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SIR ANDRÁS SCHIFF : UN BEETHOVEN EN LETTRES DE DIAMANT

SIR ANDRÁS SCHIFF : UN BEETHOVEN EN LETTRES DE DIAMANT

dimanche 28 décembre 2025

Le grand piano de concert Bösendorfer appartenant à Sir Andras Schiff, le 26 décembre 2025, à la Pierre-Boulez-Saal de Berlin. (c) Philippe  Olivier

Désormais une légende vivante, le pianiste septuagénaire d’origine hongroise est en résidence à la Pierre-Boulez-Saal de Berlin. Il y a régalé – le 26 décembre – un public fervent et éclairé grâce à un programme Beethoven. Tandis que les Français étaient encore dans des réjouissances gastronomiques, le stakhanovisme culturel des Allemands continuait à ne pas connaître de diversions …

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La Pierre-Boulez-Saal,[1] lieu berlinois huppé placé sous l’autorité de Daniel Barenboïm, constitue une institution singulière à plus d’un titre. Son foyer est une espèce de caravansérail où se croisent des mélomanes fervents. Certains d’entre eux – pourtant des séniors issus de la bourgeoisie – affectent l’excentricité. On y voyait, ce 26 décembre 2025, deux dames portant des tarbouches, comme un homme arborant une longue jupe et coiffé d’un … haut-de-forme. Cependant et dès l’entrée en scène de Sir András Schiff, un silence absolu s’installait. Il rappelait que l’Allemagne – malgré ses travers – est un temple musical d’envergure planétaire et que les conflits tumultueux comme névrotiques de la société française ne seraient pas admis dans ses salles de concert. Je formule cette observation dans un but précis : l’éminent pianiste d’origine hongroise conservera toujours – à juste titre – un souvenir détestable de la soirée du 6 novembre dernier à la Philharmonie de Paris.

Non sans raison. Il était le soliste du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël, ayant suscité les désordres abjects et les scènes lamentables que l’on sait. Schiff, enfant unique de survivants de la Shoah, y joua – sous une forme fragmentée – le concerto dit « L’Empereur » de Beethoven. Ce dernier compositeur était, le 26 décembre, à l’affiche à Berlin. Il s’inscrivait dans une résidence Schiff, constituée de six concerts. Chacun d’entre eux, voué à un seul créateur sauf celui à venir du 1er janvier 2026 consacré à Schumann et à Mendelssohn, aura été présenté par cet homme à la fois énigmatique et plein d’humour. Maîtrisant parfaitement l’allemand et l’anglais, il aura expliqué – le 26 décembre – qu’il « joue du Bach chaque matin, avant même d’aborder d’autres compositeurs ». Nous fûmes donc gratifiés du thème des « Variations Goldberg » BWV 988 et de la « Sinfonia » BWV 791, avant d’aborder Beethoven.[2] La première partie du concert fut donnée sur un Steinway. La seconde partie eut lieu grâce à un Bösendorfer au meuble en acajou flamboyant. Propriété de Schiff, il se trouve entreposé dans la demeure de l’un de ses amis berlinois. L’instrument aura donc été déplacé tout exprès à la Pierre-Boulez-Saal.

La différence entre ces deux grands instruments de concert ressemble à celle entre deux vins de très haute qualité. Le premier est jeune, le second mature. Elle correspond au programme marathon présenté par Schiff. Avant l’entracte : Bach donc, suivi des sonates opus 27 n°1, dite « Pastorale » opus 28 et dite « La Tempête » opus 31 n° 2. Après l’entracte : les « Six Bagatelles » opus 109 – dédiées au frère pharmacien de Beethoven[3] – et le monument qu’est la sonate opus 109. Ces cinq œuvres furent écrites entre 1795 et 1824. Elles documentent quasiment trois décennies de création. Un tel parcours sélectif parmi les trente-deux sonates de Beethoven aura permis une fois encore d’être sidéré devant l’art transcendant de Schiff : la pensée polyphonique est d’une limpidité idéale, les composantes rythmiques toujours valorisées, l’ornementation présentée avec des finesses établies au dixième de millimètre, l’usage de la pédale de soutien d’une rare richesse. Bref, il synthétise de manière personnelle l’art du piano hongrois tel qu’il a été légué par des prédécesseurs nommés Annie Fischer, Lili Kraus, Géza Anda ou György Sebők. Mais il n’a jamais la sécheresse relative de la majorité d’entre eux.

Comme Artur Schnabel, Sir Alfred  Brendel[4], Paul Badura-Skoda, Daniel Barenboïm, et Sviatoslav  Richter avant lui, comme les Français Alexandre Tharaud et Pierre Reach[5] aujourd’hui, András Schiff écrit l’histoire de l’interprétation beethovénienne avec des lettres de diamant. Il a été aussi somptueux avec le bis proposé le 26 décembre : le célèbre « Impromptu » D. 899/3 de Schubert. On trépigne déjà d’impatience à l’idée d’entendre –  le 4 janvier 2026 – sa lecture de « L’Art de la Fugue » de Bach.

Dr. Philippe Olivier

[1] En français : la Salle Pierre Boulez.

[2] Voir « Résonances lyriques » du 4 janvier 2024. Le concert donné deux jours auparavant y était recensé sous le titre « Sir András Schiff et Bach : une idée du monde ».

[3] Nikolaus Johann von Beethoven (1776-1848) se constitua une fortune en vendant des médicaments aux troupes de Napoléon quand elles occupèrent une partie de l’Autriche. Une telle activité commerciale irrita Ludwig van Beethoven, fort hostile à l’Empereur des Français.

[4] Brendel réalisa au long de sa carrière trois intégrales discographiques des sonates de Beethoven.

[5] Né en 1948, Pierre Reach achève actuellement une remarquable intégrale des sonates pour piano de Beethoven. Elle est publiée par le label Anima.

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