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Opéra National du Rhin Strasbourg : Fantasmagoriques Contes d’Hoffmann

Opéra National du Rhin Strasbourg : Fantasmagoriques Contes d’Hoffmann

lundi 20 janvier 2025

©OnR/Klara Beck  

L’Opéra National du Rhin a choisi d’ouvrir l’année 2025 avec la nouvelle production des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, signée Lotte de Beer, en coproduction avec l’Opéra-Comique de Paris, l’Opéra de Reims et le Volksoper de Vienne.

Loin d’être une simple succession de numéros musicaux reliés par des dialogues parlés, écrits par Peter de Nuy, la mise en scène de Lotte de Beer se focalise sur le duo Hoffmann/ et La Muse, offrant une lecture très contemporaine et avec une certaine confusion de l’ultime œuvre composée par Jacques Offenbach et jouée le 10 février 1881 à titre posthume à l’Opéra-Comique.

Pas moins de 13 versions furent achevées par Ernest Guiraud et le fils d’Offenbach dans un premier temps et reconstituées par les musicologues, tels que Michael Kaye et Jean-Christophe Keck, se rapprochant au plus près des intentions initiales du compositeur. La metteuse en scène propose donc une relecture du livret de Jules Barbier, revisitant quatre contes d’E.T.A. Hoffmann.

Le personnage de la Muse se révèle être le fil conducteur de cette soirée, nous guidant à travers cette ultime œuvre de Jacques Offenbach. Elle incarne à la fois la conscience artistique et morale d’Hoffmann, tout en brisant le quatrième mur pour créer un lien direct avec le public. La Muse devient tour à tour cheffe d’orchestre, metteuse en scène, régisseuse et psychologue. Elle lui démontre sans cesse que la succession de ses amours malheureuses réelles ou imaginaires n’est due qu’à son narcissisme, son nombrilisme, son égocentrisme. Deux Hoffmann s’affrontent (le chanteur est doublé sur scène par un figurant) : le poète maudit et l’homme confronté à ses pulsions.

L’inconvénient de cette mise en scène se situe dans les dialogues entre Hoffmann et la Muse qui sont donnés devant le rideau noir fermé (pendant le changement de décors) compliquant le récit plus qu’ils ne les éclairent et hachant la continuité du spectacle (surtout l’acte de Venise, qui est particulièrement décousu).

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©OnR/Klara Beck 

Sur le plan visuel, le décor de Christof Hetzer n’est pas particulièrement seyant. Le rideau se lève sur une scénographie plutôt étriquée : un plateau tournant qui laisse percevoir une pièce encadrée par trois murs imposants, avec du papier peint fade, laid et défraîchi avec une grotesque poupée géante animée (rappelant la poupée Chucky). Cet espace étriqué laisse peu de place pour que les interprètes évoluent aisément, surtout pour les chœurs qui chantent le plus souvent dans les loges, ce qui créée bien souvent un décalage entre l’orchestre et les chœurs. C’est bien dommage, car les excellents chœurs de l’Opéra National du Rhin ne sont guère avantagés par cette mise en scène.

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©OnR/Klara Beck 

Ce plateau tournant-immobile renforce cette impression d’immobilisme que l’équipe technique compense par un travail subtil sur les échelles : les décors grandissent ou rapetissent pour souligner l’aspect fantastique de l’action, à l’image de la poupée Olympia, qui de miniature se transformera en géante de 5 mètres de haut, ou encore des tables et des chaises qui rapetissent et s’agrandissent tout au long du spectacle. Un peu brouillant et déroutant…

L’acte d’Antonia (le plus réussi) exploite avec intelligence l’aspect fantastique. Des cadres dorés (sans personnage) encerclent des toiles noires d’où surgissent mains, fleurs et personnages (la mère d’Antonia appelant sa fille depuis l’intérieur d’un tableau, créant un moment étrangement fascinant).

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©OnR/Klara Beck 

L’acte de Giulietta explore la dimension psychologique d’Hoffmann. Les chœurs de l’Opéra National du Rhin, tous des clones d’Hoffmann, symbolisent ses démons intérieurs. Le célèbre duo « Belle nuit, ô nuit d’amour » n’est pas des meilleurs vocalement.

Le dernier acte ramène Hoffmann à la taverne. Ivre et désabusé, il finit par affronter son double (un comédien habillé comme lui) sur le plateau transformé en ring de boxe (et entouré par une série de chaises-tables miniatures). Entre la Muse, la Poupée, la Courtisane et le Mal, le pauvre Hoffmann a du mal à trouver sa place.

Les lumières d’Alex Brok, avec beaucoup d’ombres renforcent subtilement l’atmosphère surnaturelle.

En bref, dans la mise en scène de Lotte de Beer, les quatre incarnations du Mal sont plus ridicules qu’inquiétantes et celles des quatre femmes aimées par Hoffmann confortent toujours le même fantasme chez les hommes, qu’il soit érotique ou domestique.

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©OnR/Klara Beck 

Dans ce voyage fantastique les interprètes incarnent chacun les multiples facettes de l’œuvre, tant vocalement que scéniquement.

Le ténor Attilio Glaser (membre de la Troupe de la Deutsche Oper Berlin), dans le rôle-titre, campe un Hoffmann crédible dans son ambivalence entre poète maudit et homme désabusé. Il possède la puissance et l’endurance pour ce rôle écrasant, même si ses aigus sont parfois un peu forcés et claironnants et sa justesse parfois à la limite. Son engagement scénique le rend particulièrement touchant, surtout dans les échanges avec la Muse. Son costume (réalisé par Jorine van Beek) évoque le « Petit Prince », avec sa longue écharpe, son pantalon un peu grand et sa mèche de cheveux au vent.

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©OnR/Klara Beck 

La soprano Lenneke Ruiten incarne les quatre personnages féminins aux vocalités si différentes : Olympia, Antonia, Giuletta et Stella. Comme souvent dans cette option, on perd beaucoup sur le plan musical. Si sa voix peut parfois manquer de légèreté et de souplesse dans l’air d’Olympia « Les oiseaux dans la charmille », elle déploie en revanche plus de puissance dans les rôles d’Antonia et de Giulietta, où elle trouve une plus grande aisance vocale. L’artiste, dont la voix passe en force à plusieurs moments, peine cependant à émouvoir les spectateurs.

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©OnR/Klara Beck 

Floriane Hasler brille dans le double rôle de Nicklausse et de la Muse, véritable vedette de la soirée. Elle est éblouissante tant dans la qualité de sa diction, que dans le chant bien projeté, nuancé, sensible et d’une belle homogénéité. Elle s’impose par son dynamisme et sa capacité à nous émouvoir au 3e acte dans son air « Vois sous l’archet frémissant ». Le public ne s’est pas trompé en lui réservant des applaudissements fort nourris.

Jean-Sébastien Bou incarne avec habileté, autorité et puissance les quatre apparitions du “diable” : Lindorf, Coppélius, Miracle et Dapertutto. Sa voix chaude et grave donne une présence imposante à ces personnages maléfiques. Sur scène, il fait preuve d’une belle versatilité, passant de l’ironie froide de Lindorf à l’effroi incarné par Coppélius ou Miracle.

Raphaël Brémard, assure avec talent, mais sans jamais en faire de trop les rôles d’Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio, apportant une légèreté bienvenue grâce à ses interprétations souvent saugrenues. Sa diction précise et son jeu nuancé enrichissent ces moments d’humour sans tomber dans l’excès caricatural.

Marc Barrard, avec son timbre affirmé et sa puissance vocale renforcent la gravité des scènes où il interprète Crespel ou Luther.

Pierre Romainville (Nathanaël, Spalanzani) et Pierre Gennaï (Hermann, Schlémil), tous deux de l’Opéra Studio de l’OnR apportent un dynamisme scénique et vocal, très apprécié dans leurs rôles respectifs.

Les Chœurs de l’Opéra National du Rhin, préparés par Hendrik Haas, le plus souvent cantonné dans les loges d’avant-scène ou en fond de scène, perdent en force et cohésion, victimes de plusieurs décalages avec l’Orchestre, mais surtout victimes de la mise en scène qui ne les avantagent guère. Heureusement leur homogénéité et leur puissance collective sont mises en valeur dans la célèbre « barcarolle ».

Sous la direction de Pierre Dumoussaud, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, puissant et engagé donne vie à cette partition complexe. Bien que la configuration du décor projette le son vers la salle, l’intensité est souvent trop forte, mais cependant ne couvre jamais les voix. Les contrastes entre les différents actes sont finement rendus, même si l’équilibre entre la fosse et le plateau pourrait être affiné dans certaines scènes et que le chef peine parfois pour rattraper les décalages avec le chœur.

Le public était ravi de pouvoir applaudir toute l’équipe technique du spectacle venue saluer à la fin.

Malgré des scènes de groupes un peu figées dans cet espace restreint et des nombreux levers de rideaux, cette nouvelle production des Contes d’Hoffmann nous plonge dans la « psyché » du héros poète, non seulement par le déroulement musical, mais également par le dialogue extériorisé entre Hoffmann et sa conscience artistique.

Les applaudissements mitigés et plus modérés pour l’équipe de la mise en scène contrastent avec l’enthousiasme réservé à Floriane Hasler dans le rôle de Muse, incontestablement la « star de la soirée ».

Marie-Thérèse Werling 

20 janvier 2025

Mise en scène : Lotte de Beer
Décors : Christof Hetzer
Costumes : Jorine van Beek
Lumières : Alex Brok
Réécriture des dialogues et dramaturgie : Peter te Nuyl
Collaboration à la dramaturgie : Christian Longchamp
Traduction française des dialogues : Frank Harders

Hoffmann : Attilio Glaser
Olympia, Antonia, Giulietta, Stella : Lenneke Ruiten
Nicklausse, la Muse : Floriane Hasler
Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto : Jean-Sébastien Bou
Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio : Raphaël Brémard
Nathanaël, Spalanzani, le Capitaine des sbires : Pierre Romainville
Hermann, Schlemil : Pierre Gennaï
Crespel, Maître Luther : Marc Barrard
La Voix de la mère d’Antonia : Bernadette Johns

Artistes de complément : Luc Gers Arnaud Richard, Nicolas Umbdenstock

L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et le Chœur de l’Opéra National du Rhin sont dirigés par Pierre Dumoussaud

L’Orchestre Philarmonique de Strasbourg et le Chœur

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