Ce combat intérieur entre stagnation et renouveau interpelle avec acuité, tant il entre en résonance avec les luttes universelles que nous traversons, individuellement et collectivement.
Le Mirador, signé Stéphane Chavanis, explore avec justesse la tension entre ce qui résiste au changement et ce qui tente d’émerger dans un monde en constante mutation. À travers cette confrontation, la pièce nous invite à sonder notre propre capacité à nous réinventer. Les personnages, construits comme des archétypes, incarnent avec force ces dynamiques intimes et sociétales.
La qualité d’interprétation de chaque comédien impressionne. Thierry Azzopardi, dans le rôle du “Monsieur”, confère à son personnage une profondeur troublante, révélant toute la complexité d’un homme qui s’accroche au pouvoir, déchiré entre autorité et vulnérabilité. Face à lui, Hervé Monthulé campe avec intensité l’« Autre Monsieur », figure d’un renouveau impatient, animé par une volonté manifeste de renverser l’ordre établi.
Entre ces deux forces contraires, Nathalie Veck incarne « la Vérité » avec une présence diaphane et distille ses préceptes avec une gravité pleine de justesse, jouant un rôle de conscience, d’équilibre, voire de révélateur. Tout cela subtilement orchestré par le personnage du secrétaire, interprété avec sobriété et autorité par Pascal Terrien véritable maître du temps, qui règle les tensions et structure le déroulé avec une efficacité discrète mais déterminante.
La musique n’est pas en reste : les interventions au violon d’Élodie Siffert ponctuent la pièce avec une grande finesse. Tantôt respiration poétique, tantôt accentuation dramatique, elle agit comme un fil émotionnel, renforçant la densité et la tension de certaines scènes.
Les personnages portent en eux les fractures d’un monde en crise, partagé entre la peur de perdre ses repères et l’élan vital de la transformation. Ce théâtre de l’intime s’élève ainsi à une réflexion plus large : comment changer lorsque nous sommes enfermés dans nos certitudes et nos habitudes ? Comment briser les murs que nous avons nous-mêmes érigés ?…
Telle une fable contemporaine, Le Mirador agit comme un miroir tendu à notre époque. Sa mise en scène audacieuse, ses dialogues ciselés, son rythme maîtrisé et ses instants de grâce musicale composent une immersion rare, aussi sensorielle qu’intellectuelle.
Portée par une écriture dense et une interprétation habitée, la pièce de Stéphane Chavanis réussit l’exploit de conjuguer gravité et légèreté, questionnements existentiels et touches d’humour décapant. Comment ne pas être saisis par cette capacité à faire coexister le rire et la lucidité, dans un équilibre d’une grande finesse ? Le Mirador œuvre puissante et captivante, plonge le spectateur au cœur des contradictions de la conscience humaine en une expérience théâtrale forte, à la fois sensible et stimulante, dont ont sort bouleversés, questionnés… et peut-être un peu « transformés »1
Christian Jarniat
19 avril 2025
1Prochaines représentations au Théâtre des Variétés à Monaco en novembre
