Peu d’opéras de Verdi ont eu autant de problèmes avec la censure qu’un Ballo in maschera.
En 1859, année de sa création, un drame impliquant un régicide, une scène de magie et un amour extraconjugal était scandaleux pour beaucoup : pour Verdi, il s’agissait d’un défi auquel il ne pouvait renoncer.
Au cours de cet opéra, deux évènements radicalement différents se déroulent : une fête et une conspiration. Au centre de ce drame, se trouve Riccardo, gouverneur de Boston, inconscient du danger qui le menace, ne pense qu’à son amour pour Amelia, épouse de son fidèle et meilleur ami Renato. C’est précisément la découverte de ce sentiment qui suscite la jalousie de Renato et l’incite à se joindre aux conspirateurs pour se venger lors du funeste et fatal bal masqué.
Ce magnifique opéra de Verdi voit le retour glorieux et triomphal du maestro Riccardo Muti, qui confirme incontestablement avec cette nouvelle prestation sa pleine harmonie avec l’Orchestre et le Chœur du Regio Teatro de Torino. En plus, le maestro retrouve l’une de ses œuvres de prédilection, dont il nous a offert une lecture d’une rare profondeur.
Le metteur en scène Andrea de Rosa a choisi de situer ce Bal masqué turinois, non pas à Boston, ni à Stockholm, mais à Naples au 17e siècle. Les décors somptueux de Nicolas Bovey, dévoilent l’intérieur d’un palais napolitain, avec un immense escalier symétrique (à gauche et à droite) qui mène à l’étage supérieur.
Au premier acte, le rideau se lève au lendemain d’un bal au palais de Riccardo, avec des invités, tous masqués, titubant à moitié ivres, dans une atmosphère de décadence. Le palais se divise au milieu au second acte, pour révéler, dans un étrange brouillard verdâtre, la tanière horrible et abjecte, jonchée de cadavres, d’Ulrica, sorte de prophétesse juchée sur un plateau situé en hauteur et entourée de six assistants. Au dernier acte, la chambre de Renato et le somptueux cabinet de Riccardo sont aménagés dans une grande pièce avec un autre escalier, cette fois-ci central, menant à une loggia au premier étage, servant ainsi de vaste salle de bal, richement éclairée et décorée pour le bal masqué fatal.
Les riches et beaux costumes d’Ilaria Ariemme recréent une certaine liberté quant à la période historique (on se serait cru dans Rigoletto). Les éclairages de Pasquale Mari, qui utilisent aussi des bougies, mettent en valeur les décors. On regrette cependant des mouvements chorégraphiques d’une banalité embarrassante, qui remplissent trop la scène. De plus, l’utilisation généralisée de masques sur le visage des chanteurs manque sérieusement d’objectif clair et entrave au final leur capacité à exprimer leurs émotions, surtout au premier acte.
Dans le rôle de Riccardo, le ténor Piero Pretti peut compter sur la santé et l’éclat de son aigu. Mais son Riccardo sonne parfois un peu pâle et privé de personnalité. Ainsi comme la mise en scène, le personnage de Riccardo ressemble davantage au Duc de Mantoue. En revanche, l’Amelia de Lidia Fridman est très engagée dans son interprétation scénique, mais manque d’instants de douceur dans la voix qui s’avère trop raide pour ce rôle. Elle révèle surtout une ligne vocale pas toujours homogène et des sonorités parfois trop métalliques qui ne conviennent pas aux élans lyriques. Ainsi on est resté sur sa faim dans le grand duo du second acte, avec Riccardo, et ils n’ont pas su rendre cette extase, presque tristannienne à leur amour déclaré.
Le Renato de Luca Micheletti aurait été le meilleur élément de la soirée si une indisposition (de plusieurs jours déjà) n’était venue gâcher sa prestation, comme annoncée avant le début du spectacle par le Directeur du théâtre. Il a assuré son grand air avec panache.
Alla Pozniak tient le haut du pavé dans sa grande scène. De sa voix sombre de contralto, elle campe une sorcière aussi effrayante par l’allure que par sa voix.
Damiana Mizzi a interprété Oscar, le page de Riccardo, avec un grand aplomb. Elle possède l’agilité et les notes aiguës requises pour ce rôle, le tout dans un esprit frais, juvénile et une grande fraîcheur dans sa voix.
Les chœurs du Teatro Regio, bien préparé par leur chef Ulisse Trabacchin, très sollicités dans le bal masqué, sont excellents.
L’interprétation du Maestro Riccardo Muti, a dégagé une puissance expressive équilibrant parfaitement les ombres et les sourires de cette passion dramatique. L’Orchestre du Teatro Regio a habilement reflété sa vision de ce Ballo in maschera, offrant une palette diversifiée de timbres et d’émotions, soulignée tout au long de l’œuvre par ce sentiment omniprésent de la fatalité et de la mort. Son travail d’orfèvre est plus que respectable et les différents pupitres apparaissent dans leurs plus belles lumières. De plus, Riccardo Muti a fait preuve d’un solide soutien à ses chanteurs, les guidant parfois dans des tempi plus lents que d’habitude.
Applaudissements nourris et chaleureux pour tous les interprètes et ovations puissantes pour le maestro Riccardo Muti.
Marie-Thérèse Werling
24 février 2024
Direction : Riccardo Muti
Mise en scène : Andrea de Rosa
Décors : Nicolas Bovey
Déguisements : Ilaria Ariemme
Lumières : Pasquale Mari
Chorégraphie : Alessio Maria Romano
Orchestre du Théâtre Régional de Turin
Coro del Teatro Regio di Torino
Distribution :
Riccardo : Piero Pretti
Renato : Luca Micheletti
Amélia : Lidia Fridman
Ulrica : Alla Pozniak
Oscar : Damiana Mizzi
Samuel : Daniel Giulianini
Tom : Luca Dall’Amico
Silvano : Sergio Vitale
Juge, serviteur d’Amelia : Riccardo Rados