Inoubliable concert de Martha Argerich et Charles Dutoit !
Martha Argerich entra en scène d’une manière presque banale, coiffée d’une cascade de cheveux argentés. Alors qu’elle se dirigeait vers son piano, on s’interrogeait : était-elle toujours la grande Martha ? Les années ne l’avaient-elles pas usée ? Qu’était devenue la pianiste que le monde avait découverte avec étonnement il y a… soixante ans ? Dès qu’elle attaqua les premières notes du fulgurant 3ème concerto de Prokofiev on eut la réponse. Il fallait se rendre à l’évidence, elle n’était plus la même virtuose : elle était… plus brillante encore ! C’était ahurissant. Les gammes fusaient, les arpèges flamboyaient, les doigts percutaient le clavier avec une vigueur inouïe. Les mains bondissaient, griffaient, caressaient. Jamais ce concerto n’avait été aussi vivant, passionnant. On découvrait des accents nouveaux, des nouveaux contre-chants. On était transporté. A la fin le public se leva comme un seul homme. Oui, le public monégasque, si réservé d’habitude ! Il y eut une dizaine de rappels. Martha joua en bis unE Scène d’enfant de Schumann (un comble de tendresse!) et une sonate de Scarlatti (un feu d’artifice!). Pendant qu’elle jouait ces bis, un homme était assis sur l’estrade, l’admirant comme une muse. C’était le grand, l’immense chef d’orchestre Charles Dutoit.
Ce chef était pour la deuxième semaine à la tête du Philharmonique de Monte-Carlo. On avait parlé de magie, la semaine dernière, pour son interprétation de Ma Mère l’Oye. Eh bien la magie recommença avec le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et l’ Oiseau de feu de Stravinsky. Charles Dutoit obtint du Philharmonique des attaques parfaites, des enchaînements de rêve, des accords foudroyants, des transparences séraphiques, des couleurs enchanteresses. Dans tous les coins de l’orchestre, les solistes rivalisaient d’élégance : Raphaëlle Truchot à la flûte dans le « Prélude » , Arthur Menrath au basson dans l’ « Oiseau », mais aussi Matthieu Bloch au hautbois, Andrea Cesari au cor et, en première ligne, le violon solo David Lefèvre à la vibrante autorité.
Et c’est ainsi qu’on entendit un inoubliable Oiseau de feu , en ce jour qui était le premier du… couvre feu !
André PEYREGNE