Genèse et synopsis La comédie de Sacha Guitry créée au Théâtre Municipal d’Orléans le 21 septembre 1937 est à l’affiche 3 jours plus tard à Paris au Théâtre de la Madeleine (avec Sacha Guitry, Gaby Morlay, Jacqueline Delubac et Georges Grey). Dans le prolongement le film sort en 1938. Quadrille continue à être régulièrement joué au théâtre. On y retrouve le « narcissisme » incontestable de l’auteur qui propose, une fois de plus, une brillante digression sur l’adultère (à l’instar, et entre autres, de Faisons un rêve). Si l’inconstance du couple est le sujet essentiel, le personnage de Paulette, infidèle et inconséquente, traduit en outre le fait qu’elle ne fait que céder à ses pulsions libertaires. Philippe de Morannes rédacteur en chef d’un journal de renom est en ménage, depuis six ans, avec Paulette Nanteuil une actrice de théâtre réputée. Les habitudes se sont installées dans ce couple apparemment uni. Philippe est pourtant très attiré par Claudine, elle aussi journaliste, et de surcroît la meilleure amie de Paulette. Il estime que la meilleure façon de trancher ce dilemme est désormais d’épouser Paulette et de séduire Claudine pour en faire sa maîtresse. Mais le destin capricieux vient souvent perturber les meilleures résolutions : un célèbre acteur de cinéma américain Carl Herickson débarque à Paris et Paulette ne tarde pas à succomber à ses charmes. A la fois piqué par cette déconvenue, qui n’était pas dans ses plans, mais ayant aussi la voie libre du fait de la trahison de sa compagne, Philippe déclare sa flamme à Claudine. Mais rien ne va être aussi simple que la situation pouvait le laisser croire…
Marivaudage et danse à quatre Dans cette comédie où les instincts et les désirs s’entremêlent, les conventions volent en éclats dans un tourbillon vertigineux. Le quadrille ainsi lancé, les quatre partenaires de ce chassé-croisé amoureux, n’ont plus qu’à entrer dans la danse. Sacha Guitry y dépeint avec ironie et acidité les rapports humains se rapprochant dans le ton comme dans le traitement de la langue de Marivaux et Musset.
On y découvre également la finesse de son théâtre qui décrit la stratégie du désir amoureux à travers des scènes cyniquement drôles et impertinentes. La prosodie de Guitry est virtuose et il sait porter un regard particulièrement pointu sur les rapports humains et l’amour.
Dans la production de la Compagnie Ici et Maintenant (Coproduction du Théâtre National de Nice, Comédie de Picardie-Amiens, Théâtre Montansier-Versailles) le rythme est évidemment essentiel et il inspire particulièrement le metteur en scène Jean-Romain Vesperini habitué aux mises en scènes d’opéra (on a apprécié sa sublime version de Boris Godounov lors de la clôture de la saison 2020-2021 à l’Opéra de Monte-Carlo). Dans une interview il indique qu’à l’opéra, il dirige les chanteurs comme des acteurs et qu’au théâtre il considère le texte comme une partition. Et cela fait de ce spectacle une réussite accomplie. Le décor intemporel de Bruno de Lavenère représente de manière schématique la chambre d’un Palace qui peut tout aussi bien, évoquer le salon d’un appartement cossu. A cour et à jardin, deux haies de grilles sont surmontées de petites lumières en forme de bougie. En fond de scène un grand fauteuil noir se transforme en lit lorsque l’on en déploie les côtés à la manière d’un éventail. Les attrayants costumes d’Alain Blanchot (qui peuvent situer l’époque entre les années 1930 et 1950) sont en parfaite harmonie avec cette scénographie.
Comme dans certaines comédies de Labiche ou de Feydeau ont été rajoutés des passages musicaux (partition signée Augustin d’Assignies qu’il interprète lui-même au piano) sous forme d’airs ou duos à l’instar des comédies musicales où les parties chantées constituent le prolongement du texte parlé et non des chansons isolées (exemple My Fair Lady). C’est ainsi par exemple, que l’acteur américain, évoquant le succès qu’il rencontre auprès de ses fans, chante un air sur « les autographes ». Les acteurs chantent et dansent avec grâce et talent. La pièce, même « réactualisée » dans sa scénographie fait, ne serait ce que dans l’esprit, référence à ces « années folles » débridées de la période 1920-1930. Les répliques concoctées par Sacha Guitry, qui fusent autour du thème du couple adultère, sont évidemment savoureuses comme par exemple : « Au début d’une aventure le cocu y est toujours pour quelque chose », « Ce qui fait le bonheur ne nous rend pas toujours heureux », « C’est une grande erreur de croire que parce qu’on est cocu on a droit instantanément à toutes les autres femmes », « Moi voyez-vous je n’ai pas d’illusion sur mes passions », « Si je me marie c’est pour avoir une maitresse », « On doit payer assez cher le droit d’être libre » etc.
Un quatuor d’acteurs d’exception
Afin de donner du sens comme de la brillance au texte de Sacha Guitry, il convient de disposer d’un quatuor d’acteurs d’exception. Pour reprendre le rôle de Philippe qui était incarné lors de la création par l’auteur lui-même, il a été fait choix de Xavier Gallais qui, 5 jours auparavant, jouait sur cette même scène le rôle-titre dans Tartuffe. Passer ainsi, en si peu de temps, du faux dévot machiavélique qui jette le trouble dans une famille bourgeoise à un journaliste désinvolte et élégant, pris par l’amour entre deux femmes, constitue une sorte d’exploit interprétatif d’autant que le texte de Guitry est aussi dense que celui de Molière. Xavier Gallais y fait preuve d’une aisance et d’une classe éblouissante avec cet humour à la fois railleur mais néanmoins charmeur. Marie Vialle dessine pour sa part, une actrice un peu fofolle assez acidulée et qui perd facilement la tête, se laissant aller, comme une adolescente, à ses pulsions auprès du premier bellâtre venu et n’ayant absolument aucun sens de la culpabilité, ce qui la rend particulièrement attachante. L’acteur ivoirien Cyril Gueï incarne le comédien américain avec une force et un charisme qui balaie tout sur son passage et dont le physique athlétique en fait, en outre, l’amant idéal. Léonie Simaga, ancienne sociétaire de la Comédie Française, joue le rôle de Claudine, une journaliste en apparence réservée et prudente (d’autant qu’elle est la meilleure amie de Paulette) mais qui tire finalement toutes les ficelles de ce quatuor. Le texte ironique de Sacha Guitry, la cocasserie des situations, l’érotisme à fleur de peau, les incessants chassés-croisés, la musique qui vient opportunément souligner toutes les situations ainsi que la maitrise d’une direction d’acteurs réglée au cordeau, font de ce spectacle une heure quarante de bonheur où l’on rit à presque toutes les répliques et où l’on partage également le goût de Sacha Guitry pour cet humour qui pour être corrosif, n’en est pas moins réjouissant.
Christian Jarniat
20 janvier 2022