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Opéra de Vienne Salomé de Richard Strauss : surtout pour l’orchestre et pour les voix !

Opéra de Vienne Salomé de Richard Strauss : surtout pour l’orchestre et pour les voix !

mercredi 5 juin 2024

©Michael Poehn

Après Turandot, on retrouve avec bonheur l’Orchestre de l’Opéra de Vienne dans un autre ouvrage propre à faire état de la splendeur de pareille formation. Surtout lorsqu’il s’agit de Richard Strauss, viennois par excellence, et qui fut – outre le génial compositeur que l’on sait – l’un des chefs d’orchestre les plus réputés de la capitale autrichienne et également directeur de l’Opéra de Vienne entre 1919 et 1925.

A nouveau, et à un jour d’intervalle, le foisonnement et la luxuriance de la partition de Strauss donne ici une magnifique occasion aux musiciens de cette maison d’offrir au public une écoute, osons le mot, unique au monde de ce que peut être l’expression aboutie de la musique viennoise dans une œuvre où elle est particulièrement portée à incandescence et mise en valeur. Comme l’écrit Piotr Kaminski1 : « La trame polyphonique de la partie orchestrale, d’une complexité d’ores et déjà supérieure aux architectures les plus recherchées de Wagner, permet ainsi de multiplier les significations et allusions diverses et contradictoires »

Salomé constitue l’une des « œuvres cultes » du répertoire lyrique et l’on ne pouvait que se remémorer le lendemain de la Turandot avec Asmik Grigorian ce que cette dernière avait investi dans son adéquation hors du commun avec le personnage biblique dans la production du Festival de Salzbourg en 2018 dans la mise en scène envoûtante et troublante de Roméo Castelluci. Une introspection à couper le souffle, eu égard au génie interprétatif de la cantatrice lituanienne et « une incarnation qui marque l’histoire interprétative de l’œuvre » comme le soulignait la critique unanime.

Salome 3 RADDA NYLUND c WienerStaatsoper MichaelPoehn
©Michael Poehn

Ici, la mise en scène de Cyril Teste s’inscrit dans un schéma beaucoup plus traditionnel et lorsque le rideau s’ouvre, on assiste à une sorte de dîner mondain (bien entendu, comme il est de coutume aujourd’hui, transposé dans une époque contemporaine proche de la nôtre). Certes, un repas fastueux de grand gala à l’identique de ce que pourrait être celui d’une cour moderne avec néanmoins, un environnement quelque peu inquiétant eu égard à la présence des soldats armés veillant à la sécurité des hôtes.

Sur le plateau un caméraman filme en direct les protagonistes en gros plan avec projection en direct sur un écran en fond de scène. Un procédé connu et que Cyril Teste a également utilisé dans ses productions de Hamlet en 2018 à l’Opéra Comique de Paris (avec Stéphane Degout et Sabine Devieihle) ou encore de Fidelio en 2021 également à l’Opéra Comique. Ce processus pour intéressant qu’il soit risque à la longue de tourner quelque peu au « système » et doit donc être manié avec précaution car les gros plans des interprètes peuvent, selon les cas, les défavoriser et l’on est pas nécessairement à l’opéra en présence d’artistes ayant exactement le physique du rôle comme la plupart du temps dans un film. Autre inconvénient l’introduction d’un caméraman dans une action théâtrale peut être de nature à troubler la concentration des spectateurs dans leur perception de la véracité et de la continuité du drame qui leur est livré.

Le décor de Valérie Grall est quelque peu sommaire dans un processus complètement « carré » et la mise en scène demeure souvent in fine assez conventionnelle. Il manque ici ce que l’on attend d’une œuvre comme Salomé à savoir l’érotisme exacerbé et la folie poussée à l’extrême. On peut comparativement se référer à des productions qui ont marqué l’époque contemporaine, comme par exemple celle de Jean-Luc Bondy à Londres avec Catherine Malfitano ou, toujours au Royal Opera House, celle de David Mc Vicar avec la fascinante Nadja Michael (point commun avec cette Salomé de Vienne : la direction musicale de Philippe Jordan).

Pour rompre ce qui parait quelque peu trop traditionnel, le metteur en scène introduit deux « clones » de Salomé qui sont en fait de très jeunes adolescentes et dont on ne comprend pas exactement les raisons pour lesquelles elles viennent ainsi « doubler » la titulaire du rôle, sauf à permettre à l’une d’elle d’exécuter un numéro chorégraphique – au demeurant parfaitement réussi – dans la danse des sept voiles. Mais pourquoi au moins deux Salomé sur le plateau alors que la protagoniste-chanteuse se trouve (trop souvent) immobilisée ? De surcroît, les scènes entre Salomé et Jochanaan restent relativement statiques, les interprètes se bornant essentiellement à chanter. D’où une certaine frustration : quid de la violence incandescente et surtout de l’érotisme frénétique qui doit impérativement s’accorder avec ce que disent de manière évidente le texte de Wilde et la musique de Strauss ?

Si pareilles séquences déçoivent pour les raisons soulignées, en revanche force est de constater que les scènes d’ensemble sont relativement bien réussies, mais on a parfois du mal à comprendre les ruptures de ton dans les changements de décor pour passer de l’exubérance du repas de famille au processus quelque peu dépouillé et « géométrique » du décor où se confrontent Salomé et Jochanaan. Ce décalage est d’ailleurs surprenant parce que, dans cette mise en scène, prime davantage la névrose du couple Hérode et Hérodias que celui de Salomé et du prophète.

Pour revenir sur l’utilisation de la vidéo en direct, le seul moment qui la justifie pleinement se situe lors de la danse des sept voiles parfaitement exécutée par la Salomé adolescente. Mais cela laisse perplexe, eu égard à la différence physique entre la Salomé danseuse et la Salomé chanteuse. D’un point de vue de la « crédibilité dramaturgique », on se référera à la production du Festival d’Aix-en-Provence en 2022 avec le choix pour le rôle-titre d’Elsa Dreisig laquelle qui proposait une Salomé plus infantile et donc plus proche de l’idée que l’on peut se faire d’une héroïne tout juste pubère (il est vrai accompagnée par la version musicalement « allégée » de Strauss écrite en 1929). 2

Sous ces réserves d’une mise en scène qui nous laisse par moments un peu dans une certaine indifférence, il faut néanmoins se rendre à l’évidence : l’exécution orchestrale vient balayer toutes ces réserves grâce à une phalange viennoise incomparable dans pareille œuvre ainsi qu’on l’a déjà souligné en préambule. Elle fait table rase en conséquence, de toutes les circonspections et l’on se délecte également de l’exploit vocal des interprètes.

Salome 2 NYLUND c WienerStaatsoper MichaelPoehn
@Michael Poehn

Car Camilla Nylund délivre sur le plan vocal une exceptionnelle Salomé devant laquelle on ne peut que s’incliner. Sa carrière est par ailleurs celle d’une cantatrice servant avec autant de ferveur que de talent aussi bien Wagner que Strauss, et sa scène finale, certes quelque peu statique (mais c’est bien ici l’un des défauts de la production de Cyril Teste) là où on attendrait que l’hystérie soit explorée sans limites, n’en demeure pas moins admirable du point de vue du chant grâce au timbre chaleureux de la soprano, à la conduite idéale du souffle, à la technique souveraine doublée d’une expressivité confondante. Le triomphe qu’elle reçoit aux saluts est amplement mérité et l’on ne peut que saluer bien bas les qualités déployées en la circonstance.

Salome 1 SCHUSTER SIEGEL c WienerStaatsoper MichaelPoehn
@Michael Poehn

A ses côtés, le couple Hérode, (Gerhard Siegel) et Herodias, (Michaela Schuster) s’avère non seulement expérimenté mais encore formé de deux chanteurs de premier plan dans ce théâtre mythique. Combien de fois avons-nous entendu des interprètes d’Hérode avec des voix vieillissantes ou du moins caricaturales, alors qu’ici on entend une voix franche, affirmée et de belle couleur ? D’ailleurs les deux interprètes ont en outre en commun l’art de « bien dire » et se révèlent excellents comédiens. Une mention spéciale doit être aussi attribuée au remarquable Narraboth de Daniel Jens (timbre clair et émission percutante).

Salome 5 PATERSON c WienerStaatsoper MichaelPoehn
©Michael Poehn

Le Jochanaan de Iain Paterson n’est pas inintéressant mais pâlit quelque peu au regard de ses partenaires.

Tout le reste de la distribution est digne de l’Opéra de Vienne mais nous terminerons par là où nous avons commencé en louant la richesse musicale de l’Orchestre de l’Opéra (par ailleurs Philharmonique de Vienne) ainsi que la direction inspirée d’un éminent spécialiste de Richard Strauss tel que Philippe Jordan pour souligner à quel point il sait galvaniser non seulement les musiciens mais en outre le plateau. On se sent d’autant plus fier que ce soit un chef d’origine française qui réalise, dans une ville où la musique est reine, pareil miracle.

Christian Jarniat

5 juin 2024

1Piotr Kaminski Mille et un opéras – Fayard éditeur

2Richard Strauss était en effet conscient que, d’un point de vue vocal, seule une héroïne wagnérienne possédant une tessiture de grand soprano dramatique était capable de faire face à l’importance de l’orchestre, ce qui en principe annihilait corrélativement la possibilité d’utiliser sur scène une Salomé ayant l’apparence d’une jeune fille de quinze ou seize ans. Pour pallier cette difficulté Richard Strauss révisa donc sa partition en 1929 pour l’alléger et la rendre plus « transparente » à destination de cantatrices aux voix plus délicates de soprano lyrique (et il pensait notamment à la très mozartienne Elisabeth Schumann) car c’est peu de dire que la créatrice du rôle, Marie Wittich, n’était ni du goût de Strauss, ni de celui de Wilde !…

Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Cyril Teste
Collaboration artistique : Céline Gaudier
Décors : Valérie Grall
Costumes : Marie La Rocca
Lumières : Julien Boizard
Chorégraphie : Magdalena Chowaniec
Vidéo Design : Mehdi Toutain-Lopez
Vidéo Design-Live Camera : Rémy Nguyen
Dramaturgie : Sergio Morabito

Distribution :

Hérode : Gerhard Siegel
Hérodias : Michaela Schuster
Salomé : Camilla Nylund
Jochanaan : Iain Paterson
Narraboth : Daniel Jens
Le Page : Patricia Nolz
La jeune Salomé : Jana Radda
La jeune Salomé (danse) : Anna Chesnova

Orchestre de l’Opéra de Vienne

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