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Teatro Real de Madrid : une flamboyante Iris de Mascagni

Teatro Real de Madrid : une flamboyante Iris de Mascagni

samedi 4 octobre 2025

©Javier del Real

Un chef-d’œuvre fascinant puisant dans l’orientalisme musical qui mériterait mieux que l’oubli

Le Teatro Real de Madrid a eu l’heureuse audace d’ouvrir sa scène à Iris1, ouvrage que Pietro Mascagni composa en 1898 et qui, malgré quelques reprises ponctuelles, demeure étrangement éclipsé par l’inamovible Cavalleria rusticana.

Il est pourtant difficile de comprendre cet oubli, tant Iris concentre une richesse orchestrale, dramatique et vocale digne des plus grands titres du vérisme finissant.

Les passionnés de théâtre lyrique ne manqueront pas de rapprocher cette œuvre de Mascagni de Madama Butterfly (1904) qui évoque un sujet presque similaire avec un traitement dramatique et musical faisant référence à l’orientalisme japonais alors en vogue dans l’univers intellectuel et esthétique occidental. On notera par ailleurs que si, pour la circonstance, Puccini s’était intéressé au Japon, sa langue, ses mœurs et sa musique, Mascagni en avait fait tout autant, 6 ans auparavant, jusqu’à introduire dans l’orchestre un « shamisen » (luth japonais à 3 cordes).

De surcroît, la pâte sonore à la fois sombre et diaprée de la partition peut rivaliser par la densité de ses climats, l’ampleur donnée à l’orchestre et au chœur et la complexité de son orchestration avec la future Turandot de Puccini (1924). Comparaison d’autant plus justifiée eu égard aux difficultés vocales imposées aux protagonistes, à commencer bien entendu par le rôle titre à savoir celui de Iris qui exige de la soprano des moyens considérables tant en matière d’étendue de la tessiture que de ressources interprétatives.

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Un conte cruel et poétique entre vérisme et symbolisme

La dramaturgie de l’œuvre, entre conte cruel et symbolisme, touche par sa noirceur stylisée et sa poésie désespérée.

Le livret de Luigi Illica, transporte en effet le spectateur dans un Japon du 19e siècle rêvé, émaillé d’ombres inquiétantes et de visions hallucinées.

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Iris, une belle jeune fille, vit avec son père aveugle, Il Cieco, profitant du soleil et des plaisirs simples de la nature. Osaka, un libertin fortuné, la convoite et le proxénète Kyoto, propriétaire d’une maison de geishas à Yoshiwara, complote pour la lui livrer. Lors d’un spectacle de marionnettes, Osaka se présente déguisé en Jor, fils du soleil, et conquiert aussitôt le cœur d’Iris. Kyoto fait enlever Iris. Son père, imaginant qu’elle est partie de son plein gré, se lance à sa poursuite.

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À Yoshiwara, Osaka tente en vain d’éveiller la passion d’Iris et de la séduire. Mais celle-ci, dans son innocence, résiste à toutes ses avances. Finalement lassé, Osaka la quitte mais Kyoto, espérant tirer profit d’Iris, la pare d’une robe transparente et l’expose à la foule sur le balcon. Il Cieco, pensant qu’Iris s’est rendue de son plein gré à la demeure des geishas, parvient à la rejoindre. Il la maudit et lui jette de la boue au visage à plusieurs reprises. Terrifiée Iris saute d’une fenêtre, tombe dans l’égout en contrebas de la demeure et sombre dans une profonde obscurité.

La lumière du jour réapparaissant, Iris retrouve encore quelques ultimes forces pour glorifier la sainteté du soleil. Elle expire ensuite tandis que des tiges de fleurs s’enroulent autour de son corps emportant son âme au ciel.

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Le soleil « personnifié » ouvre et ferme l’ouvrage comme un leitmotiv cosmique ; la nuit se peuple de figures de foire inquiétantes, de geishas et de démons intérieurs. L’écriture orchestrale se pare d’une somptueuse luxuriance : les bois ondoyants, les cuivres éclatants et les percussions exotiques servent un théâtre à la fois violent et délicat, où le destin de l’héroïne se dessine comme une longue descente vers la mort suivie d’une rédemption salvatrice par la lumière.

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Une version de concert d’une rare intensité dramatique

Le Teatro Real de Madrid a choisi de présenter l’œuvre en version de concert, choix qui en l’occurrence s’est avéré pertinent : l’absence de mise en scène recentre l’attention sur la force dramatique intrinsèque de la musique. On en perçoit d’autant mieux la modernité de certains enchaînements harmoniques, la tension constante entre un lyrisme extatique et des passages d’un dramatisme presque oppressant tels, dès les premières notes de l’ouvrage, ces accords des cordes graves qui évoquent l’achèvement de la nuit et le cauchemar d’Iris conjugués à la nature du drame qui va se nouer. Le lever du jour permet à un magistral hymne au soleil véritable prélude spirituel de se développer sur un stupéfiant crescendo de l’orchestre (grandiose) et des chœurs (magnifiques) dont l’ampleur n’est pas sans rappeler que le compositeur connaissait parfaitement l’œuvre de Wagner tant les allusions à Lohengrin ou les Maîtres chanteurs de Nuremberg paraissent évidentes.

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L’Orchestre du Teatro Real, sonne somptueusement sous la baguette inspirée du maestro Daniele Callegari soucieuse de clarté et de relief et de donner à entendre les raffinements harmoniques de Mascagni. Les pupitres madrilènes ont brillé de mille feux : cordes d’un velours incandescent, bois délicatement colorés, cuivres fulgurants. Ainsi justice est rendue à la luxuriance et aux contrastes entre vigueur et transparence de cette partition que bien des amateurs d’art lyrique ignorent en bornant – hélas ! – leur connaissance de Mascagni à la seule Cavalleria rusticana.

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Ermonela Jaho sublime le rôle-titre entourée de partenaires talentueux

Iris réclame une soprano lyrico-dramatique aux ressources exceptionnelles : ampleur pour franchir les tutti orchestraux, souplesse pour la ligne lyrique des scènes intimes, endurance pour soutenir un rôle qui ne quitte quasiment pas la scène. Ermonela Jaho (portant de sublimes robes en adéquation avec l’esprit du rôle) fidèle à elle-même, incarne Iris avec les moyens qu’on lui connaît : une intensité bouleversante, une sensibilité à fleur de peau, une ligne chant infiniment souple, des pianissimi suspendus, mais aussi une expansion vocale et dramatique dans les élans désespérés du dernier acte. En outre, la cantatrice albanaise a su éviter tout pathos facile pour privilégier la fragilité lumineuse de l’héroïne.

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Gregory Kunde, que l’on a connu jadis belcantiste (à l’instar de son Tonio de La Fille du régiment à l’Opéra de Nice, aux côtés d’Edita Gruberova ou encore dans Gennaro de Lucrezia Borgia à l’Opéra de Monte-Carlo), se confirme aujourd’hui en ténor dramatique solide (son Radamès dans Aïda que nous entendîmes aux Arènes de Vérone en août 2024 en témoigne). En Osaka il conserve une émission claire, mais avec ce métal nouveau désormais doublé d’accents héroïques qui conviennent aux emportements du rôle conjugués avec un legato maîtrisé.

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L’ambiguïté et la duplicité de l’entremetteur-proxénète Kyoto est traduite avec acuité par Germán Enrique Alcántara dont les qualités de tragédien valent celles de chanteur particulièrement expressif.

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Jongmin Park fait valoir un éloquent timbre de basse dans le rôle du père aveugle. Carmen Solís (Dhia/Geisha) apporte finesse et couleur dans son invocation poétique tandis que le ténor Pablo García-López déploie un charme vocal qui ne passe pas inaperçu dans son court solo du dernier acte.

Une soirée qui plaide éloquemment pour la redécouverte d’Iris

Cette Iris madrilène aura rappelé que Mascagni n’est pas que le compositeur d’un seul « tube » vériste d’un drame villageois de la jalousie quelque peu lapidaire et cru. Ici se déploie une invention musicale et orchestrale audacieuse, un sens dramatique implacable, une capacité à exprimer la poésie, la cruauté, l’esthétique du rêve et du cauchemar, la frontière entre innocence et tragédie, en mettant en scène un personnage féminin d’une modernité bouleversante : victime innocente sacrifiée au désir masculin, mais dont la mort s’auréole d’une lumière rédemptrice.

L’accueil enthousiaste du public madrilène pourrait permettre d’espérer que cet ouvrage, trop souvent négligé, inspire d’autres scènes européennes de le mettre à l’affiche.

Christian JARNIAT
4 octobre 2025

1Iris avait été programmée initialement en 2020, puis reporté en raison de l’épidémie de Covid.

Direction musicale: Daniele Callegari
Direction du choeur: José Luis Basso

Distribution :

IrisErmonela Jaho
OsakaGregory Kunde
Il CiecoJongmin Park
KyotoGermán Enrique Alcántara
Dhia /GeishaCarmen Solís
Un marchand/ Un chiffonnier Pablo García-López
Les chiffonniers : Inigo Martin et David Romero

Orchestre du Teatro Real de Madrid
Chœur du Teatro Real de Madrid

©Javier del Real

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