En ce dimanche, le Théâtre Croisette joue à guichets fermés. Affluence réjouissante pour un spectacle dont l’opéra est le sujet (certes traité à la manière d’une énorme pochade désopilante). Mais quel public ? Celui des fervents amateurs de chant lyrique qui veulent s’amuser de la parodie d’un art réputé « sérieux » ou celui attiré par l’annonce d’un show burlesque à la fantaisie débridée ? Peut-être les deux, mais en tous cas, pour la circonstance, un auditoire intergénérationnel de 7 à 77 ans comme le proclamait le slogan du Journal de Tintin (dans lequel une certaine Bianca Castafiore pourrait être considérée comme la préfiguration de ces « Locos »… bien que l’on baigne ici dans une toute autre ambiance !) Si le spectacle fait le plein c’est grâce à une publicité attractive et un bouche à oreille ayant parfaitement fonctionné. A Cannes il s’agissait de la 177ème représentation et le succès recueilli après de longs mois de tournées est tel que cette production sera reprise prochainement au Théâtre Bobino à Paris du 2 Novembre 2022 au 29 Janvier 2023 (et ce pour la troisième saison !).
Dans un décor de couleur bleue qui évoque les tentures d’un théâtre et en fond de scène une sorte de baie en arrondi entourée d’un néon fluorescent avec un rideau de scène qui s’ouvre et se ferme au gré des numéros, cinq chanteurs d’opéra excentriques se réunissent pour un récital. Leurs costumes qui s’harmonisent parfaitement avec le décor sont à la fois somptueux, chamarrés, sophistiqués autant que drôles. Chacun des interprètes est maquillé à outrance à la manière de clowns avec d’invraisemblables perruques. Mais attention nous sommes prévenus : ici l’histoire n’est pas celle d’un ouvrage lyrique, mais celle de Maria, Txitxi, Ernesto, Carmen et Alfredo les fameux « Locos » aussi déjantés qu’attachants aux égos démesurés et en mal d’amour qui vont s’interpeller, se répondre et régler leurs comptes en n’utilisant que les plus grands airs d’opéra et en ne communiquant entre eux que par onomatopées comme dans un dessin animé.
Tout débute avec le chœur des hébreux « Va pensiero » de Nabucco de Verdi, et La Traviata avec l’entrée des invités au début de l’acte 1. Ce prélude devient répétitif à la manière d’un leitmotiv tout comme celui de l’intermezzo de Cavalleria Rusticana de Mascagni qu’on entend à plusieurs reprises. On passe de la mélodie napolitaine « O sole mio » en duo baryton /contre-ténor (Florian Bisbrouck et Michael Koné) à la mélodie française « Plaisir d’amour ». Les mêmes emprunteront des voix féminines pour la barcarolle des Contes d’Hoffmann. Puis s’installe une leçon de chant entre le professeur et son élève illustrée par la cabalette de Figaro du Barbier de Séville de Rossini qui vire in fine à quelques pas d’une danse frénétique à la manière de Michael Jackson. De quoi entrainer évidement l’enthousiasme du public. Car ici la pop musique fait bon ménage avec l’opéra. On se retrouve ensuite dans la loge du ténor (Tony Boldan) extrêmement ventripotent comme il se doit : il entonne quelques notes d’un air et tousse immédiatement au moment où la soprano (Diane Foures) tente de lui faire une déclaration d’amour, tirée de La Traviata. Ce ne peut être que : « Alfredo t’amo ». Il faut dire qu’on fait ici des déclarations en chantant, tantôt joyeuses (parfois sous la douche) tantôt dramatiques mais toujours assorties d’un contrepoint comique fut-il grinçant. Il en va ainsi lorsque le ténor chante l’air de Paillasse (de Leoncavallo) : un solo poignant puisque le héros prend conscience qu’il est trahi par son épouse. A ce moment là descend des cintres une corde à nœud coulissant, invitant le protagoniste à se pendre. Dans le même registre « humour noir » pour le célèbre “My Way” le ténor transporte une bonbonne de gaz en guise d’instrument de suicide. Au final il entonnera l’aria où l’amour se veut conquérant avec une promesse de victoire : « Vincero ! » du célèbre « Nessun dorma » extrait de Turandot de Puccini.
Madame Butterfly tient certes, une fleur dans sa main et dans Carmen, les interprètes s’accompagnent bien de castagnettes. La soprano jongle avec les vocalises de la Reine de la Nuit de La Flûte enchantée. Mais pour Samson et Dalila, la mezzo-soprano (Margaux Toquet) descend, toutes voiles dehors, dans la salle afin d’exécuter un véritable numéro de “rentre-dedans” en s’asseyant sur les genoux d’un spectateur à qui elle adresse voluptueusement son air célèbre « Mon cœur s’ouvre à ta voix ». Elle le prend ensuite par la main et l’entraîne sur la scène afin de l’associer aux facéties de la troupe pour le grand bonheur des spectateurs.
Une master class est organisée à l’initiative du baryton sur l’air de “La plume au vent” de Rigoletto et le public divisé pour la circonstance entre hommes et femmes doit suivre la leçon du Maestro qui le dirige de sa baguette sur scène et répondre en chœur à ses sollicitations musicales. Idem pour la mélodie célèbre de Rossini “Funiculi Funicula”. L’interactivité règne et le public conquis donne de la voix prouvant ainsi qu’il connait ses classiques !…La standing ovation finale démontre aussi qu’il les aime et que le sourire, voire le rire, est une manière pertinente de les aborder surtout livré par une troupe de pareils talents.
Avec : Tony Boldan (ténor) (en alternance avec Florian Laconi), Florian Bisbrouck (Baryton) (en aternance avec Laurent Arcaro), Diane Foures (soprano), Margaux Toquet (mezzo-soprano), Michael Koné (contre-ténor)
Dominique Plaideau (adaptation française) Caroline Roelands (chorégraphie) Karim Mecheri (son) David Ottone, Joe O’Curneen, Illana (direction artistique et mise en scène) Tatiana Desarabia (création costumes/décors/maquillages)
Christian Jarniat
9 octobre 2022