Le San Carlo de Naples s’enorgueillit de proposer au cours de sa saison lyrique des ouvrages d’intérêt majeur (scéniquement ou en version concertante) ainsi que des concerts ou récitals servis par les voix lyriques les plus prisées du moment.
Preuve en est le récent Simon Boccanegra de Verdi, à la distribution éblouissante, donné cependant en version concertante alors que l’action scénique à multiples rebondissements et déplacements de masse chorale aurait pu pâtir d’une version focalisée uniquement sur la musique et les voix…
En pénétrant dans cette salle décrite comme l’une des plus belles d’Europe, le spectateur est intrigué par la disposition du chœur à l’antique, en quatre rangées sur la scène, en retrait derrière le solistes – sans pupitre ni partition – l’orchestre se trouvant placé comme à l’accoutumée dans la fosse.
Un dispositif scénique titré « Shiwa Shiwa » sert en fond de scène et de décor exclusif.
Créé pour Alcantara par le célèbre architecte japonais Kengo Kuma, il remplace la scénographie de l’opéra. Le terme « Shiwa Shiwa » sonne comme une onomatopée et représente la pierre et évoque l’idée d’une nature fluide et insaisissable. Une vision parfaitement incarnée par Alcantara et son choix d’un matériau hautement innovant et sensoriel. Une onde de tissu blanc (de 700 m2 malgré tout) tranchant avec les solistes et chœurs vêtus de noir, simplement animée par les jeux de lumière de Filippo Cannata.
Ces volutes rappellent au fur et à mesure de l’action les colonnes et façades ogivales des palais génois, la mer omniprésente dans l’ouvrage, mais aussi les replis et recoins propices aux complots politiques ou conflits personnels qui émaillent le récit.
Le résultat est élégant et harmonieux pour devenir finalement quelque peu lassant car baignant dans des chromatiques de beiges qui n’atteindront jamais le bleu de la mer ou de l’horizon pourtant si souvent évoqué par les protagonistes.
Autre innovation, les didascalies du sur-titrage nous permettant d’imaginer l’action.
Des micros hérissés sur la scène, comme des mats de voiliers, rappellent l’enregistrement par la firme Prima Classic fondée par la soprano Marina Rebeka et qui permettront d’immortaliser cette soirée d’excellence.
Excellence, perfection, quel mot superlatif pourrait décrire un cast vocal aussi abouti !
Les rôles du capitaine tenu par Vasco Maria Vagnoli et celui de la servante d’Amelia par Silvia Cialli tous deux artistes du chœur sont irréprochables.
Andrea Pellegrini dessine un Pietro de belle facture et dont on apprécie la qualité du timbre de voix. L’on retrouve en Paolo, Mattia Olivieri qui nous avait fait forte impression en Montfort des Vêpres Siciliennes sur cette même scène. Le timbre, le phrasé, la conduite du chant nous captivent à nouveau, il ne manque à ce jeune interprète que cette noirceur et cette ignominie vocale que l’expérience lui conférera sans nul doute.
Marina Rebeka apporte sa suavité au personnage de Maria, homogénéité, longueur du souffle et opulence du timbre lui permettent désormais de marquer de son aura ce rôle.
Le ténor Francesco Meli, qui semble curieusement faire seulement cette année ses débuts scéniques au San Carlo, délivre en Gabriele Adorno une leçon de chant en parfait styliste verdien qu’il incarne depuis des années. Tout est à louer de la qualité du timbre, des couleurs appropriées de son chant, des émotions contrastées partagées entre l’amour et la ferveur politique qu’il insuffle avec art.
Une interprétation de référence aux « messa di voce » stylistiquement impressionnantes.
Michele Pertusi est l’archétype de la basse noble au sens premier du terme, illustration parfaite de la profondeur et grandeur des sentiments, sa voix imposante s’harmonisant avec celle de ses partenaires comme un écrin. Il compose un Fiesco pétri d’humanité dont la douleur nous étreint.
Personnage titre, Ludovic Tezier fascine par non seulement par son adéquation vocale à cet ancien corsaire devenu Doge mais également par la noblesse de son interprétation inégalée à ce jour. Un Simon d’anthologie auquel le public napolitain manifestera à maintes reprises son admiration.
Deux personnages-clés sont encore à citer, qui font de cette soirée un moment d’exception. Le chœur, excellent de bout en bout (chef des chœurs Fabrizio Cassi), omniprésent sur scène alors que certaines interventions devraient se faire en coulisse, mais qui sait se fondre en un murmure impalpable ou retentir dans les grands ensembles.
A l’écoute des premières notes d’une œuvre, il nous arrive parfois de prévoir la qualité d’un spectacle et cela se confirme à nouveau pour cette soirée, lorsque le chef Michele Spotti lève sa baguette. A quelques jours de sa Norma à l’Opéra de Marseille dont il est directeur musical, nous voilà à nouveau fascinée par sa direction. Quelle émotion de suivre chacune de ses battues et l’élan avec lequel il soutient solistes, chœurs et le remarquable orchestre du Teatro San Carlo. Il impulse un souffle, souligné par son approche orchestrale, en parfaite harmonie avec les diverses et nombreuses complexités des personnages
Le public lui réservera un triomphe personnel comme à l’ensemble de cette distribution de rêve que l’on a hâte de retrouver au disque.
Viva Simon… !
Marie-Catherine Guigues
13 octobre 2024
Direction musicale : Michele Spotti
Mise en espace : Kengo Kuma – KKAA Tokyo avec Taichi Kuma et Marco Imperadori (Politecnico di Milano) en partenariat avec Alcantara
Projet : Team Politecnico di Milano | Grazia Marrone, Shuqi Li, Hotaka Iwami
Réalisation : Allestimenti Arianese
Lumières : Filippo Cannata
Distribution :
Simon Boccanegra | : Ludovic Tézier
Jacopo Fiesco : Michele Pertusi
Paolo Albiani : Mattia Olivieri
Pietro : Andrea Pellegrini
Maria Boccanegra : Marina Rebeka
Gabriele Adorno :Francesco Meli
Un Capitaine : Vasco Maria Vagnoli
Servante d’Amelia : Silvia Cialli
Orchestre et Chœurs du Teatro San Carlo
Chef des chœurs : Fabrizio Cassi
Production du Teatro San Carlo