Figure illustre gravée dans nos mémoires, Samson dont la force surhumaine demeure inébranlable revient aujourd’hui sous la forme d’un spectaculaire opéra.
Voltaire désirait offrir à Rameau, à partir de cet ouvrage issu de l’ancien testament (Livre des Juges), un livret d’opéra plus philosophique qu’académique.
Malheureusement les censeurs royaux refusèrent le projet – jugé profane – impossible à montrer sur une scène de théâtre.
Rameau renonça donc et recycla la partition prévue dans diverses œuvres ultérieures.
Claus Guth à la mise en scène, ainsi que Raphaël Pichon à la direction musicale, ont eu la brillante idée de reconstituer au mieux ce projet avorté de 1734, nous offrant ainsi une perspective plus large et plus collective de l’ouvrage.
Sur un scénario relatant la vie tumultueuse du héros s’ajuste un brillant montage musical – non loin du rêve de Voltaire.
L’argument en quelques mots :
La mère de Samson l’Hébreu arrive sur la scène de crime. Son fils a commis l’irréparable : un attentat-suicide a entraîné de nombreuses victimes. Elle va essayer de comprendre son acte et commence ainsi un voyage dans le passé. Doué d’une force surhumaine, ce personnage singulier fascine et effraie tout à la fois. Il tombera amoureux de Timna, l’épousera puis se détournera d’elle après des actes de violence inexpliqués.
Les Philistins lui envoient une séduisante créature (nommée Dalila) qui aura pour mission de lui faire avouer le secret de sa force hors du commun. Ivre d’amour, il finira par lui confier que celle-ci réside dans son opulente chevelure – qui ne doit jamais être coupée. Aveu fatal : il sera fait prisonnier et torturé. Réduit à l’impuissance, il implore le Seigneur de lui rendre une ultime fois sa force légendaire. Exaucé, il trouvera le courage de provoquer l’effondrement du temple, qui l’anéantira en même temps que les Philistins – ennemis de son Dieu.
Notre avis :
Ce spectacle (créé l’été dernier au festival d’Aix-en- Provence) débarque avec bonheur à Paris, précédé de nombreuses louanges. Orchestré par un metteur en scène plus qu’inspiré (Claus Guth), il mêle astucieusement théâtre et musique, en sublimant les plus belles pages de Rameau, dirigées de main de maître par le non moins inspiré chef Raphaël Pichon.
On reconnaîtra ainsi au passage des extraits de Dardanus mais également de Zoroastre, des Boréades ou des Paladins.
Le décor très réaliste évoque le chaos et la désolation ; les fantômes du passé sont douloureux pour la mère de Samson (touchante Andréa Ferréol) errant sans comprendre comment elle a pu donner vie à un être aussi singulier que Samson. Celui-ci est incarné par le magnétique Jarrett Ott, que nous retrouvons avec plaisir après ses passages à la salle Favart dans les productions de Breaking the waves (2023) ou bien encore de Macbeth underworld (2024).
Puissant baryton, il nous convainc totalement tant par son jeu que par sa voix. Il est entouré par Julie Roset (qui interpréta le rôle-titre dans Zémire et Azor en 2023), talentueuse soprano qui vient de remporter la récompense suprême de la révélation lyrique de l’année.
Dalila (Ana Maria Labin), d’une sensualité incontestable, coche toutes les cases exigées par le rôle : artiste complète, elle est éblouissante.
L’ensemble de la distribution, d’une homogénéité irréprochable, compose un plateau de premier ordre : Mirco Palazzi, Laurence Kilsby Camille Chopin : tous méritent d’être cités.
Gael Fefferman reprend la superbe chorégraphie d’origine de Sommer Ulrickson, dont la créativité donne une modernité saisissante au spectacle, rompant ainsi l’atmosphère parfois austère, presqu’étouffante que le sujet biblique impose.
Terminons en saluant le chœur et l’orchestre Pygmalion (fondés en 2006 par Raphaël Pichon) qui – sur des instruments d’époque – subliment les musiques (de Rameau en l’occurrence, mais également, pour d’autres rendez-vous, celles de Gluck, Bach ou de Berlioz).
Le public se montre véritablement enthousiasmé par cette représentation, dont la somptueuse seconde partie nous plonge dans un véritable état de grâce.
Philippe Pocidalo
17 mars 2025
Mise en scène : Claus Guth
Scénographie : Étienne Pluss
Costumes : Ursula Kudrna
Dramaturgie : Yvonne Gebauer
Lumières et création vidéo : Bertrand Couderc
Chorégraphie : Sommer Ulrickson
Son : Mathias Nitschke
Collaboration à l’écriture : Eddy Garaudel
Reprise de la mise en scène : Romain Gilbert
Assistant musical : Sammy El Ghadab
Reprise de la chorégraphie : Gal Fefferman
Samson : Jarrett Ott
Dalila : Ana Maria Labin
Timna : Julie Roset
Achisch : Mirco Palazzi
Elon : Laurence Kilsby
L’Ange : Camille Chopin
Premier Juge/Un Convive : Richard Pittsinger
Deuxième Convive : René Ramos Premier
La Mère de Samson : Andrea Ferréol
Un Sans-Abri : Pascal Lifschutz
Samson jeune : Léon Prost/Isaac Muniesa
Danseurs : Theo Emil Krausz, Gal Feffermann, Victoria McConnell, Manuel Meza, Rouven Pabst, Francesco Pacelli, Dan Pelleg, Marion Plantey, Robin Rohrmann, Victor Villarreal Solis, Marko Weigert
Figurants : Alexandre Charlet, Arnaud Fiore, Philippe Goumas
Chœur et orchestre : Pygmalion
Direction musicale : Raphaël Pichon