Alors qu’elle triomphe ces jours-ci au Grimaldi Forum Monaco dans la nouvelle production d’Aida de l’Opéra de Monte-Carlo, Aleksandra Kurzak – l’une des sopranos les plus brillantes de sa génération – confirme une fois encore l’amplitude de son évolution vocale et la profondeur de son engagement scénique.
Soprano d’exception, passée avec une aisance rare du répertoire de colorature aux rôles plus lyriques et dramatiques des héroïnes pucciniennes et verdiennes, elle aborde depuis peu le rôle d’Aida avec une maturité artistique et vocale éclatante et une intensité dramatique qui marquent une étape majeure de son riche parcours sur les grandes scènes internationales.
Lors d’une rencontre entre deux représentations, elle nous a accordé cet entretien où elle revient sur les grandes étapes de sa carrière et son évolution vocale.

Vous êtes issue d’une famille de musiciens, et votre mère elle-même était soprano.
Ma mère, Jolanta Żmurko, possédait un large répertoire qui allait de Mozart à Wagner en passant par Rossini, Donizetti, Verdi, Puccini. Aussi ai-je grandi, dés mon enfance, dans un milieu immergé par la musique. A sept ans je jouais déjà du piano et du violon.
J’ai commencé mon éducation musicale à l’Académie de Musique de Wrocław puis à la Musikhochschule de Hambourg. A l’âge de 21 ans j’ai débuté à l’Opéra de Wroclaw dans le rôle de Susanna des Noces de Figaro et ma mère Jolanta Żmurko interprétait le rôle de la Comtesse.
Quel fut votre début de carrière ?
Lorsque j’étais membre de la troupe de l’Opéra de Hambourg, où je suis entrée en 2021, mon premier rôle fut celui de la Reine de la nuit de La Flûte enchantée de Mozart. Au début de ma carrière, j’ai surtout chanté des rôles légers, tels que Nanetta dans Falstaff, Gretel dans Hänsel und Gretel ou encore Marie dans La Fille du régiment.
Vous avez été très rapidement remarquée par des théâtres prestigieux…
J’ai eu en effet la chance de faire très tôt des débuts dans des théâtres renommés : en 2004, j’ai été engagée par le Metropolitan Opera de New York dans le rôle d’Olympia des Contes d’Hoffmann. La même saison, j’ai fait mes débuts au Royal Opera House Covent Garden, dans le rôle d’Aspasie de Mitridate, Re di Ponto.

Peu à votre peu votre carrière a abordé un tournant important et décisif avec un changement d’orientation vocale…
En effet après avoir poursuivi ma carrière dans des rôles toujours relativement légers : Rosina du Barbier de Séville, Adina de L’Élixir d’amour, ou encore Norina dans Don Pasquale mon répertoire s’est élargi vers des emplois déjà plus lyriques, avec notamment Gilda dans Rigoletto (à la Scala de Milan) Violetta de La Traviata à Varsovie et Lucia dans Lucia di Lammermoor à Londres.
Mais l’un des tournants majeurs de ma carrière a été d’aborder La Juive d’Halévy à Munich en juin 2016. La production, mise en scène par Calixto Bieto, m’a profondément marquée et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment pris conscience de l’évolution de ma voix. Cette prise de conscience m’a naturellement conduite vers des rôles plus lyriques et dramatiques.
J’ai ainsi commencé à aborder le répertoire de Puccini avec Liù dans Turandot au Royal Opera House de Londres ou Mimi dans La Bohème à Berlin, ainsi que, plus tard Tosca interprétée pour la première fois en février 2022 au Metropolitan Opera de New York, Berlin, au Royal Opera House de Londres et aux Chorégies d’Orange. A Monte-Carlo, j’ai chanté également Madama Butterfly, un opéra auquel je suis très attachée. Dans le répertoire vériste on peut aussi noter ma prise de rôle de Fedora de Giordano en décembre 2024 à l’Opéra de Genève aux cotés de mon époux Roberto Alagna.

J’ai progressivement exploré chez Verdi des rôles encore plus exigeants que ceux précédemment abordés comme Desdemona dans Otello à l’Opéra de Vienne ou le rôle-titre de Luisa Miller que j’ai d’ailleurs interprété ici même à Monte-Carlo, en version de concert. Et bien entendu cette toute récente Aida au Grimaldi Forum (que j’ai déjà incarnée aux Arènes de Vérone l’été dernier et récemment à l’Opéra de Paris ) et qui nous vaut l’objet de notre rencontre.

Vous venez de chanter cette Aida avec une ligne remarquable, quasi belcantiste par moments. On redécouvre ainsi cet ouvrage sous un angle inhabituel, tant votre interprétation rappelle que ce rôle n’est pas l’apanage exclusif des grandes sopranos dramatiques : il exige aussi une technique d’une grande finesse. On pense bien sûr à l’air du premier acte, mais aussi au grand air du Nil, qui demande mezza voce, pianissimi subtils et un véritable art des nuances. Est-ce bien ainsi que vous concevez le rôle ?
Absolument. C’est même exactement ma pensée. Il ne faut jamais oublier que toute la première partie de ma carrière s’est construite sur une technique entièrement belcantiste : l’allègement du son, la flexibilité, la maîtrise des nuances : tout cela fait partie de mon ADN vocal depuis le premier jour. Ce répertoire initial a occupé une large place dans mon parcours, et je m’efforce aujourd’hui de fonder toute mon évolution vers des rôles plus dramatiques sur ces mêmes principes.
J’ai beaucoup échangé à ce sujet avec mes anciens professeurs, mais aussi avec de grandes cantatrices qui avaient adopté cette démarche. Toutes m’ont confirmé que ce travail sur le bel canto permet non seulement d’aborder les rôles les plus lourds avec plus de sécurité et de vérité expressive, mais surtout de préserver la longévité de la voix. C’est, selon moi, la condition indispensable pour servir pleinement ce répertoire sans le subir et pour durer dans ce métier.
Quels projets avez-vous et quels rôles aimeriez-vous aborder prochainement ?
Après 25 ans de carrière et 65 rôles interprétés je songe à des emplois tels, chez Verdi, qu’Amelia dans Un bal masqué ou encore Lady Macbeth dans Macbeth et chez Puccini aux rôles de Manon Lescaut et de Turandot.
Propos recueillis par Christian JARNIAT






