L’Opéra de Nice, sous l’impulsion de son dynamique directeur Bertrand Rossi, a établi avec pertinence des relations permettant de nombreuses coproductions avec des théâtres éminents comme par exemple l’Opéra-Comique, le Théâtre des Champs-Élysées, l’Opéra National du Rhin, le Théâtre Regio de Turin et même le Metropolitan Opera de New York (!…) offrant ainsi aux spectateurs niçois des spectacles de haute qualité à l’instar, la saison dernière, de Rusalka de Dvořák qui réunissait les opéras de la Région Sud Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
On peut légitimement penser que pareil système de collaboration entre les théâtres lyriques devra à l’avenir se développer encore davantage car, en raison de la gravité de la situation économique actuelle, la culture, le théâtre et surtout l’opéra ne pourront probablement survivre que dans la prise de conscience d’un processus fondé sur la mutualisation des coûts.
L’expérience s’avère à nouveau probante avec cette Flûte Enchantée de Mozart – en partenariat avec le Théâtre des Champs-Élysées, l’Atelier Lyrique de Tourcoing, le Théâtre Impérial-Opéra de Compiègne – s’inscrivant comme l’un des succès de la remarquable saison lyrique 2024-2025 de l’Opéra de Nice aux côtés de la magnifique et mémorable coproduction d’Edgar à l’occasion du centenaire de la disparition de Puccini.
Jean-Christophe Spinosi, l’un des incontestables atouts de cette production, officie en l’occurrence sans baguette et, nourri de plus de 30 années de compagnonnage avec l’Ensemble Matheus , confirme son statut de chantre de la musique baroque. Il a notamment fait connaître les œuvres de Vivaldi dans le monde entier et a été invité à diriger de prestigieuses phalanges symphoniques internationales. En la circonstance il sert Mozart avec autant d’implication que de grâce et l’Orchestre Philharmonique de Nice, en grande forme, répond avec enthousiasme aux intentions du dynamique maestro.
Cédric Klapisch assume la mise en scène de l’œuvre « maçonnique » de Mozart, lui qu’un large public connait comme scénariste et réalisateur de films avec des titres prisés tels que Un air de famille, L’Auberge espagnole, Les Poupées russes ou En Corps, plongée lumineuse dans le monde de la danse contemporaine.
Rappelons à cet égard, qu’un autre metteur en scène de cinéma aborda La Flûte Enchantée non pour le théâtre mais pour le grand écran : Ingmar Bergman qui, en 1975, avait adapté l’opéra de Mozart avec un énorme succès, en sus d’une admirable filmographie marqué par nombre de chefs-d’œuvre au rang desquels Le Septième sceau et Les meilleures intentions film pour lequel il obtint la Palme d’Or au Festival de Cannes, sans compter de multiples Oscars entre 1960 et 1984 entre autres pour : La Source ou A travers le miroir.
La scénographie enchanteresse de Clémence Bezat pour les décors et Stéphane Rolland et Pierre Martinez pour les costumes – en particulier pour le premier acte avec la forêt en arrière-plan derrière des troncs d’arbres géants – n’aurait sans doute pas été reniée par un Walt Disney pour les plus beaux de ses dessins animés avec cette lumière si caractéristique, notamment celle du soleil et des contre-jours qui filtrent entre les arbres dans l’esprit également du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Lors de l’apparition de la Reine de la Nuit, un rideau de feuillages rouges s’intègre à travers les arbres. Bel effet de contre-jour également lorsque Pamina apparaît à travers un cadre comme une sorte de portrait « raphaélite ».
Les images vidéo aussi saisissantes que celle du serpent multidimensionnel du premier acte viennent, avec bonheur, en appui du travail exceptionnel sur la lumière réalisé par Alexis Kavyrchine.
Parmi les costumes somptueux, celui de la Reine de la nuit fait indubitablement penser aux revues à grand spectacle des années 1920-1930 avec sa superbe coiffe sophistiquée et sa longue traîne scintillante. Les trois dames portent aussi d’amples robes s’accordant à leurs maquillages fantasmagoriques tandis que Papageno, naturellement pourvu des plumes traditionnelles, s’illustre en un héros mi-homme mi-oiseau.
Tout le premier acte se déroulant dans la forêt bénéficie d’une chorégraphie réglée au millimètre comme d’ailleurs celle du dernier acte où Papageno et Papagena s’adonnent à une danse digne d’une comédie musicale.
Dans l’opposition nature foisonnante /culture ésotérique les actes suivants proposeront un univers plus sobre et plus solennel puisqu’il s’agit de pénétrer dans le temple de Sarastro, celui de la raison et de la science avec les trois portes ainsi que tous les symboles maçonniques qui imprègnent bien évidemment l’œuvre de Mozart et de Schikaneder avec les incontournables épreuves imposées à Tamino, notamment celles du feu et de l’eau.
Outre, bien entendu, la direction prestigieuse de Jean-Christophe Spinosi et la brillante mise en scène de Cédric Klapisch (réalisée en la circonstance par Laurent Delvert) on doit saluer la distribution de haut niveau pour les représentations à l’Opéra de Nice qui affichait depuis de longues semaines « complet » . Au demeurant on doit dire que La Flûte Enchantée a la vertu de réunir non seulement les amateurs d’art lyrique traditionnels, les admirateurs de l’œuvre de Mozart mais aussi un public fasciné par ce qui constitue un fabuleux conte musical à la portée des adultes comme à celle des enfants, sans compter bien entendu, les thuriféraires de l’univers maçonnique.
En l’occurrence, cette distribution de caractère international comportait des artistes de divers pays et bien entendu quelques interprètes français.
A noter au delà du chant en langue originale allemande, les textes parlés (remaniés et remis « au gout du jour » et assortis de quelques clins d’oeil facétieux) en français, avec parfois pour le public un côté « exotique » à l’écoute d’artistes pour la plupart étrangers.
Le ténor espagnol Joel Prieto (qui a fait une partie de ses études musicales en France) ne se présentait pas en inconnu au public azuréen puisqu’il avait incarné à l’Opéra de Monte-Carlo un très émouvant Sam Kaplan, malheureux soupirant de Rose Maurrant dans Street Scene véritable chef-d’œuvre flamboyant autant que poignant de Kurt Weill entre opéra et comédie musicale. Il incarne ici un Tamino crédible d’un point de vue physique nanti d’une voix et d’une articulation convenant aux emplois mozartiens.
En Pamina la soprano américaine Sydney Mancasola offre un timbre particulièrement séduisant et des moyens capables à la fois de légèreté mais aussi d’instants lyriques nécessaires au rôle.
Le baryton Joan-Martin Royo a été annoncé, en cette ultime représentation du 31 janvier, souffrant d’une très forte laryngite par le directeur Bertrand Rossi venu en faire part devant le rideau avant la représentation. Cette annonce – dont on comprend parfaitement l’aspect dit de « précaution » – a semblé à postériori presque inutile, tant l’interprète nous a paru particulièrement à l’aise, non seulement sur le plan du jeu mais encore d’un point vocal car à aucun moment la moindre trace de fatigue n’a altéré sa prestation. Joan-Martin Royo, outre ses qualités de comédien, son tempérament inné, son dynamisme et sa drôlerie a fait valoir un timbre clair de baryton incisif et percutant se révélant au final un magnifique Papageno obtenant, au demeurant, un triomphe à son apparition lors des saluts.
Sa partenaire Veronika Seghers lui a donné une réplique éloquente même si le rôle de Papagena – laquelle n’intervient qu’à la fin de l’ouvrage – s’avère relativement court.
La coïncidence fait qu’en peu de temps nous avons retrouvé la basse italienne Antonio Di Matteo qui avait à Monte-Carlo impressionné le public par sa stature de colosse et sa voix sombre dans le Commandeur de Don Giovanni. Il a ici beaucoup plus à faire que les quelques répliques qui lui été assignées dans l’ouvrage précédent et on a pu ainsi apprécier plus amplement les graves chaleureux que requiert le rôle de Sarastro.
Le public dans La Flûte Enchantée attend évidemment les fameuses notes extrêmes qui culminent au contre-fa de la Reine de la Nuit dans un air devenu extrêmement célèbre. Ce personnage nocturne et malfaisant était dévolu à la soprano ukrainienne Tetiana Zhuravel à la voix légère (comme ses devancières françaises dans ce rôle Mado Robin et Mady Mesplé) qui s’est révélée parfaite car le rôle ne requiert pas nécessairement une voix extrêmement large pourvu qu’elle soit parfaitement émise et que les notes suraiguës soient évidement en place, ce qui était le cas ici.
Marc Laho, au long de sa carrière a abordé un répertoire très varié puisque nous l’avions entendu à Paris au Théâtre du Champs-Élysées dans La Favorite de Donizetti mais également à l’Opéra de Marseille dans le rôle-titre du Comte Ory de Rossini (après son succès au Festival de Glyndebourne) et en outre au Festival d’Aix-Les-Bains dans un tout autre répertoire celui de l’opérette avec Le Prince de Madrid de Francis Lopez. La versatilité de pareils emplois lui permet de faire valoir ses dons d’acteur dans un Monostatos qui brûle les planches.
Une mention spéciale pour Barnaby Rea dont l’allure et la voix sonore font merveille dans l’orateur ( sprecher).
Les trois dames respectivement interprétées par la soprano hollandaise Judith Van Wanroij et par deux mezzos sopranos françaises, (au demeurant toutes deux boursières du Cercle Wagner Rive Droite de Nice), Valentine Lemercier et Ahlima Mhamdi ont véritablement électrisé le public, non seulement par la qualité de leurs voix, mais aussi par leur aisance scénique d’autant plus – comme on l’évoquait plus haut – que la chorégraphie, réglée au millimètre, les sollicite tout au long de l’ouvrage et en particulier au premier acte .
Frédéric Diquero et Matthieu Toulouse (les deux hommes d’armes) complétaient avec bonheur la distribution.
Une mention toute particulière pour les trois solistes du Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice dans des rôles dont on perçoit toute la difficulté.
Bonne prestation des Chœurs sous la houlette de leur chef Giulio Magnanini.
Longs applaudissements au rideau final d’un public unanimement conquis.
Christian Jarniat
31 janvier 2025
Direction musicale : Jean-Christophe Spinosi
Mise en scène : Cédric Klapisch réalisée par Laurent Delvert
Décors : Clémence Bezat
Costumes : Stéphane Rolland et Pierre Martinez
Lumières : Alexis Kavyrchine reprises par Valentin Mouligné
Création images digitales : Niccolo Casas
Illustration animaux : Stéphane Blanquet
Collaboratrice artistique aux mouvements : Laura Bachman
Animation vidéo : Atelier de Sèvres
Distribution :
Tamino : Joel Prieto
Pamina : Sydney Mancasola
Papageno : Joan Martin-Royo
Papagena : Veronika Seghers
Sarastro : Antonio Di Matteo
Sprecher : Barnaby Rea
Monostatos : Marc Laho
La Reine de la Nuit : TetianaZhuravel
Première Dame : Judith Van Wanroij
Deuxième Dame : Valentine Lemercier
Troisième Dame : AhlimaMhamdi
Premier Homme d’Arme /DeuxièmePrêtre : FrédéricDiquero
Deuxième Homme d’Arme / Premier Prêtre : Matthieu Toulouse
Orchestre Philharmonique de Nice
Chœur de l’Opéra de Nice
Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice