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Peter Grimes à l’opéra de Monte-Carlo

Peter Grimes à l’opéra de Monte-Carlo

mercredi 28 février 2018
Au centre José Cura – Photo Alain Hamel

Un exploit et une soirée magistrale. C’est ainsi, en quelques mots seulement, qu’on pourrait résumer l’exceptionnelle production de Peter Grimes – sans doute le chef d’œuvre de Benjamin Britten – affichée pour la première fois à l’Opéra de Monte-Carlo.

L’exploit est accompli par le ténor argentin José Cura (qui, l’année dernière, sur cette même scène, avait abordé le rôle-titre de Tannhäuser de Wagner dans la rarissime version parisienne de 1861). Riche d’une carrière de 25 ans, on l’a vu triompher, dans les plus prestigieux théâtres dans un répertoire allant de Tosca à Otello en passant par Samson et Dalila, Il Trovatore, Manon Lescaut, Andréa Chénier, Tosca, Pagliacci, etc. Cet « artiste protée », par ailleurs chef d’orchestre réputé, a assumé en la circonstance la mise en scène, les décors, les costumes et les lumières de ce Peter Grimes d’anthologie, tout en incarnant le personnage éponyme qui, on le sait, constitue un emploi particulièrement écrasant ! On ne peut que s’incliner devant cette extraordinaire performance, d’autant que la qualité, dans tous les domaines, était au rendez-vous.

Le décor tournant, séduisant en la forme, est particulièrement astucieux et fonctionnel. De la petite ville de Bourg, sur la côte Est de l’Angleterre, l’église devient, en un rien de temps, taverne et la tourelle qui surplombe les deux, et à laquelle on accède par un escalier en colimaçon, se transforme, en pivotant, en intérieur de la modeste demeure de Peter Grimes édifiée sur plusieurs niveaux. Tout ceci implanté sur un rivage, tantôt battu par la tempête, tantôt apaisé. La lumière – magnifique – contribue à la magie de ce spectacle, à la fois réaliste, naturaliste et onirique et, de surcroît, véritable thriller psychologique. Et si le résultat se révèle magistral c’est parce que José Cura sait constamment tenir le public en haleine en s’appuyant sur le magnifique livret de Montagu Slater (d’après le poème de Georges Crabbe) qui s’attache à dépeindre une communauté de pêcheurs rude et repliée sur elle-même où le plus infime des soupçons gonfle en une persistante rumeur transformant, in fine, des interrogations en certitudes. Dans cet univers étroit et borné, Peter Grimes est-il coupable d’avoir maltraité ses apprentis et de les avoir tués ?… Ne sont-ce finalement que de malheureux accidents dont l’étrange reproduction repose sur de malencontreuses coïncidences ?… L’intérêt de cette œuvre riche autant que complexe est de ménager le suspense, de solliciter l’imaginaire du spectateur et de laisser une fin ouverte. Dans une interview réalisée lors de la représentation au Metropolitan Opera de New York en 2008, le ténor Anthony Dean Griffey, spécialiste du rôle, déclarait qu’il avait une opinion personnelle sur l’innocence ou la culpabilité du héros mais qu’il ne la livrerait pas au motif que tout dépendait finalement de l’éclairage de la production qui était mise en œuvre. José Cura, plutôt que de dépeindre un monstre violent et cruel en proie à l’esprit de lucre comme à ses pulsions, nous propose le profil d’un homme en souffrance, parfois agressif parce que mal à l’aise et qui tente d’exprimer, en vain et maladroitement, ses états d’âme dans une société hostile à ses aspirations et indifférente à sa douleur. En butte à l’incompréhension, dans un huis clos étouffant, il est conduit au suicide, seule issue à ce drame provoqué par l’intolérance et le sectarisme. Le regard que porte José Cura est certainement, du moins dans cette production, de faire non un bourreau mais une victime de ce héros maudit, fascinant dans son investissement dramatique et dont la voix bouleverse tant elle parait idéalement adaptée à ce Peter Grimes d’exception. Comment ne pas souligner, en outre, sa direction d’acteurs très précise où le théâtre a évidemment une importance de premier plan, chacun des nombreux rôles étant mis en valeur avec une caractérisation pointue et une justesse admirable ? On ne pourra ici citer toute la distribution, dont l’un des bonheurs est la parfaite homogénéité, mais on dira au moins qu’Ann Petersen, qui s’est fait une spécialité des grandes héroïnes wagnériennes, nous offre une émouvante Ellen, seul personnage, avec le capitaine Balstrode (un Peter Sidhom, impeccable à tous égards) à témoigner de la compassion à Peter Grimes. La soprano danoise déploie une voix maîtrisée, alternant subtilité et émotion. Carole Wilson apporte la truculence attendue dans le rôle de Tantine, flanquée de ses remarquables nièces, Micaëla Oeste et Tineke van Ingelgem. Tout aussi saisissant est le Bob Boles du ténor irlandais Michael Colvin dont on notera qu’il a, lui aussi, chanté le rôle-titre de Peter Grimes. Deux points forts, soutiennent de surcroît cette électrisante production : d’une part, l’imposante prestation du chœur de l’Opéra de Monte-Carlo dont on mesure le travail accompli pour une œuvre dans laquelle il est omniprésent et, d’autre part, l’orchestre somptueux sous la direction inspirée de Jan Latham-Koenig qui démontre ici l’étendue de sa palette, aussi bien dans la puissance que dans les murmures, mettant en relief, avec un bonheur inouï, les six interludes consacrés à la mer. Devant tant de perfections on peut considérer que ce spectacle est à inscrire parmi les soirées historiques de la scène monégasque.

Christian Jarniat
28 février 2018

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