L’auteur de la pièce : Georges Neveux
Georges Neveux dramaturge et scénariste (1900-1982), principalement connu pour ses pièces de théâtre et son travail dans le cinéma, se singularise par son style d’écriture, souvent empreint de poésie et de fantastique qui lui a valu une place de choix parmi les auteurs dramatiques marquants du XXe siècle.
Il fréquenta Robert Desnos, fervent surréaliste et Arthur Adamov, adepte du « théâtre de l’absurde ». Ce sont sans doute pareilles influences qui lui inspirèrent sa pièce Juliette ou la Clé des songes, écrite en 1930. Cette œuvre, à la fois onirique et symbolique qui explore des thèmes comme le rêve, l’amour et l’illusion, a été reconnue pour son atmosphère poétique et son originalité.
En plus du théâtre, Georges Neveux s’est également illustré dans le domaine du cinéma en tant que scénariste et dialoguiste. Il a travaillé sur plusieurs films, collaborant notamment avec des réalisateurs de renom. Son talent pour la narration et son sens des dialogues lui ont permis de transposer sa sensibilité littéraire à l’écran.
Juliette ou la Clé des songes a fait l’objet d’un film de Marcel Carné en 1951 avec les dialogues de Georges Neveux et pour principaux interprètes Gérard Philippe et Suzanne Cloutier. La musique était signée Joseph Kosma.
Le compositeur tchèque de l’opéra : Bohuslav Martinů
Bohuslav Martinů (1890-1959) étudie le violon dès l’âge de sept ans et, à 16 ans, entre Conservatoire de Prague avant d’intégrer l’Orchestre Philharmonique Tchèque. En 1923 il s’installe à Paris où il étudie avec le compositeur français Albert Roussel. Fortement influencé par le néoclassicisme et le jazz, sa musique commence à mêler des éléments tchèques traditionnels avec des harmonies modernes.
Avec la montée du nazisme il part pour les États-Unis, où il trouve refuge grâce au chef d’orchestre Serge Koussevitzky. Il y enseigne la composition et continue à œuvrer pour ses propres partitions.
Après la seconde guerre mondiale, Martinů passe ses dernières années en France, en Suisse et en Italie, enseignant à l’Académie américaine de Fontainebleau et au Curtis Institute de Philadelphie. Durant cette période, il compose certaines de ses œuvres les plus abouties, comme la Symphonie n°6, le Concerto pour violoncelle n°2, et l’opéra Juliette ou la Clé des songes un ouvrage fascinant qui s’inscrit dans une veine onirique, où la musique et le livret se rejoignent pour créer une atmosphère énigmatique et troublante.
Bohuslav Martinů meurt le 28 août 1959 à Liestal, en Suisse. Il laisse derrière lui un impressionnant catalogue de plus de 400 œuvres couvrant tous les genres musicaux, marquées par une grande diversité stylistique et un attachement profond à ses racines tchèques.
Aujourd’hui, Martinů est reconnu comme l’un des plus grands compositeurs tchèques du XXe siècle, aux côtés de Dvorák et Janáček. Son œuvre se caractérise par son originalité rythmique, son orchestration inventive et son mélange unique d’influences européennes et américaines.
Composition de l’œuvre, création à Prague et entrée à l’Opéra de Paris
En 1936 après avoir lu la pièce Martinů prend contact avec Georges Neveux ignorant que ce dernier avait déjà accordé ses droits à Kurt Weill qui souhaitait en faire une comédie musicale. Après avoir entendu la musique de Martinů, Neveux accorda sa préférence au compositeur tchèque.
C’est à Nice, entre les collines de Cimiez et le Port Lympia, que Bohuslav Martinů a achevé Juliette ou la Clé des songes.
L’œuvre est créée au Théâtre National de Prague le 16 mars 1938 avec succès. L’Opéra de Paris l’accueille le 6 novembre 2002 avec à la baguette Marc Albrecht, et à la mise en scène Richard Jones. Le couple principal rassemble la Juliette remarquable d’Alexia Cousin (à 23 ans !) et le ténor américain William Burden, sensationnel Michel.
Un livret onirique et déroutant
Cet opéra, au climat surréaliste, met en scène un homme qui, après avoir perdu la mémoire, se retrouve dans un monde étrange où il rencontre Juliette. Elle plonge le spectateur dans un univers déstructuré et mystérieux où la frontière entre rêve et réalité s’efface totalement.
Michel, un homme venu d’un monde réaliste, arrive dans une petite ville côtière à la recherche de Juliette, une femme qu’il a entrevue autrefois et dont il ne peut oublier la voix. Cependant, dans cette ville étrange, tous les habitants semblent souffrir d’une amnésie chronique : personne ne se souvient de son propre passé, et les événements du présent tombent immédiatement dans l’oubli.
Michel finit par retrouver Juliette, mais chaque fois qu’il croit la saisir, elle lui échappe à nouveau, jouant avec lui entre illusion et réalité. Il devient prisonnier de ce monde onirique où les souvenirs ne sont que des fragments insaisissables.
Au dernier acte, Michel se retrouve dans le « Bureau des rêves », un lieu où il doit choisir entre retourner à la réalité ou rester dans ce monde incertain pour toujours. Enfermé dans son propre rêve, il se voit condamné à errer éternellement à la recherche de Juliette, dont il ne sait même plus si elle a jamais existé…
Les metteurs en scène : Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil
Aujourd’hui, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil reviennent sur les lieux mêmes de la conception de cet opéra, offrant à Nice une place centrale dans cette nouvelle production.
Après avoir marqué le public niçois (en janvier 2024) en installant une véritable piscine sur le plateau de l’Opéra pour Rusalka de Dvorák, le duo de metteurs en scène choisit ici d’explorer le cerveau de Michel, le héros de Martinů, à travers une troublante Expérience de Mort Imminente (E.M.I). Entouré des membres du personnel médical du CHU Pasteur de Nice, Michel, inconscient, revisite mentalement quelques moments forts de son existence.
Cette incursion dans ses pensées permet de le suivre à travers Nice (les jardins, le Musée Matisse, la plage de l’hôtel Amour, etc.) à la poursuite d’une femme prénommée Juliette. Qui est-elle vraiment ? Une femme réelle ou inventée ? L’éternel féminin absolu ? Michel va-t-il la retrouver ? Va-t-il survivre à cette E.M.I ?
Une musique évocatrice et ensorcelante
La quête de Michel n’est pas une expérience éprouvante ni morbide ; elle est au contraire, comme la musique de Martinů, chaleureusement prégnante, parfois presque joyeuse et résolument pleine d’espoir. Elle est aussi un sublime chant d’amour à l’Universel.
Bohuslav Martinů accompagne cette matière onirique d’une partition d’une grande expressivité. Il mélange habilement lyrisme et modernité, avec des harmonies flottantes, des textures orchestrales mouvantes et une écriture vocale qui oscille entre chant lyrique et déclamation expressive.
L’instrumentation est riche et subtile, avec des touches impressionnistes qui évoquent Debussy, tout en intégrant des rythmes irréguliers et des couleurs sonores rappelant la musique folklorique tchèque. L’orchestre agit souvent comme une présence fantomatique, enveloppant les voix dans un halo sonore mystérieux, renforçant ainsi l’ambiance de rêve éveillé.