Mais autre temps, autre lieu, l’ouvrage est à l’affiche du ROF chaque année depuis 2001 dans la réalisation créée par Emilio Sagi et défendu par les jeunes chanteurs de l’Accademia Rossiniana « Alberto Zedda », du nom du musicologue et chef d’orchestre disparu en 2017. Créée et dirigée par Zedda en 1989, l’Accademia a été reprise par Ernesto Palacio, également actuel surintendant du Festival. De nombreux jeunes chanteurs passés par cette Accademia ont fait leur bout de chemin depuis, comme Marianna Pizzolato (2003), Maxim Mironov (2005), Olga Peretyatko (2006), Marina Rebeka (2007), Yijie Shi (2008), Enea Scala (2009), Carmen Romeu (2011), Davide Luciano (2012), ou encore Salome Jicia (2015). Soit des noms qu’on retrouve aujourd’hui régulièrement en haut des affiches de festivals ou maisons d’opéra.
En raison de l’indisponibilité du Teatro Rossini, c’est au Teatro Sperimentale qu’est représenté le Viaggio édition 2023. La salle a plutôt l’allure d’un cinéma d’autrefois, dotée d’un parterre à plat mais aux fauteuils confortables, surmonté d’un balcon où l’acoustique est meilleure. Le lieu ne dispose pas de fosse et l’orchestre est placé en fond de scène, tandis que l’action se déroule à l’avant et que le pianoforte s’installe en contrebas, tout à côté du premier rang du public. Beaucoup de spectateurs connaissent par cœur la production d’Emilio Sagi, reprise cette année par Matteo Anselmi, mais ne s’en lassent pas ! Nous sommes à Plombières dans l’établissement thermal Il Giglio d’Oro ( Au lys d’or ) et les transats sont alignés pour les curistes qui forment une micro-société très internationale. L’humour et la poésie sont de la partie, comme quand les choristes (ici réduites à quatre chanteuses) découpent des cœurs pendant la grande scène de Lord Sidney, l’Anglais amoureux de Corinna, mais d’une extrême timidité. Le coup de théâtre survient quand l’aréopage apprend qu’il sera impossible de se rendre au couronnement du roi à Reims, en raison de la pénurie de chevaux, se consolant toutefois bien vite à l’idée de fêter le retour du roi à Paris.
Mais au-delà du plaisir renouvelé chaque année à revoir cette réjouissante production, l’intérêt est aussi et surtout de découvrir de nouvelles voix. Avantage aux hommes pour cette représentation du 16 août (une seconde représentation est programmée le 18 août avec une distribution vocale partiellement différente), avec d’abord deux voix graves qui marquent très favorablement. La basse Eduardo Martinez interprète Don Profondo avec une voix saine, bien timbrée, bien projetée et développe un bel abattage dans son grand air Medaglie incomparabili. En Barone di Trombonok, le baryton-basse Valerio Morelli impressionne également par son grain très noble, au point qu’on regrette qu’il ait si peu à chanter ! La basse Omar Cepparolli dispose aussi d’un instrument puissant dans le rôle modeste de Don Prudenzio, tandis que l’autre basse Alberto Comes convainc moins en Lord Sidney.
Les deux premiers ténors sont également de bon niveau, à commencer par Paolo Nevi, un Cavalier Belfiore bien chantant et drôle en scène, sonore, d’un registre grave bien assuré, mais parfois un peu aventureux dans l’extrême aigu. Programmé dans un concert du ROF cette année, Pietro Adaíni en Libenskof n’est pas membre de l’Accademia, mais a vraisemblablement été appelé pour pallier la carence de ténors capables d’assurer le rôle. Les caractéristiques sont un peu les mêmes que celles de son confrère, avec des notes encore plus sonores et davantage émises dans le masque. Côté féminin, notre préférence va à la mezzo Seray Pinar en Melibea, capable d’enfler quelques notes dans le registre aigu, bien en accord avec le caractère éruptif de la belle et veuve marquise polonaise. L’agilité est aussi suffisamment huilée pour les passages les plus fleuris. La Corinna de la soprano Tamar Otanadze conduit une jolie ligne vocale, peut-être moins éthérée ou aérienne que celle d’autres titulaires entendues dans le passé. Sabrina Gárdez en Madame Cortese a des moyens mais pas la parfaite intonation, tandis que Miyoung Lee possède bien le format de soprano colorature attendu pour Folleville, mais elle accuse aussi de petits écarts passagers quant à la justesse de ton.
L’ensemble forme en tout cas une distribution vocale tout à fait digne d’être d’ores et déjà présentée dans les meilleurs théâtres, ces chanteurs et chanteuses étant désormais à l’aube de belles carrières. Placé à la tête de l’orchestre de la Filarmonica Gioachino Rossini, le chef Andrea Foti assure une direction assez traditionnelle, voire prudente, de la partition, alors qu’on attendrait par instants un peu plus d’emballement pour mettre encore plus en mouvement le tourbillon rossinien.
Irma FOLETTI
16 août 2023
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Direction musicale : Andrea Foti
Mise en scène et décors : Emilio Sagi
Reprise de la mise en scène : Matteo Anselmi
Costumes : Pepa Ojanguren
Lumières : Fabio Rossi
Interprètes de l’Accademia Rossiniana “Alberto Zedda” :
Corinna : Tamar Otanadze
Marchesa Melibea : Seray Pinar
Contessa di Folleville : Miyoung Lee
Madama Cortese : Sabrina Gárdez
Cavalier Belfiore : Paolo Nevi
Conte di Libenskof : Pietro Adaíni
Lord Sidney : Alberto Comes
Don Profondo : Eduardo Martinez
Barone di Trombonok : Valerio Morelli
Don Alvaro : William Kyle
Don Prudenzio : Omar Cepparolli
Don Luigino : Michele Galbiati
Delia : Maria Rita Combattelli
Maddalena : Saori Sugiyama
Modestina : Vittoriana De Amicis
Zefirino / Gelsomino : Xavier Prado
Antonio : Andrés Cascante
Filarmonica Gioachino Rossini