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Opéra national de Paris Bastille – 24 Février 2024 : I Puritani de Vincenzo Bellini

Opéra national de Paris Bastille – 24 Février 2024 : I Puritani de Vincenzo Bellini

lundi 24 février 2025

©Sebastien Mathe-OnP

Créé au Théâtre des italiens de Paris en janvier 1835, un mois et demi avant Marino Faliero de Donizetti mais destiné aux mêmes interprètes majeurs, I Puritani e i cavalieri fut l’ultime triomphe de Bellini et mérite d’accéder à une place privilégiée dans la capitale française. Néanmoins, admettons que, si réunir une distribution satisfaisante s’avère infiniment plus commode aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, jamais cet ouvrage ne pourra prétendre accéder au statut d’une pièce en usage pour le répertoire courant. Ce, principalement en raison des difficultés capitales concernant la partie du ténor, la plus redoutable parmi les quatre rôles principaux. Chaque retour à l’affiche fait donc figure d’évènement, méritant tout le respect et l’attention des mélomanes, autant que la considération des professionnels du monde musical.

Conçue en 2013, la production signée Laurent Pelly marquait l’entrée d’une aussi noble partition à l’Opéra Bastille. Hélas jamais proposé à la salle Garnier, I Puritani avaient, en revanche, connu une série de représentations en 1987 Salle Favart, dans une mise en scène laissant une étrange sensation d’inaccomplissement signée par Andrei Serban, où seuls resplendissaient June Anderson et Rockwell Blake, respectivement en Elvira et Arturo.

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©Sebastien Mathe-OnP

Tout édifier autour d’une vision onirique d’Elvira séduit et fonctionne

Pour la présente reprise, la scénographie nous avait déjà intéressé rien qu’en examinant les clichés publiés depuis 2013. Comme pour Le Roi malgré lui d’Emmanuel Chabrier produit jadis à Lyon, Pelly y réfrène avantageusement son inclination pour la contemporanéité, nous offrant une visualisation plausible des années meurtries par les guerres civiles qui ravagèrent la Grande-Bretagne de 1642 à 1651. Certes, les matériaux utilisés pour les costumes stylisés, morions inclus, diffèrent par rapport à l’Histoire mais les formes générales demeurent plutôt fidèles à l’esprit sinon à la lettre, renforçant la crédibilité. Très schématiques, les éléments du dispositif scénique (le terme “décors” serait inapproprié !), figurant château, salle d’armes, de réception ou espace extérieur font preuve d’une opportune efficience. Seule réelle source de tracas : l’absence d’élément apte à renvoyer le son en arrière-plan, fort dommageable pour la perception des voix – chœurs autant que solistes, lorsque ces derniers ne chantent pas “à la rampe” – dans la salle, surtout pour un vaisseau aussi ample que Bastille (l’on n’ose imaginer ce que cela donnerait au MET de New York !).

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©Sebastien Mathe-OnP

Assurée par Christian Räth, cette reprise confirme l’option initiale d’une direction d’acteurs parcimonieuse où, par conséquent, les évolutions des solistes peuvent se révéler intrinsèquement inspirées : véritables incarnations pour Elvira et Giorgio ; ou quelque peu figées voire erratiques : Riccardo et Arturo, livrés à eux-mêmes, mais cependant moins que les choristes, aux entrées et sorties machinales, entretemps alignés ou plantés sans expression, ramenant aux mauvais côtés des traditions. Car, inversement, nous avons pourtant encore en mémoire des productions données dans les années 1980, avec des costumes d’une fidélité historique minutieuse, où chaque artiste des chœurs se transformait en individualité !

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©Sebastien Mathe-OnP

Ajoutons aussi, par souci d’un rapport complet, que l’on retrouve les trois genres de tics gestuels navrants inhérents à Pelly, exemples à l’appui : d’abord la mise en danger des chanteurs par maints trajets inconsidérés pouvant nuire au souffle comme à l’exactitude rythmique (Elvira dévalant un escalier en colimaçon au cœur d’une envolée lyrique ; la basse et le baryton se précipitant à grandes enjambées en fond de scène pour ôter leurs vestes et revenant tout aussi sec avant la conclusion de leur grand duo, geste dont la gratuité totale ne permet pas d’établir la moindre signification plausible !?!).

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©Sebastien Mathe-OnP

Ensuite, les oiseuses postures saccadées des masses (regardant le fond de scène puis se tournant tous mécaniquement vers le public pour leurs interventions plus ou moins brèves), incongruités en guise de cache-misère pour pallier au déficit d’inspiration. Enfin, d’uniformes mimiques vaines, pour meubler là où la nécessité ne s’en fait absolument point sentir, affectant surtout les figurants hommes d’armes dans leurs indispensables allées et venues, ici plus conventionnelles que jamais. En l’espèce, l’on atteint même le pompon des évolutions ridicules lorsqu’ils encadrent la reine prisonnière, au point qu’une partie du public en vient à pouffer involontairement dans cet instant tragique.

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©Sebastien Mathe-OnP

Ceci posé, au fil d’un texte intitulé « Dans l’œil d’Elvira », la déclaration d’intention peut avoir du bon chez Pelly. Passons sur la naïve affirmation trahissant une méconnaissance du bagage culturel des auteurs : « Je ne crois pas que Bellini et son librettiste Pepoli se soient réellement passionnés pour l’Angleterre du XVIIème siècle et le conflit entre royalistes et puritains… ». Car la candeur n’est point l’arrogance, telle celle d’un Olivier Py affirmant naguère avec la fatuité des ignorants que Verdi pour Aida n’avait jamais tenu à faire un opéra égyptien ! À l’opposé d’une telle suffisance, l’idée conductrice visant à tout édifier ici autour d’une vision onirique d’Elvira séduit et fonctionne. Au bilan : l’essentiel reste préservé puisque, en dépit des imperfections relevées, jamais nous n’avons enduré le désarroi d’assister à un autre récit que celui contenu dans le livret d’I Puritani.

Corrado Rovaris procure des agréments, essentiellement dans l’architecture des ensembles

Une fois n’est pas coutume, nous avons ressenti une plus troublante perplexité avec Corrado Rovaris à la baguette. Incontestablement, on lui sait gré d’une faveur prodiguée : ne pas faire sonner vulgaire l’orchestre dans cette œuvre qui a subi moult défigurations sur ce plan. Mais, revers de la médaille, des impropriétés chaotiques émergent dès le prélude initial. Outre que la pâte sonore se trouve allégée jusqu’à des déficits ponctuels en densité voire en consistance (les cordes !), pourquoi diantre presser si souvent à l’excès les tempos ? L’on tire bientôt d’une audition très concentrée et analytique cette fâcheuse impression : le chef semble adopter le tempo juste lorsque telle scène l’intéresse et le précipiter quand telle autre ne le passionne pas ! Ce constat d’un potentiel bâclage tacite se révèle particulièrement dans le vaste duo concluant l’acte II entre le baryton et la basse, où ce dernier, jusqu’alors si soigneux, en vient à maculer la ligne par des accents frisant l’expressionnisme ou des accentuations pré-véristes marquées, totalement déplacées. L’explication s’avère évidente : la précipitation imposée, outre qu’elle atrophie toute noblesse, ne lui permet plus de gérer sa respiration sans recourir à ces expédients ! Ceci excepté, le chef bergamasque procure des agréments, essentiellement dans l’architecture des ensembles, qui resplendissent tout en saisissant l’auditeur par une perfection exceptionnellement rencontrée dans l’empilement toujours aéré des strates sonores. Par ailleurs, s’il confère aux vents une substance acoustique inversement proportionnelle à celle des cordes, force est d’admettre que les cuivres l’emportent sur les bois méritants avec, au sommet, des cors de toute beauté (à l’exception près du solo préludant au duo précité des clefs de fa, où l’excessive célérité – CQFD ! – fait friser le dérapage au talentueux titulaire). Le sommet interprétatif sur le plan orchestral se rencontre dans le tempétueux prélude à l’acte III où, pour une fois, l’empressement manifesté ne nuit pas à l’épanouissement de l’écriture.

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©Sebastien Mathe-OnP

Élément incontournable dans I Puritani, les chœurs féminins et masculins accomplissent un parcours sans faute. Intègres, précis, vaillants ils subjuguent par leur rectitude instrumentale. Tout au plus, leur directrice Ching-Lien Wu pourrait-elle leur faire varier davantage les coloris.

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©Sebastien Mathe-OnP

Trêve d’ergotages : ce soir le public ravi a réellement pu voir et entendre I Puritani

Règle numéro un pour qui veut réussir cet opéra : peaufiner la distribution des chanteurs solistes, surtout quand l’on prend un risque majeur en ne prévoyant pas quatre principaux titulaires en alternance. Ce nonobstant, il ne faut pas pour autant négliger les trois emplois secondaires qui n’ont rien d’utilités. Servi d’une façon singulièrement saillante, Sir Bruno Roberton trouve dans le ténor Manase Latu un excellent interprète, vocalement impérieux et d’une franche intelligence théâtrale, manifestée dans une compassion rarement à ce point tangible vis-à-vis des affres de Riccardo. À suivre attentivement dans ses engagements futurs !

S’il n’offre pas la même ampleur, le baryton-basse Vartan Gabrielian dispose d’un très beau timbre en Lord Gualtiero Walton, père d’Elvira. Fait uniquement défaut une envergure plus importante du spectre, mais diction impeccable et phrasé exquis sont déjà prometteurs. Ces constats s’appliquent quasiment à l’identique à l’Enrichetta campée par Maria Warenberg. Aux raffinements d’un organe fort bien travaillé, cette avenante mezzo-soprano lyrique reste d’un volume encore trop restreint dans une salle aussi vaste, alors qu’elle sonnerait sans doute idéalement dans les théâtres d’un cubage moitié moins grand, tels que Nancy ou Montpellier.

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©Sebastien Mathe-OnP

Venons-en aux quatre rôles majeurs, tout en rappelant combien leurs actuels prétendants doivent affronter l’aura légendaire des créateurs. Se glissant dans un rôle taillé sur mesure pour Tamburini, le baryton Andrii Kymach présente un matériau de belle allure, au timbre plutôt attrayant, de la vaillance, une appréciable technique lui autorisant une bonne conduite de la ligne, une efficace gestion du souffle, des aptitudes à la ductilité avec des vocalises fort correctement négociées . Seul petit embarras à signaler : l’expression devient vite monotone comme si le sens des mots semblait parfois lui échapper. Pris sur un tempo plus allant que la moyenne, « Bel sogno beato » le montre presque plus à l’aise que l’air « Ah ! per sempre io ti perdei ». En revanche, quelle tristesse d’encore couper, en 2025, la reprise de cette cabalette, précitée, où d’habiles variantes auraient pu permettre une compensation à la monochromie.

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©Sebastien Mathe-OnP

Avec le duo entre la nièce et son oncle, l’on monte largement d’un cran sur le plan esthétique : moyens plus corsés et velours inestimable. Lisette Oropesa s’impose telle une des meilleures Elvira que nous ayons pu entendre en scène : juvénile, fraîche, spontanée, d’un déconcertant naturel, d’un investissement croissant au gré d’une progression admirable. D’abord un tantinet gênée aux entournures avec la vocalisation serrée dans « bella fiamma onnipossente » (NB : qui embarrassa plus d’une illustre devancière) elle touche l’âme sur l’intégralité du duo avant une polonaise ornée d’agréables trilles, puis couronnée d’audacieuses variantes dès la reprise. Le registre aigu déploie une puissance que ne possèdent ni le médium ni le grave mais tout est divinement soudé. Bouleversante dans la palpable dégradation psychique du personnage, la cantatrice saisit à la gorge même les âmes les plus endurcies par l’expression de sa détresse au finale I. Puis, elle délivre une scène de folie anthologique au II, faisant remonter à Devia ou Aliberti à leurs zéniths pour trouver émotion comparable, tant l’art d’habiter chaque mot, chaque syllabe (sans pour autant leur faire un sort) subjugue. Ravissante, un jeu d’une justesse constante, une sensibilité inouïe dénuée d’histrionisme jusque dans un « Vien diletto » de haute école à faire fondre… tout cela assujetti. D’autant que ses variantes – plus inscrites dans la lignée d’une Sills que d’une Sutherland – avec trilles assurés et notes piquées envoûtantes, révèlent une fameuse personnalité. Giulia Grisi trouve une digne héritière. Quel panache !

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L’ombre de Luigi Lablache colle à Sir Giorgio Walton et, ce soir, Roberto Tagliavini honore ses mânes avec son vrai calibre de basso cantante, prodiguant généreusement une leçon de bel canto. En outre, capacité pulmonaire étonnante et expressivité s’allient pour des résultats épatants, dont témoignent, entre autres, le récit de l’imploration à son frère au I où il modifie perceptiblement son timbre selon les répliques ou un « Cinta di fiori » recherché au possible, où il varie les teintes dans le second couplet d’une façon totalement inaccoutumée. Bravissimo !

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©Sebastien Mathe-OnP

Dans cet opéra dont on a artificiellement fait un tremplin pour soprano depuis 1950, Arturo créé par le fabuleux ténor Rubini constitue l’écueil crucial. Alors qu’on nous l’avait décrit prudent aux représentations initiales, Lawrence Brownlee relève dignement le gant dès « A te o cara » appréhendé avec aplomb, déployant des irisations séduisantes avant un contre-ut dièse aisé. Suprêmement stylé, son émission s’italianise, devenant de plus en plus solaire tout au long du lourd acte III, crânement assumé, d’une tendresse débordante dans le duo avec Elvira. Tout au plus peut-on regretter dans « Ella è tremante, ella è spirante » qu’il évite le contre-, pour en décocher un à la place du contre-fa consécutif. Mais trêve d’ergotages : ce soir le public ravi a réellement pu voir et entendre I Puritani. Voilà un magnifique exploit !

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
24 Février 2024.

Réalisation :

Direction musicale : Corrado Rovaris
Direction des chœurs : Ching-Lien Wu
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Responsable de la reprise : Christian Räth
Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Orchestre & Chœurs de l’Opéra National de Paris

Distribution :

Lord Arturo Talbot : Lawrence Brownlee
Elvira Valton : Lisette Oropesa
Sir Giorgio Valton : Roberto Tagliavini
Sir Riccardo Forth : Andrii Kymach
La Regina Enrichetta di Francia : Maria Warenberg
Lord Gualtiero Valton : Vartan Gabrielian
Sir Bruno Roberton : Manase Latu

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