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THEÂTRE DE BÂLE : LA WALKYRIE ou le 1er jour du RING, amour, douleur, solitude…..

THEÂTRE DE BÂLE : LA WALKYRIE ou le 1er jour du RING, amour, douleur, solitude…..

jeudi 5 juin 2025

© Ingo Hoehn

Dans cette première journée du RING de Benedikt von Peter, Brünnhilde, la fille préférée de Wotan a grandi, depuis l’Or du Rhin. A nouveau dans le noir, résonne la voix parlée de Brünnhilde. Tandis que des dessous de la scène monte le son à la fois puissant et invisible de l’ouverture menée à un rythme foudroyant par Jonathan Nott à la tête d’un Orchestre symphonique de Bâle excellent, on découvre au fond Wotan en train de fendre du bois au pied du frêne à grands coups de hache, tandis qu’au premier plan à gauche sont en train de festoyer (hydromel ou bière ?) huit Walkyries aux allures de rockeuses rassemblées autour d’un feu de camp, dont les flammes brûleront tout au long de cette première journée du Ring.
Ce sera ce thème du feu, que l’on verra en permanence durant ce Ring à l’instar de la rampe de flammes au seuil de la maison, ou de la flamme immense surgissant du trou d’entrée du Nibelheim – ce trou que Wotan a ouvert à grands coups de maillet dans l’Or du Rhin, et qui demeure béant. C’est d’ailleurs là que les Walkyries feront basculer les héros morts dans des sacs mortuaires en plastique. L’effet sinistre est garanti. Comme dans le Prologue, le public s’habitue à cette proximité avec les chanteurs-acteurs à portée de main du premier rang, surtout lorsque Wotan, toujours exceptionnellement interprété par Nathan Berg, est venu s’asseoir sur une chaise au bord de la scène et a continué ses ressassements mélancoliques, dans sa pauvre chemise froissée et son pantalon flasque, avec ses rides, ses cheveux broussailleux et ses yeux fatigués de dieu fragile et déboussolé.

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© Ingo Hoehn

La mise en scène de Benedikt von Peter se poursuit comme dans le prologue avec les images irréelles, les anachronismes, les prémonitions, dans une manière de temps immobile, comme si toutes les époques du Ring cohabitaient dans un même espace-temps. Une Brünnhilde, enfant, adolescente et puis adulte, assiste à tout, témoin muet, avant son entrée en jeu au deuxième acte ; il y a toujours au premier plan le théâtre de marionnettes et le jeu de poupées (dragon, filles du Rhin, crapaud, mini-Siegfried en armure), auxquels s’ajoute maintenant un calme cheval blanc, passant à l’arrière-plan dans une demi-pénombre. C’est bien sûr Grane le cheval de Brünnhilde et aussi un petit garçon, dont on comprendra vite que c’est Siegfried enfant, auquel son grand-père expliquera le passé, le présent et l’avenir…

Dans la maison qui symbolise le Walhalla, on voit vivre Fricka, Froh et Donner dans leurs appartements, tels les membres d’une famille bourgeoise, tandis que le feu de camp des Walkyries évoque l’antre de Hunding, où est retenue la frêle et menue Sieglinde, interprétée par Theresa Kronthaler à la chevelure rousse comme celle de Siegmund, Ric Furman.

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© Ingo Hoehn

Le leitmotiv de l’amour magnifié au violoncelle, puis aux cordes, reste en arrière-plan de leur coup de foudre immédiat. La voix de Theresa Kronthaler est étonnamment solide et charnue, celle de Ric Furman claire et puissante. Son Siegmund, robuste jeune homme dont l’héroïsme est davantage dans la voix, très projetée et puissante, que dans la présence physique un peu lourdaude. Il est vrai que les costumes (nuisette pour elle et caleçon, chaussette et boots pour lui ne les avantagent guère. On retient également le Hunding, interprété par Artyom Wasnetsov, à la stature gigantesque et au crâne chauve, autre voix de grand calibre.

Jonathan Nott s’attache à faire ressortir une écriture musicale différente de celle de l’Or du Rhin, beaucoup plus mélodique, manquant certes d’un peu d’élan, de fougue et de la passion entre les deux jumeaux. Pendant leur dialogue et leur lente approche l’un de l’autre, et tandis que Hunding s’endormira sur la table, assommé par le somnifère que lui aura fait boire Sieglinde, on va voir Wotan s’approcher doucement du frêne, y planter l’épée et s’enfuir à pas de loup.
Theresa Kronthaler est d’une étonnante intensité dans le récit de l’épée, « Eine Waffe lass mich dir weisen », dominant sans mal le leitmotiv joué par les cuivres et violons déchaînés, et stimulant Ric Furman soulevant superbement son « Halt ich die Hehre umfangen » .En revanche, juste après, son Chant du printemps restera piètrement en manque d’exaltation et de sève. À sa décharge, est-ce une bonne idée de lui faire enlever précipitamment chemise et pantalon juste avant, on se le demande… C’est en tout cas dans cet accoutrement qu’il arrachera triomphalement l’épée.

Autre moment ridicule et grotesque : c’est en sous-vêtements que tous deux termineront un premier acte orchestralement somptueux, un peu languissant, réfugiés dans la maison comme deux enfants coupables. L’engagement de Theresa Kronthaler, éclatante dans son « Du bist der Lenz », la maturité de son timbre, ses phrasés envoûtants décidément soulèvent à eux seuls le duo final et amènent le libérateur « Siegmund heiss ich ! » de son jumeau. Sauvés ? Non ! Dans une fin fulgurante (comme Wagner les aimait), Hunding surgira de nulle part pour s’emparer de Sieglinde et l’emporter au loin, tandis que les fourbes de Donner et Froh se saisiront de Siegmund pour le ficeler sur une chaise et le bâillonner.

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© Ingo Hoehn

Tout est spectaculaire dans ce Ring comme le déchaînement des Walkyries rockeuses au début du second acte. A défaut de chevaucher, elles envahissent la scène, motardes et gothiques, courent dans tous les sens, traînent des cadavres. Wotan affronte Fricka dans sa grande scène où elle défend le serment sacré du mariage « Der Ehe heiligen Eid » avec fougue et énergie. Solenn’Lavanant Linke campe une Fricka, jeune, élégante dans un tailleur très couture et est absolument terrifiante dans son long monologue « So ist denn aus » et furieuse dans son air « Lass von dem Wälsung » provoquant chez Wotan, trop lâche et veule, le renoncement qu’elle souhaitait. Dans cette scène, grâce à la direction d’acteurs très juste de Benedikt von Peter et à un investissement total et convaincant, Solenn’Lavanant Linke, trouve son rôle fortement stratégique. Ainsi, Fricka prend le pouvoir et la défaite de Wotan est plus que cocasse.

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© Ingo Hoehn

Dans son très long récit, (la confession de Wotan à Brünnhilde) Nathan Berg est génial et très bouleversant. Sa voix est magnifique, puissante, profonde, tout en conservant la finesse et la justesse. Il ne chante presque pas, mais dit son texte en très grand acteur. Las, le teint pâle, il ramasse tous les jouets d’enfants, les pose sur cette grande table, va s’asseoir à côté de Brünnhilde, et lui raconte sa conquête de l’or, sa rencontre avec Erda (la mère de Brünnhilde) tout cela dans un parlé-chanté étonnant. Il est soutenu par l’orchestre qui est sublime, avec des cordes veloutées, les cors voilés… C’est ainsi que Brünnhilde apprend ses origines et ce qu’elle doit faire pour que les Dieux échappent à leur fatalité. Malheureusement pour Wotan, elle va lui désobéir et refuser d’abattre Siegmund.

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© Ingo Hoehn

Un autre moment très fort est celui où Sieglinde supplie Siegmund de s’échapper et la fuir. Theresa Kronthaler sublime cet instant avec des élans de générosité et de désespoir, de tendresse notamment dans son air « wehre dem Kuss des verworfnen Weibes nicht ». De l’orchestre s’élève alors le thème de l’amour (à la clarinette). On aperçoit au fond Grane, le cheval blanc, puis apparaît Brünnhilde qui essaie de convaincre Siegmund de la suivre au Walhalla. Le temps d’une dernière étreinte entre les jumeaux incestueux, la fin du second acte est sanglante et très brutale. Donner et Froh, tels des mafieux, surgissent du Walhalla et enlèvent Sieglinde. Hunding survient, grognant, accompagné de deux comparses. Siegmund veut se battre, mais Wotan apparaît, saisit l’épée, la brise sur son genou, puis empoignant sa lance, tue successivement Siegmund et Hundig. Toute cette scène violente sous les yeux du petit Siegfried.

Le troisième acte débute à nouveau avec la voix off de Brünnhilde. Montée à la façon Game of Thrones, la scène des Walkyries sera spectaculairement macabre, avec un ciel d’orage, des éclairs au loin, le cheval blanc frémissant d’effroi et des cadavres de héros basculés dans le trou des Nibelungen. Surgissent les huit Walkyries avec des looks de hard rockeuses en furie et des voix déchaînées, sous les yeux de Brünnhilde terrifiée qui leur raconte le meurtre de Siegmund par son père, et les supplie de l’aider à soustraire Sieglinde et le petit garçon à la fureur de Wotan. Mais ses sœurs Walkyries, à l’idée de désobéir, se dérobent lâchement. A ce moment, Brünnhilde pose sur le visage du petit Siegfried le masque de loup qui figurait parmi les jouets de l’Or du Rhin. En fait, le Loup, c’est Wälse, son grand-père. Elle chante alors, dans son exaltation, et Trine Møller y déploie toute sa voix, l’un des plus beaux thèmes, celui de la rédemption par l’amour, qu’on n’entendra qu’une seule fois encore tout à la fin de Götterdämmerung. C’est à ce moment que Wotan transperce Sieglinde de sa lance.

On était déjà convaincu que Nathan Berg est un formidable Wotan. Il est à nouveau dans cette Walkyrie, grandiose de fureur, de noirceur, allant jusqu’à mimer le geste d’étrangler Brünnhilde. Sa voix est immense, à la démesure des rugissements de l’orchestre. Son air « aus meinem Angesicht bist du verbannt »  allie de façon inséparable la rage, la déception, la rancœur, l’amour blessé, criant presque et c’est extrêmement beau.

Une belle image est celle des Walkyries qui s’entassent au-dessus de Brünnhilde pour la protéger de la violence de Wotan, tout en hurlant leur « Hör Unser Flehn » Mais Wotan les chasse, tandis que Donner et Froh, emballent le petit corps de Sieglinde et le jettent dans la fosse commune.

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© Ingo Hoehn

Le calme retombé, Brünnhilde peut enfin essayer de se justifier. Trine Møller est d’une émouvante sincérité. Son père, soudain presque apaisé, commence à exprimer son amour profond, sa douleur et sa solitude et son dessein d’endormir sa fille jusqu’à ce qu’un simple mortel vienne l’éveiller et en fasse une femme.

Tandis que, dans la maison, Fricka, Froh et Donner enfilent leurs manteaux et se préparent à partir et Wotan se saisissant de sa vieille valise et de sa lance pour devenir le Wanderer, on voit entrer le fragile et touchant Mime qui emporte dans ses bras l’enfant Siegfried endormi.

Le thème de Siegfried se fait entendre, tandis que Brünnhilde supplie de toute sa force qu’on la protège pendant un sommeil qui risque d’être long. Wotan allume alors une longue allumette et c’est la rampe de flamme qui veillera sur le sommeil de Brünnhilde, dans la maison devenue rocher après avoir été Walhalla. Le « Leb wohl ! » par Nathan Berg a toute l’ampleur que l’on attend, mais, quand les résonances de l’orchestre s’apaisent et que les cordes font chanter le thème des adieux, c’est dans sa déploration « Der Augen leuchtendes Paar » que le dieu infortuné, monte encore d’un cran dans l’émotion, et sa voix se brise presque en lui donnant le baiser qui prive Brünnhilde de sa divinité. Et dans un rire diabolique, il efface cette fragilité et demande à Loge d’allumer les flammes. Fin bouleversante et pleine d’émotion pour cette première journée du RING bâlois.

Marie-Thérèse Werling

Direction musicale : Jonathan Nott
Mise en scène : Benedikt von Peter, avec la collaboration de Caterina Cianfarini
Scénographie : Natascha von Steiger
Costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Roland Edrich
Dramaturgie : Roman Reeger

Siegmund : Ric Furman
Sieglinde :Theresa Kronthaler
Hunding : Artyom Wasnetsov
Wotan : Nathan Berg
Brünnhilde :Trine Møller
Fricka : Solenn’ Lavanant Linke
Helmwige : Lucie Peyramaure
Gerhilde : Sarah Marie Kramer
Ortlinde : Sarah Brady 
Waltraute : Jasmin Etezadzadeh
Siegrune : Valentina Stadler
Rossweisse : Camille Sherman
Grimgerde : Sophie Kidwell
Schwertleite : Marta Herman
Erda : Hanna Schwarz
Froh : Ronan Caillet
Donner : Michael Borth
Mime : Karl-Heinz Brandt

Orchestre symphonique de Bâle

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