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Soirée de Lieder de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch au Théâtre national de Munich

Soirée de Lieder de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch au Théâtre national de Munich

mercredi 23 juillet 2025

©Geoffroy Schied

C’est devenu une tradition de retrouver en été, dans le cadre du Festival d’opéra de Munich, Jonas Kaufmann et le pianiste Helmut Deutsch pour une soirée de Lieder. Cela fait trente ans que les deux hommes livrent un travail complice d’une qualité rarissime. Et leur réputation est telle qu’ils parviennent à réunir un auditoire de plus de 2000 personnes. 

L’amitié, l’amour, la nature comme miroir de l’âme ou lieu de l’épreuve, l’anxiété et la mort, tels sont les thèmes qu’abordent les poèmes romantiques de Schiller, de Heine et de Kerner mis en musique, que les voix combinées de l’homme et du piano ont l’heureuse ambition d’exprimer.

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©Geoffroy Schied

La soirée commence avec Schubert avec, en entame, Der Bürgschaft (La garantie, la caution), une ballade de Schubert sur un texte de Schiller basée sur l’histoire d’une amitié, celle de Moerus et Sélinonte. Il s’agit d’un poème narratif qui raconte l’histoire de la tentative d’assassinat ratée contre le tyran Denys de Syracuse. Moerus, l’assassin, est fait prisonnier avant d’avoir pu réaliser son projet. Sur le point d’être exécuté, il laisse son ami Sélinonte comme caution au tyran Denys afin qu’il puisse aller marier sa sœur. S’ensuivent une série de moments inédits, de paroxysmes et de retournements romantiques dans une nature hostile, jusqu’à la transformation miraculeuse du tyran cruel en être humain. Jonas Kaufmann apporte à la ballade la force de son chant passionné, extraordinairement expressif, dramatique et sincère, avec en apex le retournement de situation final.

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©Geoffroy Schied

Suivent les Lieder du Schwanengesang (chant du cygne) de Schubert, composés à partir des poèmes d’Henri Heine   Ce titre est trompeur. car il n’est pas de Schubert, mais de son éditeur qui l’étiqueta sur les derniers Lieder que le compositeur mit en forme peu avant sa mort en 1828. Ce sont des chansons tristes et anxieuses qui évoquent le poids du monde à porter (Der Atlas), la perte d’un être cher dont il ne reste que le portrait (Ihr Bild), la maison qu’il a habitée, la ville qu’il a parcourue, l’angoisse existentielle qui résulte de la confrontation avec son propre double (Der Doppelgänger). Ici aussi, Jonas Kaufmann parvient à moduler la délicate palette émotionnelle de la tristesse, de l’angoisse et de la douleur d’être.

Après la pause, une vingtaine de minutes pour les spectateurs, une douzaine d’années pour les morceaux choisis, Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch nous emmènent dans l’univers musical de Schumann qui composa la musique de douze Lieder au départ de poèmes de Justinus Kremer. La composition remonte à 1840, année du mariage de Robert Schumann et de Clara Wieck à Schönefeld.  Les deux époux ont exprimé leurs sentiments tendres et enthousiastes à propos de ces compositions, écrites en novembre, au cours d’une « semaine calme, passée à composer, s’aimer et s’embrasser : Robert a composé trois autres magnifiques chansons. Les paroles sont de Justinus Kerner : «Lust der Sturmnacht», Stirb, Lieb’ und Freud’ ! et Trost im Gesang. Il saisit les paroles avec tant de beauté, il les touche si profondément, que je ne connais aucun autre compositeur ; personne n’a le même cœur que lui. Oh ! Robert, si seulement tu savais parfois comme tu me rends heureuse – indescriptible ! » (Clara, journal intime, entrée du 22 novembre 1840).

 « Une semaine tranquille, passée à composer et à partager des cœurs et des baisers. Ma femme est l’amour, la gentillesse et la simplicité même. […] Sa santé et ses forces reviennent, et le piano est ouvert plus souvent. […] Un petit cycle de poèmes de Kerner est terminé ; Kläre l’a apprécié, mais a aussi ressenti de la douleur, car elle doit si souvent acheter mes chansons avec silence et invisibilité. C’est comme ça dans les mariages d’artistes, et si vous vous aimez, c’est encore bien suffisant. […] Comme j’attends cela avec impatience, la première petite chanson et la première berceuse. Chut !  »  (Journal de mariage de Robert, semaine du 22 au 29 novembre 1840). 

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©Geoffroy Schied

Ces Lieder nous invitent à découvrir une nature romantique, à parcourir des montagnes et des vallées, à admirer le vol des nuages, à entendre le chant des oiseaux, à pratiquer l’émerveillement par la contemplation. C’est l’époque de la douceur et de la tendresse, celle aussi de la fécondation et de la grossesse (Clara est enceinte). Kerner croyait au pouvoir curatif de la nature tant sur le plan physique que sur la plan psychique. 

Cela se ressentait dans l’auditoire. Le chant de Jonas Kaufmann sur celui du piano d’Helmut Deutsch a lui aussi ce pouvoir lénifiant curatif. La projection du ténor rend le détachement de chaque syllabe, de chaque mot parfaitement compréhensible, ce que souligne encore le bref claquement des consonnes finales, les chaleurs profondes de son timbre enluminent le propos, qui se voit inséré comme dans une châsse sacrée. L’art du Lieder, c’est aussi pour l’auditeur celui de prendre le temps d’apprécier la beauté de choses simples magnifiées par le chant et par les notes du piano. Voyez comme Jonas Kaufmann est entièrement concentré pendant les préludes et les postludes joués par Helmut Deutsch, une attitude intérieure attentive que son visage et son corps donnent à voir. L’art du Lieder, c’est l’art du recueillement.

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©Geoffroy Schied

Ce furent des heures de pur enchantement, d’un silence tendu vers l’écoute, d’attention intériorisée. Et quand, à la fin d’un cycle de chanson les mains du pianiste se détachent de son instrument, toute l’énergie concentrée de l’auditoire  se libère dans des applaudissements frénétiques et des bravi criés. En fin de soirée, ce fut une frénésie que les deux artistes voulurent bien honorer par trois rappels. Ce ne fut pas assez, après le troisième rappel, une standing ovation fut suivie d’une quatrième puis d’un cinquième rappels. « Mondnacht, Widmung. Leise flehen meine Lieder...» Cadeau de l’intimité encore que de contempler les deux artistes se congratuler et s’embrasser, et, image touchante de leur fructueuse amitié, de les voir sortir de scène bras dessus bras dessous.

Luc-Henri ROGER
23 juillet 2025 

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