paul Ferrier (l’auteur des Mousquetaires au couvent!) en 1903 à l’Opéra-Comique. Il y sera représenté sans pratiquement aucune interruption chaque année jusqu’à 1960. À partir de 1960 son passage à l’Opéra ne ralentit pas le rythme jusqu’à l’ère Liebermann comprise, puis très régulièrement après. On peut mettre en exergue les neuf représentations données avec Maria Callas et Tito Gobbi. Mais ceux qui ne juraient pas que par la Diva assoluta ont pu applaudir à Paris à la même période Renata Tebaldi, Christiane Castelli, Suzanne Sarroca ou Régine Crespin, souvent aux côtés des Scarpia de René Bianco ou Gabriel Bacquier.
À l’Opéra-Comique l’ouvrage est donné sous le nom de La Tosca, le titre de la pièce de Victorien Sardou de laquelle Giuseppe Giacosa et Luigi Illica ont tiré l’opéra. L’œuvre littéraire a joué un rôle particulier dans la genèse et la réception de La Tosca / Tosca. Puccini est subjugué par le jeu de Sarah Bernhardt qui incarne l’héroïne lors d’une représentation en 1889 à Milan (elle jouera le rôle jusqu’en 1913 privée de sa jambe droite amputée à la suite d’une représentation à Rio de Janiero où l’oubli malencontreux d’un matelas à la scène finale créa la catastrophe). Les Français qui sont attachés au texte dramatique ne pourront que se sentir les spectateurs privilégiés de sa transposition en opéra. Dans L’Avant-scène n° 11 Elisabeth Mazoires écrit : « Mais, par le génie qui l’habitait, Sarah Bernhardt a vraiment participé à la création de Tosca. Elle a imposé le personnage, lui a donné vie, sa vie. Sarah disparue, la pièce de Sardou n’a plus d’audience, mais l’opéra triomphe. Car Puccini a su capter le magnétisme de cette artiste exceptionnelle et, par son propre langage, y correspondre. » Les opéras ont souvent éclipsé les pièces de théâtre, Pelléas et Mélisande, Le Dialogue des carmélites ou Wozzeck par exemple, mais pas les textes classiques (Don Juan ou Les Noces de Figaro).
Enfin un dernier chiffre qui impressionne, celui des 1200 « 78 tours » qui ont été enregistrés des principaux airs de l’ouvrage !
Œuvre courte, épurée, elliptique et en cela très opératique, Tosca ne conserve pas de nombreux pans de la pièce de Sardou. En moins de 24 heures l’action déroule une emprise sur les personnages de la violence, du désir, des traumas mortifères. Même si certains contextes ethnologiques des débuts du Vérisme sont estompés, l’opéra ne permet à aucun personnage de réchapper d’une course à la mort qui embrase la dramaturgie. L’acte II notamment ne laisse rien percevoir de l’intériorité de Scarpia ramené à un strict jeu libertin et cruel. Si quelques moments lyriques sont une concession à l’esthétique de l’opéra romantique, ils restent sous le coup du drame. Ils ont parfois contribué à ce que Puccini, mal compris, soit regardé de haut, après la vague du wagnérisme et les partitions de Debussy en France, Pelléas et Mélisande étant concomitant de Tosca.
La scénographie et la mise en scène au Pin Galant
Au plan des décors le parti pris est celui du réalisme respectueux de l’œuvre. Les trois lieux romains presque emblématiques sont bien identifiés : l’église de Sant’Andrea della Valle, le palais Farnèse et le château S. Angelo. Mais, afin de leur donner plus de prégnance et de souligner l’influence qu’ils ont sur les personnages et la marche de l’action, le scénographe Alfredo Troisi propose pour le premier acte une vue en perspective de dessous et pour les suivants, sans modifier le cadre, les mythiques symboles des lieux concernés et le mobilier lui aussi ré-imaginé. Au dire du programme de salle : « L’utilisation d’une perspective déformée donne davantage de relief au drame et le rend plus suggestif et plus proche. »
Dans cette approche la mise en scène d’Aquiles Machado apparaît particulièrement vivante et animée. On constate au premier acte comment une église voit sa vie bouleversée avec l’arrivée d’un évadé politique, puis du chef de la police et de ses sbires, mais aussi comment les nouvelles de la guerre y parviennent, tous ces éléments étant partie prenante du drame qui se met en place dès les premières mesures. L’acte II dans un climat nocturne se déroule dans l’appartement du baron Scarpia que jouxte la salle de torture. Y parviennent aussi bien les échos de la fête donnée par la Reine de Naples que les hurlements de Cavaradossi supplicié. La direction d’acteurs est à son acmé avec l’exacerbation des passions et le rôle presque étrange joué par les nervis. Au dernier acte l’atmosphère est glaçante. Le metteur en scène a su faire exister l’idée de mort qui, par-delà ce que promet vainement le sauf-conduit, terrasse les deux héros.
Une distribution de choix.
David Baños, ténor espagnol spinto et dramatique, dans Mario Cavaradossi développe une ligne de chant très sûre dont le haut registre et les aigus assurent la vaillance, mais aussi dont le moelleux du medium donne au lyrisme toute son ampleur. Les deux grands airs « Recondita armonia », « E lucevan le stelle » et les grands duos ont trouvé l’interprète le plus juste et aussi le plus investi au plan du jeu.
Ce fut une très belle découverte d’écouter dans Scarpia le baryton géorgien Mamuka Lomidze que valorise un phrasé impeccable auquel s’intègrent sans démonstration excessive les accents terribles liés au rôle ; le legato, la rondeur des sons caractérisent un personnage qui cache parfois son jeu pour mieux se monter implacable.
La prise en compte de la totalité du rôle de Tosca est l’affaire de la soprano italienne Chrystelle di Marco ; dans un prélude au spectacle, une heure plus tôt, elle avait transmis sa conception du rôle attentive aux détails du livret et de la partition qui replacent l’itinéraire de Tosca dans une dimension mystique et cathartique. Le rendu est parfait : une voix puissante aux graves magnifiques, une projection sans faille dans une sorte de style vériste convaincant ; la passion, la colère (sentiment préféré au dire de l’artiste à celui de jalousie) et l’imprécation y trouvent une traduction qui accroche.
Un spectacle trouve aussi son public par le soin apporté aux seconds rôles ; là encore pas de points faibles avec Liu Haoran, excellent Angelotti, Antonio Giacobbe, pittoresque sacristain, Leonora Ilieva, agréable pâtre, ou encore Ma Ke (Spoletta), Daniele Cusari (Sciarrone), Aurelio Palmieri (un geôlier).
Le Coro Lírico Siciliano dirigé par Francesco Costa est à la fois sonore et totalement associé au enjeux de la mise en scène.
Martin Mázic à la tête de l’Orquestra Sinfónica « Opera 2001 » est attentif au plateau dont il éprouve l’effervescence. Les tempi sont aérés et nerveux, le tissu orchestral riche de couleurs.
Le public, venu très nombreux, a plébiscité la production en rythmant sans fin ses applaudissements.
Didier Roumilhac
27 novembre 2024
Direction musicale : Martin Mázik
Mise en scène : Aquiles Machado
Décors : Alfredo Troisi
Costumes : Sartoria Arrigo
Floria Tosca : Chrystelle di Marco
Mario Cavaradossi : David Baños
El Baron Scarpia : Mamuka Lomidze
Cesare Angelotti : Liu Haoran
Le sacristain : Antonino Giacobbe
Un berger : Leonora Ilieva
Spoletta : Ma Ke
Sciarrone : Daniele Cusari
Un carcelero : Aurelio Palmieri
Coro Lírico Siciliano (direction Francesco Costa)
Orquestra Sinfónica Opera 2001
Production : Opera 2001