Après 30 ans d’absence de cette œuvre wagnérienne, la nouvelle production de Lohengrin fait les belles soirées de l’Opéra du Rhin. C’est aussi l’occasion de la prise du rôle-titre par le ténor Michael Spyres, son premier rôle intégral wagnérien, après avoir chanté le deuxième acte de Tristan und Isolde en concert à l’Opéra de Lyon en 2022. Avec une tessiture requalifiée de baritenore ces dernières années, tant son registre grave est ample et profond, le parcours vocal de l’Américain sort très largement de l’ordinaire, depuis le bel canto, Rossini en particulier, en passant par le répertoire français (Berlioz en tête) et jusqu’à donc Richard Wagner aujourd’hui… il est d’ailleurs aussi à l’affiche de Bayreuth en Siegmund l’été prochain. On retrouve ce soir à Strasbourg la plénitude du registre grave, ainsi que le style délié et élégant, soutenu par un souffle généreux, tout ceci dans une prononciation allemande d’école ; on n’oublie pas que le ténor a été en troupe plusieurs années outre-Rhin. Mais assez rapidement, on entend certains aigus qui manquent de brillant, qui sonnent un peu mat, comme empêchés de se déployer avec l’éclat qu’on associe généralement aux ténors wagnériens. Ceci est flagrant pendant le déroulement du troisième acte, le long duo avec Elsa d’abord assez idéal dans un médium nourri et charnu, mais ensuite des aigus qui ne claironnent pas assez lorsqu’arrive le drame des questions fatales posées par son épouse.
Déjà entendue en Elsa cet automne à l’Opéra Bastille, la soprano sud-africaine Johanni van Oostrum fait l’objet ce soir d’une annonce avant le début de la représentation : elle est malade, mais confirme sa participation. On avoue avoir du mal à déceler les symptômes de sa maladie à l’écoute de son chant absolument radieux et émis dans la plénitude de ses moyens, ne serait-ce sans doute un aigu plutôt arraché en fin de troisième acte. Mais les aigus justement balaient toute la gamme piano / forte, parfois allégés au possible, comme dans son Rêve au premier acte, jusqu’à des notes glorieuses et bien sonores, ceci toujours dans une intonation très précise. Le jeu également est crédible, comme son regard complètement ailleurs, voire halluciné, dans ce même Rêve.
L’enthousiasme est moindre à l’égard du couple de méchants Ortrud – Telramund. Il est à noter que pour raisons de santé, Anaïk Morel, initialement annoncée dans le rôle d’Ortrud, a dû renoncer aux représentations et est remplacée pour toute la série par Martina Serafin. Elsa dans le passé (dont ses dernières apparitions dans ce rôle en 2017 à l’Opéra de Paris), la soprano autrichienne endosse aujourd’hui les habits d’Ortrud, mais sans avoir gagné pour autant le creux dans le grave associé à ce nouvel emploi. Ses nombreuses années de fréquentation de rôles particulièrement lourds (Lady Macbeth de Verdi, Turandot, ainsi que de nombreux rôles wagnériens) se font entendre par un vibrato bien présent et quelques aigus en limite de cri, comme dans ses Imprécations du II. Malgré ces réserves, la titulaire tient son rôle avec crédibilité, tout comme son compatriote Josef Wagner distribué en Friedrich von Telramund. La voix du baryton-basse n’est pas surpuissante, mais passe bien dans ce théâtre aux dimensions raisonnables. La qualité est homogène sur toute la tessiture, même si l’atteinte de certains aigus paraît plus précautionneuse et qu’il a tendance à prendre trop nombreuses notes par-dessous… peut-être un artifice pour noircir une voix qui ne sonne pas d’emblée comme celle d’un vrai méchant ? En Roi Heinrich, Timo Riihonen se situe dans la glorieuse lignée des basses finlandaises, voix solidement timbrée, mais dans un allemand qui semble moins idiomatique que celui de ses collègues et aux notes les plus aiguës parfois plus discrètes chez lui aussi. En Héraut, le baryton Edwin Fardini complète impeccablement, instrument vaillant et couleur séduisante.
Actuel directeur musical et artistique de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, le jeune chef Aziz Shokhakimov construit une belle et séduisante architecture musicale, ses musiciens faisant preuve d’une attention sans relâche et de robustes qualités techniques. Les cordes sont capables d’une extrême délicatesse, comme au début du Prélude, avant de participer, en même temps que des cuivres plein d’éclat, aux montées vers les climax enthousiasmants. Les choristes de l’Opéra national du Rhin, renforcés pour l’occasion par ceux d’Angers Nantes Opéra, se montrent vigoureux et bien chantants ensemble, tandis que la précision rythmique est moins parfaite lorsqu’ils interviennent par pupitres séparés ou petits groupes, par exemple à l’arrivée de Lohengrin au I.
La mise en scène de Florent Siaud, plutôt classique et illustrative de l’ouvrage, est tout de même très statique, en particulier au premier acte avec les Brabançons réunis par le Roi Heinrich autour d’une table. Avant cela pendant le Prélude, on voit Elsa regarder la constellation du Cygne au travers de son télescope, sur le ciel étoilé projeté sur le voile de scène. Pas de cygne donc pour la venue de Lohengrin qui a des allures de voyageur errant, débarquant en manteau noir et capuche dans un décor de murs et arche antiques.
Le début du deuxième acte n’est pas très réussi à notre goût : Ortrud et Telramund ramenés en avant-scène devant un tulle qui laisse apercevoir trois pendus et la pleine lune à l’arrière, autour d’un braséro, elle sort ses mains pleines de sang de cadavres d’oiseaux au sol… des images qui nous rappellent irrésistiblement certaines mauvaises productions du gibet du deuxième acte du Ballo in maschera de Verdi ! Le thème du livre est aussi régulièrement exploité, avec Elsa, puis Lohengrin pendant la scène finale, qui semblent raconter une histoire, ou un conte, les yeux rivés sur l’ouvrage. On ne peut pas manquer non plus le même tatouage à l’avant-bras pour Elsa et Lohengrin, les deux le montrant à plusieurs reprises. A noter enfin l’utilisation de la vidéo, pour fonction de décor en fond de plateau (bas-reliefs d’anges et chevaux ailés, soleil couchant sur la mer, ciel nuageux) et projetée avec parcimonie sur le tulle en avant-scène, montrant, en très gros plan, les visages des personnages principaux.
Irma FOLETTI
13 mars 2024
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Direction musicale : Aziz Shokhakimov
Mise en scène : Florent Siaud
Décors : Romain Fabre
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières : Nicolas Descoteaux
Vidéo : Eric Maniengui
Lohengrin : Michael Spyres
Elsa von Brabant : Johanni van Oostrum
Ortrud : Martina Serafin
Friedrich von Telramund : Josef Wagner
Heinrich der Vogler : Timo Riihonen
Le Héraut : Edwin Fardini
Orchestre philharmonique de Strasbourg
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Chœur d’Angers Nantes Opéra
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