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Rodelinda à l’Opéra de Francfort : La tournette est en panne mais «  the show must go on ! »

Rodelinda à l’Opéra de Francfort : La tournette est en panne mais «  the show must go on ! »

samedi 11 janvier 2025

©Barbara Aumüller

Parmi les aléas du théâtre vivant, ce sont les « problèmes techniques » qui empêchent la représentation du soir de se dérouler dans les conditions prévues, l’Opéra de Francfort annonçant malheureusement une version de concert (« Konzertant »). Dommage, car le spectacle de Claus Guth, qu’on avait pu voir à l’Opéra de Lyon en décembre 2018 et également en coproduction avec les Opéras de Madrid et Barcelone, est une grande réussite. Il est vrai qu’il utilise énormément le plateau tournant, nous faisant visiter toutes les pièces d’une grande maison blanche, à laquelle il manque les murs extérieurs, mise à part la façade principale. On peut ainsi enchaîner rapidement entre les tableaux, les deux niveaux de l’habitation nous montrant parfois des saynètes simultanées, avec d’ailleurs souvent Flavio, le fils de Rodelinda et Bertarido, en proie à des visions cauchemardesques, dans une esthétique à la Tim Burton. Mais la tournette est en panne ce soir et on se résout, dans ce cas de force majeure, à se rendre donc au concert…

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©Barbara Aumüller

Mais une bonne nouvelle succède à la mauvaise, on assiste finalement à une vraie soirée d’opéra, avec des personnages en costumes qui jouent devant la maison, celle-ci présentant sa belle et haute façade blanche. Par rapport à la réalisation d’origine de Claus Guth, à la charge d’Axel Weidauer pour cette série de reprise, les vidéos sont absentes, ainsi que les figurants dont les gestes chorégraphiés apeuraient le jeune Flavio, celui-ci présent tout de même en la personne d’Irene Madrid, rôle muet. On perd également les variations des jeux de lumières, avec une intensité à l’identique pendant la soirée, mais on gagne certainement en revanche un jeu plus resserré autour des protagonistes… il est vrai que la tournette est beaucoup utilisée dans la mise en scène originale !

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©Barbara Aumüller

Chose remarquable, la distribution vocale comprend une majorité de membres de la troupe de l’Opéra de Francfort, à commencer par Elena Villalón, superbe soprano au timbre d’une séduction immédiate, rond et musical, facile dans l’atteinte de ses aigus. L’interprète se montre certainement à son meilleur dans les nombreux passages doloristes, plutôt que dans les moments de fureur où le style manque un peu d’agressivité. Son air d’entrée « Ho perduto il caro sposo » est triste à souhait, comme plus tard « Ombre, piante, urne funeste ! » lorsqu’elle se rend sur la tombe de son époux qu’elle croit, à tort, défunt. Dans ce rôle de Bertarido, qui attend à peu près la moitié de l’opéra pour se montrer vivant aux yeux de son épouse, le contre-ténor Lawrence Zazzo assure une forte présence, dès sa scène d’entrée « Pompe vane di morte ! (…) Dove sei, amato bene ? ». Les récitatifs sont énoncés avec expressivité, puis le chant élégiaque plane avec émotion. Son air pastoral du deuxième acte « Con rauco mormorio piangono al pianto mio ruscelli e fonti. » forme également une très belle séquence. Le point faible reste tout de même la virtuosité, qui s’est émoussée au cours des années. Celle-ci coince à plusieurs reprises, par exemple au cours de son air final le plus difficile « Vivi tiranno ! » où, malgré son engagement et toute sa bonne volonté, certaines enfilades de notes restent un peu rebelles.

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©Barbara Aumüller

Deux autres chanteurs nous amènent d’agréables satisfactions, d’abord le ténor Josh Lovell en Grimoaldo, couleur assez sombre mais suffisamment souple pour ses passages d’agilité. Personnage méchant de l’histoire avant de se convertir tardivement à la gentillesse et au pardon, son air en fin de dernier acte « Pastorello d’un povero armento » émeut, quand il git à terre après avoir siroté une bouteille de – vrai-faux ? – whisky. Clair de timbre, l’Unulfo du contre-ténor Rafał Tomkiewicz est absolument charmant et d’une fine musicalité, dommage alors que le volume soit modeste, la voix passant tout juste dans ce théâtre. La basse Božidar Smiljanić en Garibaldo n’amène pas les mêmes ravissements, instrument certes conséquent, mais peu rompu au style de Händel et certainement plus en situation chez d’autres compositeurs. Son personnage de vrai méchant de l’histoire inquiète visuellement : haute stature, bandeau noir sur un œil, canne et chapeau… il fait vraiment peur ! Côté féminin, le plateau est complété par l’Eduige de Zanda Švēde, mezzo à la voix riche et sombre, souple également pour ses passages fleuris, comme au cours de son air d’entrée « Lo farò, dirò spietato ». Là encore, davantage de décibels lui apporteraient une présence vocale encore plus remarquée.

Dans les conditions un peu particulières du soir, le chef Simone Di Felice assure sans faille la cohérence de l’ensemble, placé aux commandes des musiciens du Frankfurter Opern- und Museumsorchester. Le son émis par les instrumentistes est typiquement celui d’une formation baroque, un son dynamique et vivant qui forme un équilibre acoustique serein avec les solistes sur le plateau. Plusieurs musiciens sollicités en solo au cours de l’opéra, comme le premier violon ou encore la flûte, ne démentent pas cette haute qualité. Les passages de fureur manquent toutefois, à notre sens, d’une dose d’agressivité, de mordant dans les attaques, de contrastes davantage marqués entre mesures de la partition. Pour illustrer par un autre exemple, l’air de Rodelinda au premier acte « Morrai sì, l’empia tua testa » est superbement chanté, mais manque de méchanceté, à la voix et à l’orchestre, alors qu’elle cède au chantage de Garibaldo et consent à s’unir à Grimoaldo, et ceci au prix de la tête de Garibaldo.

Irma FOLETTI

Rodelinda, opéra de Georg Friedrich Händel
Oper Frankfurt, le 11 janvier 2025

Direction musicale : Simone Di Felice
Mise en scène : Claus Guth
Direction scénique de la reprise : Axel Weidauer
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Joachim Klein
Vidéo : Andi A. Müller
Chorégraphie : Ramses Sigl
Répétitions chorégraphiques : Patricia Roldán
Dramaturgie : Konrad Kuhn

Rodelinda : Elena Villalón
Bertarido : Lawrence Zazzo
Grimoaldo : Josh Lovell
Eduige : Zanda Švēde
Unulfo : Rafał Tomkiewicz
Garibaldo : Božidar Smiljanić
Flavio : Irene Madrid

Frankfurter Opern- und Museumsorchester

 

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