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ORCHESTRE DE PARIS : LINDBERG / TCHAÏKOVSKI – AUDITORIUM MAURICE RAVEL – LYON –

ORCHESTRE DE PARIS : LINDBERG / TCHAÏKOVSKI – AUDITORIUM MAURICE RAVEL – LYON –

mercredi 26 avril 2023
Yuja Wang © Julia Wesely et Klaus Mäkelä © Marco Borggreve – Oslo Philharmonic Orchestra DR

Après le Concertgebouw d’Amsterdam en février, l’Orchestre de Paris présente un concert tout aussi mémorable mais pas pour les mêmes raisons. Avant toute chose, nous attendions ce rendez-vous avec une phalange de premier plan parce que dirigée par son nouveau directeur musical. Tout juste âgé de 27 ans, le chef finlandais Klaus Mäkelä s’attire aujourd’hui les propositions prestigieuses de toutes parts et cumule les consécrations grâce à ses dons hors du commun.
Si nous n’avions pu assister à son concert antérieur céans (à la tête de l’Orchestre National de Lyon), son interprétation de la 1ère Symphonie “Titan” de Mahler à Munich en juin 2022, avec les Münchner Philharmoniker, nous subjugua. Reste que, derechef, nous déplorons l’actuelle manie consistant à incruster un concerto, normalement hors de propos dans le cadre de tournées effectuées par les grandes formations. De surcroît, la plaquette de la saison choisit le nom de la médiatisée soliste pour titrer l’évènement, ce qui confirme une perte de repères.

Véritable épreuve physique, crânement transcendée par une soliste stupéfiante de flegme
Soit ! En première partie, place donc au Concerto pour piano N°3 de Magnus Lindberg (compositeur finlandais né en 1958 à Helsinki), créé à l’automne 2022. Élaboré sur mesures pour la pianiste chinoise Yuja Wang, cet ouvrage complexe est le fruit d’une commande groupée entre des institutions musicales de Pékin, New York, San Francisco, Paris, Hambourg et Toronto. Fait rare, il adopte des formes classiques : 1/2 heure en durée, deux importantes séquences cadentielles, découpage en trois mouvements non enchaînés en Attacca subito.
Dans la mesure où nous n’en avons pas encore pu examiner la partition, avisons bien nos lecteurs : en un tel cas, nos appréciations relèvent du seul faisceau d’impressions ressenties, non de l’expertise sur le plan de la fidélité interprétative vis-à-vis du texte.
L’œuvre a été conçue pour les phénoménales capacités digitales de Yuja Wang. L’histoire rapporte même qu’elle aurait beaucoup influencé le compositeur, voire participé de l’aspect qu’il a conféré à plusieurs pages. Oscillant sur le fil du rasoir entre tonalisme et atonalisme, le présent objet n’indiffère pas. Voilà un point positif à son crédit, car il n’est pas monnaie courante dans la création contemporaine en général. Or, si le 1er mouvement suscite plus la curiosité qu’il ne captive, admettons que maintes résurgences stylistiques du passé surprennent agréablement dans l’écriture. Pour la partie pianistique, le débat diffère. Selon un usage partagé avec Khatia Buniatishvili, Miss Wang ne gagne probablement rien en ramage à n’arborer qu’un minimum de plumage. Au-delà, sa caracolante performance fascine indéniablement par un abattage exceptionnel, lui permettant de surmonter les pires obstacles accumulés.
Ceci constaté, l’inspiration de Magnus Lindberg monte d’un cran dans le mouvement central où le rôle dévolu à l’orchestre s’accroît. Le chef contribue pleinement à la mise en exergue de timbres plus subtilement associés, d’un riche coloris. En sus, les attrayants clins d’œil (à Moussorgski, Liszt, Ravel, Bartók, Respighi…etc.) s’assimilent adroitement à la foisonnante trame globale. Fait seulement défaut une décelable propension poétique, vainement espérée.
Au sein de l’exténuant mouvement conclusif, celle-ci affleure, bien que tel ne soit guère l’enjeu. À une tournure symphonique évidente, le public préfère focaliser sur les courses effrénées au clavier, démonstration de difficultés amoncelées et véritable épreuve physique, crânement transcendée par une soliste stupéfiante de flegme, pour ne pas dire d’équanimité !
Sensation (diversement reçue) entérinée dans le bis : un Bach-Busoni terrifiant d’impavidité1.

Un maestro de flamme, impliqué dans tous les instants comme si sa vie en dépendait
En seconde partie, un standard du répertoire nous ramène sur des terres familières. La VIème Symphonie en si mineur Opus 74 “Pathétique” de Tchaïkovski ne fut pas rare ces dernières années à l’Auditorium. Citons la plus mémorable : celle de Leonard Slatkin à la tête de l’O.N.L en novembre 2016. Par ce choix, Klaus Mäkelä prend donc le risque de se soumettre au jeu fatalement inévitable des comparaisons. Dirigeant de mémoire, il fascine aussitôt par la grâce du geste, une suprême élégance dans sa façon de – quasiment – caresser ses extatiques instrumentistes, ce dès le solo de basson de l’Adagio introductif (exceptionnellement habité, joué par Giorgio Mandolesi). Une tendance au surlignage apposée sur certaines accentuations surprend mais n’importune jamais. Constamment, le son se révèle plein et rond, dans une appréciable opulence. Tout est parfaitement en place, réglé au millimètre, porté par une fougue déchainée – mais non désordonnée – à compter de l’explosion fiévreuse de l’Allegro non troppo. Si Mäkelä s’inscrit ici dans la prodigieuse lignée des chefs finlandais les plus impliqués (Salonen bien sûr, mais aussi Segerstam, Kamu, Vänskä, Berglund ou Saraste ; pour se limiter à ceux que nous avons vus en action), les fils invisibles le reliant à sa phalange font irrésistiblement penser à Leonard Bernstein. Soyons clairs : nous n’avons pas affaire à un quelconque batteur de mesure mais à un maestro de flamme, vraie torche vivante impliquée dans tous les instants comme si sa vie en dépendait, la gestique portant toujours loin et haut.
Nous avons spontanément relevé une fabuleuse profondeur de champ des cordes graves. L’Allegro con grazia la confirme. Elles créent l’assise indispensable à l’épanouissement de leurs partenaires des violons 1 et 2, qui déploient un envoûtant lyrisme dans cette atypique valse à cinq temps. Mäkelä pose ici la baguette pour diriger l’essentiel de ce 2ème mouvement du regard et par le discret balancement du corps tout entier, usant des mains au minimum. Prodigieux ! Là encore, comment ne pas songer au modèle de Bernstein, dont un critique américain aurait dit un jour qu’il semblait « faire l’amour avec l’orchestre ». On n’en est pas loin présentement ! Ajoutez à cela un sens inné de la respiration, une souplesse sensuelle de la courbe et une totale osmose ; aucun doute : le fantôme de “Lenny” plane dans la salle…
Survoltée mais graduée, la montée en puissance du 3ème mouvement Allegro molto vivace laisse pantois, révélant toute la force d’un orchestre dans son meilleur jour (car Dieu sait qu’en le fréquentant depuis plus de quatre décennies, il en connut de mauvais !). La réactivité de tous les pupitres – avec une mention spéciale pour des bois scintillants – étourdit. Avec une netteté alliée à une apesanteur dépourvue de toute superficialité, le chef porte ses troupes à l’incandescence, aux limites de la rupture sans, toutefois, jamais écraser l’auditoire, ce qui relève de l’exploit. Ainsi, cuivres et percussions dévoilent une beauté sonore dionysiaque.
Ah ! Il faudra bien un jour s’y résoudre : systématiser une annonce avant toute audition de la “Pathétique” afin de demander au public d’éviter les applaudissements (certes instinctifs et cordiaux ; on n’y échappe pas ce jour) qui fusent avant l’attaque du dernier mouvement !
Rappelons que, sur le manuscrit autographe, Tchaïkovski raya résolument l’indication « Andante » précédant « Lamentoso » au profit de « Adagio ». Là s’évanouit toute parenté avec Bernstein qui, dans ses ultimes interprétations, étirait le tempo dans des proportions inouïes [confer sa gravure de 1987 chez DGG]. Klaus Mäkelä se hâte lentement, dans l’esprit d’un sostenuto tendu tel un arc, restituant un écho bouleversant des tourments de Tchaïkovski. Le vide à l’estomac ressenti dans la phase précédant l’intervention des cors bouchés et du tam ouvre un chemin de croix menant à un Golgotha orthodoxe qui nous laisse anéanti. Voilà une des plus traumatisantes auditions de l’œuvre dans toute notre carrière. Vivement que Mäkelä signe une intégrale symphonique du maître russe, sans omettrE Manfred où il aura tant à offrir.
Triomphe aux saluts, de la part de l’assistance et des exécutants ravis, trépignants d’euphorie !

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN 
16 Avril 2023

1 Puisqu’il en est ainsi, nous lançons un défi à la mesure de Yuja Wang : imposer le concerto géant de Ferruccio Busoni pour le centenaire de 2024 ! Chiche ?!?
 

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