Audrey Schebat autrice, scénariste de cinéma et de télévision, metteuse en scène s’était notamment fait remarquer avec sa pièce La Perruche au théâtre de Paris en 2017. Elle narrait les démêlés d’un couple (incarné par Barbara Schulz et Arié Elmaleh) attendant ses amis pour dîner lesquels n’arriveront jamais. A chercher les raisons de cette absence, les conjoints se disputaient et, très vite, en confrontant leurs visions radicalement opposées, ils enchaînaient les quiproquos absurdes et les révélations intimes, remettant en cause, sans s’en rendre compte, les fondements de leur propre couple malgré leurs 20 ans de mariage.
Cette thématique en question est reprise 6 ans plus tard dans La Note autre pièce écrite et mise en scène par Audrey Schebat et interprétée par Sophie Marceau et Francois Berléand (création à Paris au Théâtre des Bouffes Parisiens en septembre 2023) et à l’affiche d’Anthéa théâtre d’Antibes pour 3 représentations à guichets fermés.
Elle débute ici par un prologue à rideau fermé : la célèbre barcarolle des Contes d’Hoffmann chantée par une soprano qui traverse les rangs des spectateurs, contrepoint parabolique et humoristique en regard du sujet de la pièce « Belle nuit, ô nuit d’amour / Souris à nos ivresses / Nuit plus douce que le jour / Ô, belle nuit d’amour …»
Or la « belle nuit » s’annonce mal lorsque le rideau s’ouvre car Julien, psychanalyste renommé, est sur le point de se pendre dans son salon. Juste au moment du grand saut vers le néant sa femme Maud, célèbre pianiste concertiste, de retour de voyage, survient prématurément arrêtant son geste fatal qui suscite évidemment une explication et à nouveau s’ouvre la confrontation nocturne d’un couple au point de rupture.
Julien a-t-il – avant sa tentative avortée – rédigé une lettre d’adieu à son épouse et à ses deux enfants ? A priori non ! Pas même une simple note, une pensée pour ceux que l’on aime ?… (de fait cette note n’a jamais abouti car les nombreux essais de rédaction de Julien se sont avérés infructueux). Et peut on vouloir mourir parce que l’on ne se supporte plus ?… Et si « la vie n’est pas amusante » faut-il pour autant se pendre ?… Peut être à ce moment suprême Julien, lassé de ses patients et de la monotonie angoissante d’une destinée insondable, voulait-il, l’espace d’un instant, « exister en étant lui » ?… Nous voici au cœur du dilemme.
Car le moment du règlement des comptes est venu : celui de la pérennité même d’un couple trop enlisé dans son quotidien professionnel et ses fades habitudes pendant plus de deux décennies pour n’avoir pas vu venir sa cinquantaine. Quel est le sens et la valeur de la vie sur laquelle le temps a – trop vite – passé ? « Tout ce qui reste de ce que l’on a pas pu être »… « On n’est qu’un point dans l’univers il faut se construire ». Et le reproche fuse : « Je te déteste parce que tu n’as pas su faire de nous quelque chose ».
La vie entière de Maud rime avec une unique passion née dès l’enfance : la musique et le piano. Elle a visé la perfection allant de succès en standing ovations jusqu’à sa nomination comme « Artiste de l’année ». Cela suffit-il à combler une existence ?… Julien de son coté ne nourrit-il pas des doutes profonds sur le métier de psy ?… Il aurait voulu être Freud ou Lacan ? Mais Maud rêvait pour sa part « d’être compositeur, de faire partie de ces génies créateurs ». Mais lui manquait « le feu divin pour composer ». Désillusions…« A la fin de la vie il n’y a pas de cadeau au mérite ». Maud, lucide, évoque en outre l’usure du temps, la fatigue, le désir qui s’émousse : « Je n’ai plus envie qu’on me touche, je ne veux plus de tension. Je ne veux plus avoir de besoin »
Que faire alors quand on a plus de rêves ?… Quand le romantisme n’apparaît plus qu’un vain mot ?… Céder à la fatalité, à l’usure et se quitter ?… Ou rester vivants et partir loin pour tenter de s’aimer à nouveau et reconstruire l’équilibre de ce « nous » au lieu de l’incertain et univoque « je ». Saisir cette ultime chance de se réinventer et ne plus revenir…Fantasme – encore – ou réalité ?…
Servant avec talent le texte subtil et pour autant drôle d’Audrey Schebat – par ailleurs excellente directrice d’acteurs – Sophie Marceau et François Berléand entrent à la perfection dans la peau de leurs personnages respectifs : elle tour à tour fine, élégante, lucide et émouvante, lui désabusé, bougon et néanmoins attendrissant. Ils rallient tous les suffrages d’un public unanime dans ses applaudissements longs et nourris.
Christian Jarniat
1er Février 2025
Texte et mise en scène : Audrey Schebat
Assistante mise en scène : Stéphanie Froeliger
Scénographie : Jacques Gabel
Lumières : Laurent Béal assisté de Didier Brun
Costumes : Ariane Viallet
Musique : Ayten Inan
Son : Florent Livet
Distribution :
Maud : Sophie Marceau,
Julien : François Berléand
Production : Richard Caillat – Arts Live Entertainment – Fimalac Culture, en accord avec le Théâtre des Bouffes Parisiens
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