Ceux qui virent Otello l’année dernière au Staastoper de Vienne auront pu apprécier quel Iago sournois, perfide et manipulateur avec ce qu’il faut de venin au bout de la flagornerie, tantôt emporté afin d’enivrer Cassio, tantôt calme à côté d’Otello pour le noyer dans ses fantasmes, Ludovic Tézier sait être. Ceux qui l’auront vu à l’Opéra Bastille en Giorgio Germont de La Traviata cette année auront aimé sa sobriété interprétative dans son dialogue avec Violetta dénuée de mépris ou de condescendance. Ceux qui l’auront donc vu à Vienne et à Paris auront pu goûter tout particulièrement son legato racé et son chant puissant dépourvu de tous effets forcés ou outranciers et se déployant en une élégance naturelle continue. Des noms comme Tito Gobbi ou José van Dam traversent les esprits, quand on songe à lui.
Aussi important que soient Giorgio Germont et Iago, ils ne sont pas exactement les principaux protagonistes des œuvres susvisées et ne lui permettent donc d’exprimer que certaines facettes de son talent.
Voilà qu’en mars il reprend Simon Boccanegra à l’Opéra Bastille, dans une mise en scène de Calixto Bieito. Opéra moins joué qu’Otello et Falstaff, bien que des noms comme Piero Cappuccilli, Victoria de Los Angeles, Mirella Freni ou Claudio Abbado lui soient associés, il mérite néanmoins tout autant d’attention, tant les thèmes chers à Verdi comme l’unité italienne, le dépassement des classes sociales et la psychologie des personnages y sont également mis en valeur. L’œuvre repose en outre en grande partie sur la richesse du rôle-titre et la profondeur des sentiments dans sa relation avec sa fille. Il permet en outre au baryton de montrer une très large palette de son art.
En Simon Boccanegra les talents de Ludovic Tezier s’expriment pleinement. La scène durant laquelle il s’oppose à la rixe entre plébéiens et patriciens suffit à le classer parmi les plus grands chanteurs d’opéra de notre temps. Il confère au corsaire-doge, grâce à son style de haute tenue, une humanité proche de l’héroïsme.
Face à lui, Mika Kares en Jacopo Fiesco, dont la profondeur de basse et le jeu économe correspondent admirablement avec ceux de Ludovic Tézier, fait bien ressortir la symétrie entre les personnages. Ses duos avec Simon et son air introductif lui donnent une noblesse triste et grave, face au futur doge.
Étienne Dupuis en Paolo Albiani propose un chant sec, affirmé et rigide, annonciateur de Iago, mais assorti d’un jeu statique et sans relief. Le Pietro de Alejandro Baliñas Vieites manque de noirceur et de brio. Nicole Car dans son incarnation de Maria, la fille de Simon Boccanegra, insiste trop tant dans son chant que dans son jeu pour la faire réellement vivre. Et Charles Castronovo en Gabriele Adorno ne convainc pas non plus, tant l’application est constamment perceptible. Heureusement ce ne sont là sans doute que des excès qui s’élimeront probablement au fil des représentations. Et l’orchestre de Thomas Hengelbrock utilise bien les riches chromatismes de la large instrumentation de la partition d’orchestre pour rendre vivant l’univers sombre de cet opéra.
Le malaise vient d’ailleurs : en l’occurrence du manque de soin dans la scénographie comme dans la mise en scène. Passons sur les costumes des protagonistes ternes et peu soignés sur un fond noir, passons sur le navire tournant sur le plateau couvrant tantôt les personnes à son bord, tantôt les projections en fond de scène et qui contraint à l’espace réduit d’un avant-scène étroit la masse des chanteurs et des chœurs. Mais il faut dire de surcroît, que les projections n’apportent pas grand chose à l’œuvre voire même la gênent, tant elles détournent l’attention portée aux protagonistes. Par ailleurs le personnage muet de Maria, l’épouse morte de Simon, n’ajoute rien non plus au drame.
Un opéra en la circonstance plus à écouter qu’à voir, surtout pour Ludovic Tézier, Mika Kares et la direction de Thomas Hengelbrock.
Andreas Rey
16 mars 2024
Chef d’orchestre : Thomas Hengelbrock
Chef des Chœurs adjoint : Alessandro Di Stefano
Metteur en scène : Calixto Bieito
Décors : Susanne Gschwender
Costumier : Ingo Krügler
Eclairagiste : Michael Bauer
Vidéaste : Sarah Derendinger
Distribution
Simon Boccanegra : Ludovic Tézier
Maria Boccanegra : Nicole Car
Jacopo Fiesco : Mika Kares
Gabriele Adorno : Charles Castronovo
Paolo Albiani : Étienne Dupuis
Pietro : Alejandro Baliñas Vieites
Capitaine des arbalétriers : Paolo Bondi
Servante d’Amelia : Marianne Chandelier
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Coproduction avec le Deutsche Oper, Berlin