Je me souviens avoir entendu plusieurs fois, voici des décennies, l’Orchestre – alors régional – de Cannes sous la conduite de son directeur musical, Philippe Bender (*1942). Ce dernier régna, entre 1976 et 2013, trente-sept ans durant sur cette phalange. Une pareille longévité est devenue rare. Une fois Philippe Bender à la retraite, l’Autrichien Wolfgang Doerner (*1959) lui succéda. Il se vit remplacé par Benjamin Levy (*1974), dont le premier concert officiel cannois se déroula début 2017.
En 2022, le ministère de la Culture a élevé la formation au rang d’orchestre national. L’Orchestre national de Cannes (ONC), proposant désormais une centaine de concerts par saison, est l’un des trois orchestres permanents établis sur une ligne symbolique de près de soixante kilomètres, allant de l’Ouest vers l’Est. Les deux autres sont l’Orchestre philharmonique de Nice et l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo. Doté de trente-sept instrumentistes, l’ONC vit une intéressante métamorphose depuis l’arrivée de Benjamin Levy. Ses initiatives, à la fois pensées et savoureuses, permettent de l’identifier aisément. La phalange aura – durant la saison 2023-2024 – un compositeur en résidence. La pianiste Vanessa Wagner se produira notamment avec celle-ci.
On note également – chez l’important producteur discographique Erato-Warner – l'apparition du CD Croisette – Opérettes des années folles. Son contenu allègre résulte d'une idée tellement simple que d'aucuns n'y avaient jamais pensé avant : l'art de vivre sur la Côte d'azur au temps des Christiné, Hahn, Messager, Yvain et Moïse Simons dont l'opérette Toi et moi eut un succès considérable, tandis que des touristes américains fortunés lisaient les romans de F. Scott Fitzgerald. Comme le note Benjamin Levy dans le livret d’accompagnement de cet enregistrement, les années folles furent celles de l’inauguration des hôtels de luxe cannois : le Majestic en 1926, le Martinez et le Palm Beach en 1929. Cette année-là, le krach boursier de New-York entraîna le monde dans une spirale aux conséquences terribles.
Le train de plaisirs conduit avec détermination par Benjamin Lévy est attractif. Il fonctionne de manière huilée, grâce à un contrôle méticuleux de l’orchestre. Le maestro est aussi animé par un souci philologique. Il a effectué des recherches afin de retrouver – en matière de batterie – « les probables habitudes de jeu d’une époque où tout n’était forcément pas noté ». Robin Melchior a reconstitué une page d’Un soir de réveillon, partition signée Raoul Moretti, auteur de la chanson La Fille du bédouin. Huit chanteurs ont pris place dans le convoi, les plus connus d'entre eux étant la soprano Patricia Petibon et le baryton Laurent Naouri. Cette distribution permet de passer en revue les formes nommées air, duo, trio et septuor. Celui-ci est incarné par un numéro tiré de Pas sur la bouche, ouvrage de Maurice Yvain. La seule réserve à l’égard de ce déplacement joyeux est l’utilisation – par certains chanteurs – du « r » roulé. Il s’agit d’une convention désuète, contre laquelle lutta non sans raison le directeur de théâtre lyrique Pierre Jourdan (1932-2007), lui-même natif de Cannes.
Croisette – Opérettes des années folles tranche sur l'atmosphère tendue de la société française actuelle. Ce CD rappelle aussi que la musique radicale alors élaborée outre Rhin par les Hindemith, Eisler, Weill et autres Schönberg n'intéressait guère de monde chez nous. On lui préférait le culte de l'hédonisme. Il fut lourdement détruit à l'aube du 1er septembre 1939 par l’attaque allemande sur la Pologne. Elle déclencha la Seconde Guerre mondiale. Les heures joyeuses sur la Croisette devinrent un souvenir.
Dr. Philippe Olivier
15 août 2023
