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Théâtre National de Nice Les parents terribles de Jean Cocteau

Théâtre National de Nice Les parents terribles de Jean Cocteau

mardi 29 septembre 2020
Maria de Medeiros – Muriel Mayette-Holtz – Charles Berling – cc Vincent Bérenger

Au cours de l’hiver 1937, Jean Cocteau écrit Les Parents terribles, d’une part sur l’insistance de Jean Marais mais aussi pour faire face à une situation financière des plus préoccupantes. Il hésite entre deux titres : La Roulotte ou La Maison dans la lune. Il se met alors, non sans difficultés, en quête d’une salle car les directeurs parisiens ne sont pas enthousiasmés par le sujet. Finalement Roger Capgras accepte en novembre 1938 d’afficher la pièce au Théâtre des Ambassadeurs et inspire même à Cocteau le titre définitif de celle-ci : Les Parents terribles. Le 3 janvier 1939 la série de représentations est arrêtée par le Conseil municipal de Paris qui accuse l’auteur de mettre en scène l’évocation d’un inceste. Lors de la reprise au Théâtre des Bouffes Parisiens en octobre 1941 la presse collaborationniste se déchaîne contre la peinture acide de cette famille à son sens dépravée et obtient à nouveau l’interdiction de ce qu’elle considère comme un « déprimant spectacle, tableau d’une famille française où le proxénétisme, l’ordure morale, la prostitution la plus basse sont représentés sur scène comme l’image même de (nos) mœurs ».
Après-guerre Les Parents terribles connurent plusieurs reprises. Jean Marais, qui créa le rôle de Michel, la fit représenter en janvier 1977 au Théâtre Antoine à Paris où il assurait la mise en scène et jouait, cette fois-ci, le rôle de Georges.

En prologue à sa copieuse saison le Théâtre National de Nice a donc convié le public à (re)découvrir cette œuvre admirablement structurée, pour laquelle l’auteur fait preuve d’une remarquable maîtrise de l’écriture fondée sur la connaissance et la pratique de la littérature classique. Sous l’apparence (trompeuse) d’une pièce de boulevard (la femme, le mari, la maîtresse), Jean Cocteau transgresse habilement le vaudeville bourgeois à la manière de Labiche ou de Feydeau pour tisser la toile d’un inexorable drame familial qui confine à la tragédie grecque, empruntant à Sophocle le thème d’Œdipe/Jocaste (l’amour du fils pour la mère) qu’il avait déjà utilisé quelques années plus tôt, au premier degré, dans La Machine Infernale. 
On comprend qu’un maître éminent comme Luchino Visconti l’ait mis en scène à deux reprises : en 1945 en Italie, puis en France au Théâtre du Gymnase en 1946 (avec Serge Reggiani dans le rôle de Michel) 

Le leitmotiv général est celui des tourments ravageurs de l’amour pris au piège de voies sans issue : Georges supporte difficilement les caprices et la maladie de sa femme diabétique Yvonne laquelle idolâtre son fils Michel au point d’en oublier son mari. Ils habitent un appartement dénommé « La Roulotte » (référence à une évidente « instabilité de vie ») Tous trois sont désargentés et ne vivent qu’avec les subsides de la sœur d’Yvonne, Léonie, qui fut autrefois fiancée à Georges. Léonie – taisant sa rancœur – a continué à aimer Georges en secret, tandis qu’Yvonne se complaît dans sa relation possessive et équivoque avec son fils. Michel a fait la connaissance d’une jeune fille, Madeleine dont il est tombé amoureux et, avec la fougue de sa jeunesse, il annonce la nouvelle à ses parents. Cette révélation ne produit pas l’effet escompté car sa mère redoute l’insupportable déchirement de perdre son fils tandis que l’on apprend que Georges, le père, est en fait l’amant secret de Madeleine. Situation inextricable autant que tourmentée que tentera de dénouer Léonie, mais qui s’achèvera par le suicide d’Yvonne.

Le spectacle proposé par le Théâtre de Nice est sublime en tous points. La scénographie de Christophe Perton – qui propose une astucieuse et rapide transformation de La Roulotte en appartement de Madeleine – est à la fois imposante et feutrée. La musique d’Emmanuel Jessua (parsemée parfois de cris) aussi entêtante qu’inquiétante participe à merveille à l’ambiance de cette tragi-comédie. Tout au début les gammes lancinantes, synchronisent les convulsions d’Yvonne en une sorte de « transe rythmique quasi chorégraphique ». Les lumières d’Eric Soyer, assisté de Julien Chatenet, filtrent avec beaucoup de précision les parcimonieuses ambiances nocturnes de l’appartement. A la scène finale, lorsque le fond du décor s’ouvre comme pour libérer le carcan familial, la vidéo d’Yvan Bertin offre un ciel infini où s’inscrivent les signes du zodiaque comme emblématiques de la destinée chaotique des tribulations de cette « Roulotte » qui semble se mouvoir à l’écart du monde. On doit également à Christophe Perton l’adaptation et la mise en scène de ces Parents terribles et il convient de saluer la précision de sa direction des cinq magnifiques acteurs auxquels il impulse, dans l’atmosphère lourde de cet hallucinant huis clos, une énergie et un rythme de tous les instants. Muriel Mayette-Holtz dessine un impressionnant portrait de mère abusive, exclusive et tourmentée, en proie aux affres de la maladie mais capable de toutes les folies et de tous les excès pour conserver son fils, alternant gouaille et lassitude, jalousie et faiblesse, conviction et désespérance. Une grande et superbe leçon de théâtre.

Maria de Medeiros, actrice internationale et chanteuse (qui a tourné une centaine de films dont Pulp Fiction de Quentin Tarentino en 1994 et participé à autant de pièces de théâtre) porte ici – à priori- la voix de la raison, à savoir celle de Léonie qui tente de dissiper les turbulences psychologiques ravageuses de cette famille pour une remise en ordre improbable. Son incarnation, sobre et intériorisée mais pour autant intense, est particulièrement convaincante. On a également beaucoup aimé l’interprétation toute en retenue de Charles Berling, directeur du Théâtre Liberté de Toulon, dont la contribution au cinéma comme au théâtre est elle aussi abondante. Il sait être à la fois veule et faussement puissant lorsqu’il exige, pour des raisons purement égoïstes, le sacrifice de Madeleine à l’acte II. Cette dernière a toute la fragilité émotive et la sensibilité à fleur de peau de Lola Créton qui, à 26 ans, a déjà derrière elle une carrière significative. Quant à Emile Berling, jeune chien fougueux partagé entre les « deux femmes de sa vie » (Yvonne/Sophie et Madeleine), son attachant Michel moderne d’allure et impulsif de jeu se confronte, avec un indubitable bonheur, pour sa première apparition sur scène, à ses quatre prestigieux partenaires.

Un prélude d’automne théâtral superlatif pour le TNN qui laisse augurer une saison particulièrement excitante.

Christian Jarniat

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