Avant d’entamer notre propos sur la dernière représentation de La Bohème à l’Opéra Grand Avignon, il nous semble important de souligner le remarquable travail d’accessibilité et de médiation autour de l’œuvre. En effet, une conférence explicative, gratuite et ouverte à tous, est proposée au public en amont de la représentation.
Une présentation de qualité, à la fois riche en informations et accessible, portée avec passion et une belle pointe d’accent du Sud par Simon Calamel. Son discours, mêlant érudition et convivialité, a su captiver et faire sourire la salle comble du foyer.
Saluons tout d’abord l’esthétisme du plateau, épuré et sobre, jouant sur l’économie de moyens scéniques tout en créant une atmosphère de bohème contemporaine, loin des clichés de l’appartement mansardé. Une composition élégante et aérienne signée Frédéric Roels.
Cependant, dès l’entrée des premiers protagonistes, un déséquilibre sonore s’installe, perturbant rapidement notre écoute de l’ouvrage. L’équilibre entre le plateau et l’orchestre peine à se trouver. Pourtant, l’Orchestre National Avignon-Provence déploie de superbes nuances et un phrasé délicat sous la baguette de Federico Santi. Mais dès les premières mesures, avec le célèbre motif d’ouverture, le volume orchestral s’avère excessif, écrasant la finesse et la subtilité du chant des solistes.Heureusement, ce problème s’estompe dans les passages plus resserrés et intimes, notamment au troisième acte, où l’accompagnement plus léger (bois, harpe et pizzicati) laisse enfin respirer les voix.
Le chœur maison, préparé par Alan Woodbridge, se distingue par son enthousiasme et son énergie dans l’effervescence de l’Acte II. Sa coordination est irréprochable, même dans les passages les plus rythmés, où la précision des pupitres est remarquable — notamment celui des femmes, particulièrement exposé à l’Acte II et dans l’Acte III, avec un effectif fidèle aux exigences de la partition. Les choristes s’investissent pleinement dans les mouvements scéniques et les chorégraphies d’ensemble, apportant une véritable vitalité à la mise en scène. Mention spéciale à Florence Goyon-Pogemberg qui insuffle à la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon une homogénéité et une vivacité remarquables, offrant un chœur d’enfants d’une qualité rare, alliant fraîcheur et précision vocale.
Sur le plateau, on découvre une distribution jeune, pleine de fraîcheur et parfaitement en phase avec la vision scénique de Frédéric Roels. Chaque interprète s’intègre avec naturel à cette lecture contemporaine de la vie de bohème.
La soprano Gabrielle Philiponet incarne une Mimi touchante et sincère, loin de toute afféterie ou misérabilisme. Son discours vocal fait preuve d’une belle intelligence du texte, à la fois printanier et empreint d’une douce timidité. Malheureusement, ce moment de grâce est en partie noyé par la puissance excessive de l’orchestre.
Dans le rôle de Rodolfo, Diego Godoy s’empare du personnage avec une sincérité palpable. Dès sa première réplique, « Nei cieli bigi », il capte immédiatement l’attention par la chaleur solaire de son timbre et ce charme félin qui lui donne une présence naturelle. Il s’inscrit avec aisance dans la lignée de ces jeunes interprètes crédibles, investis et habités par leur rôle.C’est véritablement à partir du duo « O soave fanciulla » que son portrait vocal prend toute son ampleur, et parvient dans sa dernière réplique « Mimi » à offrir une émotion poignante, concentrant à elle seule tout le drame et la beauté de la musique.
Le Marcello de Geoffroy Salvas séduit par sa voix, offrant une belle palette d’intonations au service de la complexité du personnage. À la fois précis et expressif, il brille par son italien fluide et son timbre puissant. Musetta, incarnée par Charlotte Bonnet, insuffle une belle énergie au plateau. Sa liberté et son impertinence captivent instantanément. En véritable maîtresse ensorcelante, elle navigue avec aisance entre la légèreté d’une séductrice et la sincérité d’une femme éprise. Son « Quando m’en vo » pétille avec justesse, porté par des aigus lumineux, une finesse vocale maîtrisée et son jeu scénique complète toute la richesse de son interprétation.
Bien qu’impliqué scéniquement, le Schaunard de Mikhael Piccone séduit par une voix juste et précis. Un artiste que l’on retrouvera malheureusement de moins en moins sur scène, ayant choisi de mettre désormais son expérience au service de la programmation du Forum de Berre.
Et pour compléter la distribution Dmitrii Grigorev – Colline et Yuri Kissin – Alcindoro / Benoît.
Tous les autres personnages, issus des rangs du chœur, apportent chacun leur contribution précise et vivante au dynamisme du drame. Parpignol – Julien Desplantes, le sergent – Saeïd Alkhouri, le douanier – Alain Iltis et le vendeur – Frédéric Caussy,
Enfin, un mot pour saluer le travail de Cédric Deléstrade, qui capture depuis de nombreuses années, avec talent et sensibilité, les plus beaux moments de la programmation de l’Opéra Grand Avignon.
Pascal Terrien
4 Mars 2025
Direction : Federico Santi
Mise en scène : Frédéric Roels
Assistanat à la mise en scène : Nathalie Gendrot
Études musicales : Thomas Palmer
Décors / Costumes : Lionel Lesire
Lumières : Arnaud Viala
Distribution :
Mimì : Gabrielle Philiponet
Rodolfo : Diego Godoy
Musetta : Charlotte Bonnet
Marcello : Geoffroy Salvas
Schaunard : Mikhael Piccone
Colline : Dmitrii Grigorev
Alcindoro / Benoît : Yuri Kissin
Orchestre national Avignon-Provence,
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Chef de Chœur : Alan Woodbridge
Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Responsable de la Maîtrise : Florence Goyon-Pogember