Quelle chance d’avoir le privilège d’assister à un ballet avant tout destiné au public jeune dans la belle salle du théâtre de la Gärtnerplatz ! Quel bonheur de voir la salle comble emplie d’enfants et d’adolescents captivés par le ballet qui a été écrit à leur intention ! Pas un bruit dans la salle, mais une attention collective rivée sur la scène, des bouches bées d’admiration devant les exploits et les ingénieuses trouvailles gymniques de la chorégraphie, de la mise en scène et de la scénographie, des oreilles grandes ouvertes et attentives à la belle musique composée par Han Otten exécutée par le merveilleux orchestre du théâtre dirigé par les mains compétentes d’Oleg Ptashnikov, un chef particulièrement apprécié pour la précision de sa direction souriante et admiré pour le charisme de sa communication musicale !
Le jeune public est venu ou revenu assister au ballet conte de fées Peter Pan qui revient chaque année, depuis près de dix ans, enchanter petits et grands. Le ballet fut créé en 2016 sur commande du théâtre au chorégraphe italien Emanuele Soavi, qui fut danseur à l’Opéra de Rome et est aujourd’hui installé à Cologne. La musique fut elle aussi commandée pour ce ballet au Néerlandais Han Otten, connu et recherché depuis de nombreuses années pour ses compositions pour le cinéma, la télévision et la danse-théâtre, notamment avec le chorégraphe Jiří Kylián.
Peter Pan est mondialement connu et universellement adoré ! L’écrivain écossais James Matthew Barrie a initialement inventé le personnage de ce petit garçon qui vit des aventures magiques dans les jardins de Kensington comme personnage secondaire dans son livre pour adultes Le Petit Oiseau Blanc (1902). Il écrivit ensuite la pièce de théâtre Peter Pan, ou le garçon qui ne voulait pas grandir, qui fut suivie en 1911 par la publication roman Peter et Wendy, en 1911, l’histoire d’un garçon sans âge et d’une jeune fille qui vivent des aventures dans le décor fantastique du Pays Imaginaire. Le personnage de Peter Pan a conquis la scène londonienne pour la première fois le 27 décembre 1904, et est rapidement devenu un symbole d’aventure enfantine et de joie de vivre. Que ce soit sur scène, au cinéma ou dans les livres, les enfants du monde entier grandissent avec Peter, et les adultes rêvent de retourner au Pays Imaginaire, où Peter Pan, éternellement jeune, poursuit encore aujourd’hui ses aventures. Depuis sa création, l’histoire a été adaptée en pantomime, en comédie musicale, en émission télévisée, en spectacle de patinage sur glace au milieu des années 1970 et dans plusieurs films, dont un film muet de 1924 , un film d’animation Disney de 1953 et un film d’action en 2003. Le ballet conte de fées d’Emanuele Soavi est l’un de ses derniers avatars.
Peter Pan peut voler et ne grandira jamais – les conditions idéales pour une enfance sans fin, pleine d’aventures, sur l’île fantastique du Pays Imaginaire. Peter Pan y vit comme le chef des «Garçons Perdus». Un soir, lors d’un voyage à Londres, il rencontre Wendy Darling et ses deux frères, John et Michael. Peter les emmène aussitôt au Pays Imaginaire, où les sirènes, la tribu de Lilly la Tigresse, les elfes, d’impressionnants crocodiles et, surtout, les dangereux pirates menés par le maléfique Capitaine Crochet les invitent à une multitude d’aventures… Pour rappel, les Garçons perdus (ou Enfants perdus) sont des enfants tombés de leur landau, qui atterrissent au Pays imaginaire s’ils ne sont pas réclamés au bout de sept jours.
Tout commence et se termine en boucle. Tout comme Wagner avait conçu l’Anneau du Nibelugen, Emanuele Soavi a pour sa chorégraphie conçu l’Anneau de Peter Pan, comme l’élément iconographique central. Ainsi voit-on d’entrée un globe lumineux entouré d’un anneau comme luminaire dans la chambre de Wendy et de ses deux frères. À la fin du premier acte, les enfants et Peter Pan s’élèvent dans les airs dans des cerceaux suspendus. Sur l’île du Pays imaginaire, les sauvages dansent en cercle autour d’un nounours vert que le Capitaine Crochet va bientôt décapiter. Le vert est on le sait la couleur de Peter Pan, qui saura recapiter le nounours. ” Thèse, antithèse et prothèse, il faut recapiter le nounours vert ! ” (L’humour grinçant de Jacques Prévert s’appliquait au roi Louis XVI…) À la fin du second acte, les enfants retrouvent leur chambre et leur lit, les parents qui les avaient quittés ( — horreur, il n’y avait pas de baby-sitter, ce qui a laissé le champ libre à Peter Pan et à la fée Clochette —) pour une soirée mondaine ou un soir à l’opéra viennent de rentrer et vérifient que tout va bien dans la chambrée.
Pour la plus grande joie du public enfantin, la première scène se déroule dans la chambre des enfants qui se livrent à des batailles de polochon et se servent de leur lit comme d’un trampoline. La chambre, comme le voltairien château du baron de Thunder-ten-tronckh a porte et fenêtre. Les parents très BCBG maniérés se sont mis en frais de grande toilette pour sortir, le papa porte une cravate dont les enfants vont s’amuser à défaire le nœud pour ensuite tirer la cravate. Et déjà la magie intervient, la cravate s’allonge et devient si longue qu’ils peuvent en ligoter leur père. Une jolie satire des convenances sociales qui vont être (gentiment) mises à mal tout au long de la soirée. Les parents partis, Peter Pan arrive par la fenêtre ouverte au milieu d’un cerceau comme un vibrion libérateur, il personnifie la liberté joyeuse de l’enfance insoumise face à la rigidité parentale. Qu’on se rassure, la mère des trois enfants est caressante et aimante, un amour que les turbulents enfants lui rendent bien.
Le Corps de Ballet du Theater-am-Gärtnerplatz mène une danse endiablée, les figures de la danse qui paraissent turbulentes sont en fait parfaitement coordonnées, il règne un esprit d’équipe qui est la marque de fabrique de ce théâtre. On est ravi par les trouvailles scéniques si bien agencées, ainsi la manière de traiter le thème de l’ombre de Peter Pan qui d’abord découpée se fixe à une paroi, mais bientôt l’ombre se montre infidèle et se détache de son possesseur et se démultiplie et ce sont jusqu’à douze ombres qui dansent la sarabande.
Emanuele Soavi interroge le thème apollinarien de l’ombre infidèle, et cela, mine de rien, ajoute à la profondeur symbolique du mythe de Peter Pan. Pour couronner le tout, il faut encore applaudir aux costumes très imaginatifs et les accessoires y attenant de Karl Fehringer et Judith Leikauf, ainsi de l’énorme crochet du capitaine forban.
Les enfants, jusque là sages comme des images, se sont déchaînés au moment des applaudissements et sont retournés dans leurs foyers en emportant une énorme part de rêve et de fantaisie.
Luc-Henri ROGER
25 juin 2025
Conception et distribution
Peter Pan, un ballet conte de fées d’ Emanuele Soavi
Musique de Han Otten
d’après James Matthew Barrie
Commande du Staatstheater am Gärtnerplatz
Première mondiale le 3 mai 2016 au Théâtre Cuvilliés
Directeur musical Oleg Ptashnikov
Chorégraphie Emanuele Soavi
Mise en scène et costumes Karl Fehringer, Judith Leikauf
Lumière Jakob Bogensperger
Dramaturgie David Treffinger
Wendy Marta Jaén Garcia
John Matthew Jared Perko
Michael Micaela Romano Serrano
Mme Darling Amelie Lambrichts
Monsieur Darling David Valencia
Nana Chia-Fen Yeh
Lisa Mikayla Lambert
Peter Pan Ethan Ribeiro
La Fée Clochette Jana Baldovino
Tiger Lilly Amélie Lambritz
Capitaine Crochet David Valencia
Smee Joel Distefano
Ballet du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz