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Saint-Étienne : L’Enlèvement au Sérail

Saint-Étienne : L’Enlèvement au Sérail

dimanche 15 juin 2025

© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

Après Samson changement d’ambiance et d’exotisme avec le Singspiel mozartien. En cette période particulière un certain doigté est requis pour porter à la scène une turquerie née à une époque et en des lieux où le souvenir et la proximité du siège de Vienne par les Ottomans étaient encore très présents et où on ne s’embarrassait pas de scrupules quant à la xénophobie ou le stéréotype. L’option adoptée par Jean-Christophe Mast est au fond celle qui s’impose : présenter cet Enlèvement pour ce qu’il est : un conte détaché de toute historicité. C’est d’ailleurs ouvrir toutes les perspectives que sont celles du conte. Cela arrache les personnages à l’anecdote et leur confère une portée anthropologique universelle. Dans cette configuration un personnage comme Osmin en perdant son caractère de caricature sommaire et univoque (oubliée la castration!), prend une place centrale. Il apparaît comme l’incarnation du revers charnel et violent des pulsions amoureuses, face à un Pacha conduit justement par la maîtrise de ces mêmes pulsions.

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© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

Le monde dans lequel évoluent les personnages est celui des intériorités affectives et de leurs tiraillements. La scénographie atteint parfaitement à la création d’une telle atmosphère. On est dans un huis-clos à la fois vaporeux et rigoureusement géométrique. L’aire de jeu est délimitée par un demi-cercle de tentures de tulle auxquelles leurs hauts plis verticaux confèrent une légère fluidité, assez hiératique tout de même, tandis que l’espace ainsi délimité est chargé de structures faites de la géométrie quadrillée des cages. (Tout cela perd beaucoup au deux seules dimensions de la photographie). Cette abstraction a la grande vertu d’orienter l’imagination du spectateur, tout en lui laissant la liberté de l’exercer selon sa propre sensibilité. On est devant un flou bien organisé et la fluidité guidée est largement potentialisée par un usage assez envoûtant de la lumière (Michel Theuil). La fluide barrière de clôture prend ainsi tour à tour des tons nacrés, aériens, cuivrés, automnaux ou abyssaux qui semblent émaner des objets eux-mêmes ou de l’air. Chose remarquable, ces modulations d’atmosphère entrent en jeu, non seulement avec les péripéties des personnages, mais aussi avec la musique qui les porte.

Bien que gavés jusqu’à l’écœurement par l’emploi du noir pour les costumes (remontant à Georges Pitoeff dans les années 1920, en vogue dans les très brechtiennes Maisons de la Culture des années Pompidou avant d’affoler la bobosphère depuis un quart de siècle maintenant) il faut reconnaître qu’on en a ici un emploi convaincant, dû certainement au fait que décor et costumes portent la même signature (Jérôme Bourdin). Les jeux de lumière en sont potentialisés. On sort d’ailleurs du systématisme avec les touches de marron qui caractérisent entre autre Osmin et surtout la vive couleur dont est parée Constance. Tout cela relève d’un beau doigté.

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© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

La dramaturgie utilise, de façon pas très originale, mais bien justifiée le flash back : en somme c’est le souvenir mélancolique du Pacha qui se joue devant le spectateur, gravé dans sa mémoire comme la gravure du gramophone dont tout cela semble émaner. Denis Baronnet apporte une convaincante épaisseur dramatique à ce non-chantant dont on ne sait s’il est hors ou non du terrain de jeu.

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© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

Les hésitations, les doutes des personnages sont esquissées sans lourdeur : l’attirance refoulée de Konstanze pour le Pacha, l’instant de fascination de Blondchen devant Osmin endormi telle une bête un instant mis en cage, la direction d’acteurs est là et ils y répondent. On ne peut détailler l’efficacité avec laquelle l’agencement des structures en cages est modulé, ni l’emploi qui en est fait par les personnages. Beau moment par exemple que celui où apparaît comme d’évidence la double humanité chère à Mozart : le couple Konstanze et Belmonte dans les hauteurs, Blondchen et Pedrillo au sol entourés de matériel (c’est le mot juste) de cuisine réduit à sa forme. Beau moment aussi celui où le personnage haut perché voit descendre au-dessus de lui les échelles l’invitant à plus d’élévation. On pourrait multiplier les exemples.

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© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

Que dire de la distribution sinon sa totale adéquation aussi bien vocale que dramatique ? Mozart offre à Konstanze quelque fabuleux morceaux de bravoure. Il s’agit bien de bravura et Ruth Iniesta n’en manque pas. Tout l’éventail des nuances est là. On est loin de l’exploit pour l’exploit, ce qui n’empêche pas une maîtrise impressionnante du chant. Le phrasé est moelleux et les vocalises impeccables ne perdent jamais en expressivité, elles sont ce qu’elles devraient toujours être : le prolongement purement vocal des sentiments déterminés par la situation affective.

D’une certaine façon Belmonte est moins gâté en termes d’éclat. Son personnage d’abord élégiaque semble parfois être fait pour chanter la sérénade. La mise en scène le met d’ailleurs une ou deux fois dans la position qui y correspond. Benoît-Joseph Meier se coule dans le style et parvient à concilier la délicatesse de la mélodie avec son revers pathétique. Cela apparaît ici aussi dans la vocalise. Le style conserve toujours une certaine tenue. Peut-être a-t-on perçu un rien de fatigue vocale, bien gérée, en fin d’exercice. Blondchen requiert un abattage vocal loin de la facilité. Marie-Eve Munger possède l’articulation et la clarté de timbre aptes à rendre compte du tempérament bien trempé du personnage, elle lance quelques aigus percutants. Les vocalises, la chose est intéressante, à la différence de celle de Konstanze, semblent naître du geste et en faire partie.

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© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

Kaëling Boché quant à lui est un Pedrillo à la voix claire, juvénile de timbre, à la belle projection. Il donne le sentiment d’une joie à chanter (et à jouer) qui fait merveille dans la confrontation avec la mélancolie de Belmonte et surtout la basse très basse de Sulkhan Jaini. Ce dernier semble fait, sur tous les points, pour le rôle d’Osmin. La voix possède les graves qu’on attend, elle est puissante et de beau timbre. La jubilation, cela est lié certes au rôle, en est une caractéristique. Les passages de virtuosité se font avec une apparente aisance. Quant au comédien au physique imposant il est tout à fait à l’aise dans le mélange assez terrifiant de bonhommie et de sadisme.

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© Opéra de Saint-Étienne – Cyrille Cauvet

L’ensemble des chanteurs semble d’ailleurs très à l’aise dans la comédie. Signalons que les parties parlées ont été condensées et parfois réécrites mais dans le ton, sans facilités. Le seul point discutable est le travestissement de Pedrillo au moment de mettre Osmin hors d’état de nuire. On bascule alors dans un comique du plus éculé boulevardier (poil au pied…!), qui contrairement à tout le reste semble ne répondre à aucune nécessité.

Enfin comment ne pas être ravi par ce que Giuseppe Grazioli donne à entendre. Toute tentative d’analyse tiendrait de la dissection. On perçoit plus que jamais la force expressive de la musique de Mozart. On est vraiment dans une coulée des affects, faite d’élans retenus ou non, différés parfois, d’une palpitation (le mot est galvaudé mais juste), d’une véritable respiration qui confère littéralement une âme à ce qui se joue. C’est certainement une des choses les plus fascinante que le jeu des empathies entre un chef, ses musiciens, les interprètes sur le plateau et le spectateur dans la salle. Il suffit d’être emporté par le morendo d’une note de clarinette de la délicatesse d’un trait de pinceau japonais pour saisir qu’on est au-delà de la technique. On est dans le fusionnel avec ce qui se joue sur le plateau et au cœur des personnages. Cela naturellement ne se fait pas sans maîtrise à tous les niveaux, ni technique, mais il y a de l’émerveillement quand de la fosse monte cette respiration.

Le public ne s’y est pas trompé qui a ponctué la représentation de ses applaudissements et a ovationné les artisans de cette réussite.

Gérard Loubinoux
15 juin 2025

Direction musicale : Giuseppe Grazioli
Mise en scène : Jean-Christophe Mast
Décors, costumes : Jérôme Bourdin
Lumières : Michel Theuil

Konstanze : Ruth Iniesta
Belmonte : Benoît-Joseph Meier
Blondchen : Marie-Eve Munger
Pedrillo : Kaëlig Boché
Osmin : Sulkhan Jaini
Le Pacha :Denis Baronnet

Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire
Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire
Direction : Laurent Touche

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