Olivier Py et la trilogie Francis Poulenc
Olivier Py est sans doute aujourd’hui l’un des plus célèbres hommes de théâtre en France au long d’une carrière de quarante années. Auteur et metteur en scène d’une quarantaine de pièces, metteur en scène d’une cinquantaine d’œuvres lyriques couvrant un large répertoire allant de Gluck à Hindemith en passant par Mozart, Berlioz, Verdi, Wagner, Meyerbeer, Offenbach, Tchaïkovski, Strauss, Moussorgski, Saint-Saëns, Bizet, Massenet, Debussy, Britten etc. Directeur du théâtre de l’Odéon à Paris pendant cinq ans, directeur du Festival d’Avignon pendant dix ans et actuel directeur du Théâtre du Châtelet à Paris. Il pense que « l’opéra est un genre populaire par excellence » et affectionne l’opérette (il a joué dans Mam’zelle Nitouche et V’lan dans l’œil deux œuvres d’Hervé) et il en a même composé une L’Amour vainqueur (2019) d’après un conte des frères Grimm (reprise au Châtelet en ce début du mois de juin). Il est aussi passionné par la comédie musicale (au Châtelet 2023 : West Side Story, 2024 Les Misérables et – peut être (?) – en 2025 La Cage aux folles).
Olivier Py s’était déjà intéressé à Francis Poulenc avec Dialogues des Carmélites à l’occasion du cinquantenaire du compositeur en 2013 (Théâtre des Champs Elysées) et une reprise en 2018 avec Patricia Petibon, Anne Sofie von Otter, Véronique Gens, Sophie Koch, Sabine Devieilhe, Stanislas de Barbeyrac, Nicolas Cavallier) et La Voix humaine toujours au Théâtre des Champs Elysées en 2021 avec Patricia Petibon. C’est donc dans le même théâtre parisien qu’il complète en 2023 ces deux ouvrages avec Les Mamelles de Tirésias pour constituer ainsi sa trilogie Poulenc.
Pour la première partie du spectacle il choisit Le Rossignol de Stravinsky. Ces deux volets font l’objet d’une coproduction du Théâtre des Champs Elysées avec l’Opéra de Köln et l’Opéra de Nice pour sa fin de saison 2023-2024.
Arguments
Le Rossignol (création 1914 Opéra de Paris)
Un pauvre pêcheur écoute le magnifique chant d’un rossignol. Des courtisans arrivent et invitent le rossignol à chanter devant l’empereur de Chine. Le chant incomparable de l’oiseau ravit le monarque qui entend le couvrir de récompenses. Des émissaires du Japon apportent à l’empereur un oiseau mécanique qui chante. Le rossignol préfère s’éloigner et le souverain, vexé de cette fuite, le condamne au bannissement. Mais la mort guette la proie de l’empereur malade. Le rossignol magnanime revient et son chant fabuleux éloigne la mort et parvient à guérir l’empereur.
Les Mamelles de Tirésias (création 1947 Opéra Comique Paris)
Thérèse, lassée de sa vie de femme soumise, devient un homme du nom de Tirésias quand ses seins s’envolent comme des ballons. Son mari en est fâché, surtout quand elle l’attache et l’habille en femme. Thérèse part à la conquête du monde, laissant son mari captif aux bons soins du gendarme, trompé par ses oripeaux féminins.
Tirésias lance une campagne contre la procréation ; il est acclamé par le peuple. Mais le mari, craignant de voir la France devenir stérile, fait le vœu de trouver le moyen de mettre au monde des enfants sans recours aux femmes. Le projet du mari est un succès phénoménal : il a lui-même donné naissance à 40 049 enfants en un jour. In fine le couple se réconcilie, et toute la troupe, reprend l’avertissement du directeur de théâtre dans son monologue initial : « Écoutez, ô Français, les leçons de la guerre / Et faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère ».1
Les œuvres de Stravinsky et de Poulenc à l’Opéra de Nice
On peut à priori s’interroger sur les dissemblances stylistiques apparemment évidentes des deux œuvres proposés au cours d’une même soirée. Olivier Py y répond en ces termes : « Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias semblent éloignés mais, une relation thématique les unit profondément. Le premier évoque la mort, le second le sexe. C’est Thanatos et Eros, en un parfait contraste. Le Rossignol est un conte philosophique admirablement construit pour les enfants, Les Mamelles de Tirésias un gigantesque bric-à-brac… pour faire des enfants ! J’y ai donc vu l’envers et l’endroit. D’un côté le rêve d’un homme mourant, de l’autre les rêves fantasmatiques d’un couple qui expérimente. » 1
La première partie de ce diptyque, à savoir Le Rossignol se déroule donc dans l’envers du décor des Mamelles de Tirésias. On y voit les comédiens déjà vêtus pour interpréter l’opéra-bouffe de Poulenc avec des allers et venues incessants.
Cet envers du décor est divisé en deux : au sous-sol, les dessous de scène assortis d’escaliers qui permettent d’accéder à l’étage supérieur où se situe le rideau du théâtre. Parfois celui-ci s’ouvre pour ménager l’accès des comédiens au plateau. Dans le sous-sol, on voit un homme allongé sur un lit sommaire. Dans le conte il s’agit de l’empereur de Chine gravement malade (la mort sous forme de squelette rode à son chevet) et qui va retrouver sa santé en écoutant les accents mélodieux du rossignol. Dans cette version sans doute un directeur de théâtre à l’agonie voulant néanmoins superviser la représentation en cours depuis son lit de souffrance. L’oiseau salvateur est incarné par le personnage de Thérèse, déjà dans son costume des Mamelles de Tirésias
Voici donc, deux mondes bien différents qui se confrontent dans le même « espace-temps », celui austère du conte d’Andersen et celui inspiré par la pièce surréaliste d’Apollinaire revisitée par Poulenc et transposée par Olivier Py dans le cabaret « Le Zanzibar ». Comme l’indique à ce propos le metteur en scène dans le programme de salle : « J’ai d’ailleurs découvert que Poulenc et Apollinaire avaient tous les deux, à des années de distance, fréquenté un bar à Cannes portant ce même nom de « Zanzi-Bar ». Cet établissement assez célèbre a malheureusement fermé ses portes en 2010, mais c’était semble-t-il l’un des tous premiers bars homosexuels d’Europe. » 2
Après l’entr’acte on passe donc des coulisses sombres et noires au cabaret brillant dans un décor rutilant de Pierre-André Weitz ( qui signe également de flamboyants costumes). On y trouve l’univers qu’affectionne Olivier Py celui du « musical » et plus particulièrement du cabaret : loges couleur rouge vif tout comme le rideau de scène et l’escalier de revue, débauche de lumières en arceaux sur plusieurs plans, enseigne toute en néon, projections mobiles, strass, paillettes, plumes et danseurs n’occultant presque rien de leur anatomie. Sans compter un final repris en chœur à de multiples reprises avec la complicité chaleureuse du battement de mains en cadence du public.
Succédant à Sabine Devieilhe (à Paris) Rocio Perez est vocalement plus à son aise dans la partie diaphane du Rossignol où ses coloratures et notes mezza voce aiguës font merveille que dans le rôle de Thérèse qui convient davantage a une voix plus spécifiquement lyrique (n’oublions pas que la créatrice du rôle, Denise Duval, chantait l’année même de la création des Mamelles de Tirésias (1947) Madame Butterfly à l’Opéra Comique !) Mais coup de chapeau tout de même pour l’incontestable engagement scénique de la soprano espagnole dans les deux emplois.
Saluons également dans le rôle du mari la performance comique de Federico Longhi habitué des emplois verdiens ainsi que Matthieu Lécroart en directeur de théâtre : son monologue qui ouvre l’opéra-bouffe de Poulenc, sonne clair inscrit dans une articulation parfaite.
On englobera dans le même éloge toute la distribution réunie en la circonstance tant les deux œuvres à l’affiche ont pour caractéristique un « esprit de troupe collectif» plus que la mise en avant de tel ou tel interprète en particulier. Sahy Ratia s’acquitte avec élégance des quatre rôles de ténor. Thomas Morris fait en grosse dame un numéro jubilatoire toute poitrine (opulente) dehors. Frédéric Cornille déploie son timbre chaleureux de baryton en gendarme athlétique et concupiscent. Kamelia Kader, Chantal Santon Jeffery et Arnaud Richard apportent leur pierre (précieuse) à l’édifice ainsi que les six danseurs et le chœur omniprésent notamment dans l’œuvre de Poulenc.
Au pupitre de l’Orchestre Philharmonique de Nice Lucie Leguay, révélation des Victoires de la Musique Classique 2023, dirige avec un professionnalisme et une précision qui forcent l’admiration deux partitions dont les difficultés stylistiques sont évidentes.
Christian Jarniat
30 mai 2024
1 Extrait des propos du programme de salle par Nicolas Southon.
2 A l’Opéra de Nice la mise en scène est reprise par Joséphine Kirch
Direction musicale : Lucie Leguay
Mise en scène : Olivier Py reprise par Joséphine Kirch
Décors et costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : Bertrand Killy
Distribution :
Le Pêcheur/Le Journaliste/Monsieur Lacouf/Premier émissaire japonais : Sahy Ratia
Thérèse-Tirésias/LaCartomancienne /Le Rossignol : Rocío Pérez
Une dame élégante/La Cuisinière : Chantal Santon Jeffery
Le Chambellan/Le Directeur de théâtre : Matthieu Lécroart
Le Bonze/Le Gendarme : Frédéric Cornille
Une grosse dame/Le Fils/Troisième émissaire japonais : Thomas Morris
Deuxième émissaire japonais/Monsieur Presto : Arnaud Richard
Le Mari de Thérèse/L’Empereur de Chine : Federico Longhi
La Marchande de journaux/La Mort : Kamelia Kader
Chœur de l’Opéra de Nice
Orchestre Philharmonique de Nice