Nombre de spectateurs ont vu et revu la mise en scène datant de 1993 qu’avaient commise Günter Krämer et le scénographe Andreas Reinhardt, une machine plutôt rouillée. Pour le premier tableau, qui a lieu dans les salons d’un hôtel particulier parisien où la courtisane Violetta Valery donne une fête, seule la partie inférieure de la scène est utilisée : un couloir fait d’une bande rouge et noire comportant toute une série de portes qui s’ouvrent sur un second couloir où va se dérouler la farandole des aristocrates et des grands bourgeois et des demi-mondaines qu’ils entretiennent. Les portes ouvrent peut-être sur autant de séparés où l’on peut se retirer pour des plaisirs plus particuliers. Cette farandole est le seul moment dynamique d’une mise en scène extrêmement statique.

Au deuxième acte, on est transportés dans le parc d’une villa près de Paris, un parc jonché de feuilles mortes avec des chaises dépareillées peut-être achetées chez un brocanteur, à droite une balançoire, à gauche un immense lustre montgolfière surdimensionné avec ses guirlandes de pampilles de cristaux qui, au dernier acte terminera à moitié affalé sur le sol : la fête est finie, Violetta va mourir.
Le positionnement du chœur des bohémiennes et des matadors est d’un statisme affligeant, de même que l’introduction en fond de scène d’une figurante sagement habillée, la sœur chaste et pure d’Alfredo, qui n’a pas vraiment sa place chez une courtisane.
Au dernier acte, Violetta est alitée sur un grabat posé à même le sol en avant-scène, ce qui ne permet pas de l’apercevoir si on a trouvé place au parterre. Cette mise en scène minimaliste dans laquelle les chanteurs et le chœur chantent face au public est tout à leur avantage : ils qui n’ont pas à se mouvoir et peuvent ainsi pleinement se concentrer sur le chant.

C’est justement pour la musique et pour le chant que le public s’est déplacé, et surtout pour entendre une nouvelle fois l’incomparable Lisette Oropesa, une chanteuse constellée dont Violetta est l’un des rôles fétiches. La soprano colorature a soulevé l’enthousiasme du public tout au long de la soirée, son interprétation est soutenue par une technique remarquable qui lui permet d’exprimer sans défaut toutes les facettes du rôle : la joie insouciante et l’élan passionné, la fragilité du corps et du cœur, la maladie et la misère, le renoncement et la grandeur morale, le désespoir et l’agonie.

La palette émotionnelle complexe de la traviata (la dévoyée) est rendue avec une maîtrise impeccable. Totalement engagée dans le rôle, la chanteuse se fond dans son personnage auquel elle confère une aura lumineuse incandescente dont elle irise tout le lyrisme dramatique.
La passion amoureuse la consume tout autant que la maladie qui la ronge. Lisette Oropesa apporte la beauté rayonnante de sa voix à une interprétation d’une authenticité émotionnelle poignante.

Le rôle d’Alfredo Germont a été confié à Granite Musliu qui a le charmant physique de l’emploi : grand, le visage avenant, la silhouette athlétique, le jeune ténor kosovar de 27 ans fait des débuts applaudis en Alfredo dans lequel on pressent qu’il pourra grandir musicalement. La technique est assurée, la voix est ample et puissante, bien articulée et projetée, avec cependant plus d’emphase que de transmission du sentiment. Alors que sa partenaire de scène nous fait vibrer et nous tient constamment en haleine, Granite Musliu séduit par sa mâle prestance et par les beautés de son chant sans encore arriver à nous partager pleinement le drame intérieur qui ravage Alfredo.

Grande voix verdienne, Luca Salsi donne un Giorgio Germont robuste, solide et profond sans parvenir cependant à lui donner la stature d’un Commandeur. La mezzo-soprano américaine Natalie Lewis chante une Annina dont l’italien est difficilement compréhensible, avec une amélioration sensible au troisième acte. Martin Snell donne un docteur Grenvil de fort belle composition.
Les chœurs et l’orchestre livrent un travail admirable. dûment ovationné par une public ravi. Le chef hongrois Henrik Nánási, qui avait dirigé la reprise de la Traviata en 2012 et qui en a l’été dernier donné une version de concert à Grenade, donne une lecture précise, fluide, vivace et très émouvante de l’œuvre.

La palme revient à Lisette Oropesa, qui domine toute la production et nous entraîne dans d’autres sphères, lumineuses et lointaines, dont les beautés sublimes transcendent le monde abyssal du sacrifice auquel son personnage est exposé.
Luc-Henri ROGER
Distribution du 11 novembre 2025
Direction musicale : Henrik Nánási
Mise en scène : Günter Krämer
Scénographie : Andreas Reinhardt
Costumes : Carlo Diappi
Lumières : Wolfgang Goebbel
Violetta Valéry : Lisette Oropesa
Flora Bervoix : Meg Brilleslyper
Annina : Natalie Lewis
Alfredo Germont : Granite Musliu
Giorgio Germont : Luca Salsi
Gaston : Samuel Stopford
Baron Douphol : Vitor Bispo
Marquis d’Obigny : Paweł Horodyski
Docteur Grenvil : Martin Snell
Giuseppe : Dafydd Jones
Un serviteur de Flora : Zhe Liu
Un jardinier : Daniel Vening
Orchestre d’État de Bavière
Chœur de l’Opéra d’État de Bavière
Chef de Chœur : Franz Obermair
Crédit photographique © Geoffroy Schied








