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OPÉRA DE MONTE-CARLO : LE FANTÔME DE L’OPÉRA, LE CHEF D’ŒUVRE DE LA COMÉDIE MUSICALE ENFIN À L’AFFICHE D’UN GRAND THÉÂTRE FRANCOPHONE

OPÉRA DE MONTE-CARLO : LE FANTÔME DE L’OPÉRA, LE CHEF D’ŒUVRE DE LA COMÉDIE MUSICALE ENFIN À L’AFFICHE D’UN GRAND THÉÂTRE FRANCOPHONE

jeudi 21 décembre 2023

©Marco Borrelli

Sur l’excellente initiative de sa directrice Cecilia Bartoli l’Opéra de Monte-Carlo a accueilli pour 20 représentations exceptionnelles du 16 au 31 décembre 2023 une nouvelle production de The Phantom of the Opera (Le Fantôme de l’Opéra)1 d’Andrew Lloyd Webber conçue par Temple Live Entertainment LTD et Broadway Italia. Avant la Principauté elle avait fait escale en juillet 2023 au Théâtre Politeama Rossetti de Trieste, puis en octobre 2023 au Théâtre Arcimboldi de Milan. La mise en scène porte la signature de Federico Bellone dont nous avions pu apprécier le travail particulièrement réussi en Italie, notamment pour West Side Story et et Un américain à Paris à l’Opéra de Gênes2. A noter, qu’en outre, Federico Bellone occupa également les fonctions de directeur artistique du Théâtre National de Milan et du Théâtre Brancaccio de Rome pour le compte de la société de production Stage Entertainment Italia.

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©Marco Borrelli

Une scénographie évocatrice sur plateau tournant

Avant le début du spectacle, un grand panneau-miroir découpé en six cases comporte en gros l’inscription « Phantom ». A l’avant-scène à cour et jardin, deux structures face à face forment quatre étages de loges. Le public pénétrant dans la salle découvre également des traits de lumières qui se croisent, y compris des faisceaux rayonnants venant des loges latérales émis par des projecteurs automatiques. L’œuvre démarre sur une explosion, qui – à chaque représentation – ne manque pas de faire sursauter les spectateurs.

Au lointain des toiles peintes (parti pris aisément concevable eu égard aux matériaux utilisés par les théâtres à l’époque considérée) se combinent adroitement avec la structure d’une scène de théâtre qui peut pivoter sur 360°- le tout reposant sur un plateau tournant,3 -pour constituer l’essentiel d’une scénographie aussi efficace qu’évocatrice. Les parties latérales du décor mouvant appelées à se modifier, au fil de la représentation, permettent tour à tour de proposer soit, la loge en coulisse de Christine soit, une grande fenêtre ouvrant sur l’extérieur dans le bureau des directeurs du théâtre. La vente aux enchères se déroule comme dans l’œuvre originale dans un théâtre en ruines parce que ravagé par un incendie. Au loin, on aperçoit la silhouette de la Tour Eiffel.

Lors du prologue le dernier lot proposé à la vente aux enchères à savoir le lustre du théâtre – quasi semblable par nombre de détails à celui de la salle monégasque rappelle- que la comédie musicale (comme d’ailleurs le roman de Gaston Leroux) se déroule à l’Opéra de Paris de Charles Garnier auquel on doit l’architecture ainsi que celle de sa réplique monégasque. Le décor installé sur le plateau s’inscrit dans le prolongement de la splendeur des lieux. Séparé en deux dans le sens de sa largeur, Il ménage un large espace antérieur sur lequel de part et d’autre figurent à nouveau des étages de loges. A l’un des pans de scène s’accroche un escalier métallique en colimaçon.

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©Marco Borrelli

Sur l’air en premier lieu abordé par Carlotta puis repris par Christine, la scène tourne pour proposer la vision de la protagoniste sous divers angles à l’instar d’un effet cinématographique de « travelling circulaire ». Après l’apparition du fantôme dans le miroir de Christine, le cheminement des deux protagonistes à destination des souterrains de l’Opéra s’appuie sur un processus différent de celui de la création originale les personnages semblant traverser divers lieux plutôt que descendre. Si le Fantôme utilise bien la traditionnelle barque (n’oublions pas que, sous le bâtiment de la scène parisienne, Garnier avait fait édifier un lac artificiel) pour entraîner Christine dans son repaire on ne verra pas au passage les chandeliers surgissant du plancher du plateau. Néanmoins ce tableau emblématique de l’œuvre demeure évidement marqué par l’ambiance étrange de ces sous-sols ténébreux avec de multiples effets de fumées et de lumières remarquablement réalisés par Valerio Tibéri. Néanmoins des candélabres lumineux surplombant l’orgue sur lequel jouera le fantôme montent depuis la fosse d’orchestre pour accéder au plateau.

L’interlude qui sépare l’acte 1 de l’acte 2 (thème du célèbre motif de « The Music of the Night » et reprise du magnifique duo « All I Ask of You ») permet par voie de reflets de voir le chef et derrière lui, la salle. L’ensemble « Masquerade » se révèle encore différent de la production londonienne avec son escalier monumental, typique de celui de l’Opéra de Paris. Il s’agit ici d’un bal sur scène avec le lustre de la salle au sol au cours duquel les couples se livrent à une danse tournoyante tandis que des confettis dorés tombent du haut des cintres.

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©Marco Borrelli

Un voyage dans le temps à travers l’histoire de l’opéra et les influences musicales y relatives.

Le premier tableau censé proposer une œuvre de type « Grand opéra français » à la manière de Meyerbeer ou de Reyer (d’ailleurs cité à plusieurs reprises dans le livret comme chef de chant ou régisseur), débute par la répétition d’un opéra imaginaire (d’un certain Chalumeau) : Hannibal narrant les tribulations du général Carthaginois dans sa lutte contre Rome avec des personnages principaux évidemment parodiques dans l’esprit du librettiste. La vision satirique, voire caricaturale, faite ici de l’opéra, au tout début du 20e siècle implique un ténor et une soprano particulièrement « bien en chair » et statiques dans leur jeu émettant, la main sur le cœur, d’une voix puissante, des notes tenues à l’infini.

Car tout au long de la partition, Lloyd Webber dresse un panorama quasi exhaustif de toutes les musiques lyriques depuis le grand opéra français ci-dessus mentionné jusqu’aux œuvres sérielles ou dodécaphoniques du répertoire contemporain, sans oublier ni le baroque ni évidemment le vérisme (plusieurs phrases musicales du célèbre « Music of the Night » empruntant exactement, note après note, le « Quello que tacete » de Dick Jonhson dans son duo avec Minnie de La Fanciulla del West de Puccini).

Le compositeur utilise également, à l’instar de Wagner par exemple, de courts récitatifs sous la forme de leitmotiv quasi parlando, comme celui qui caractérise le Fantôme d’abord exposé par l’accessoiriste Buquet dans le premier tableau au moment de l’effondrement d’un décor , repris ensuite par Christine à son réveil dans l’antre de son ravisseur puis par le Fantôme lui-même lors de son apparition dans le bal masqué pour exiger l’exécution de son Don Juan Triumphant Bien sûr, ce leitmotiv répétitif à la manière d’un Philippe Glass reviendra thématiquement dans la bouche des autres personnages lorsqu’il s’agira d’évoquer l’effrayant protagoniste.    

Lloyd Webber introduit à chacun des actes, exactement comme dans une œuvre du bel canto romantique, un septuor construit par l’arrivée successive des personnages. Un solo tout d’abord, par Richard Firmin l’un des directeurs de l’opéra bientôt rejoint en duo par son associé, Gilles André qui se transforme ensuite en un trio avec Raoul, en quintette lorsque surviennent Ubaldo Piangi et Carlotta Giudicelli pendant que le fantôme dicte ses instructions pour la prochaine production de l’Opéra Il Muto, tandis que le septuor se complète par l’adjonction de Madame Giry et de sa fille Meg.

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© Marco Borrelli

Dans les souhaits qu’il exprime en voix off par la bouche des autres, le fantôme exige que Christine interprète le rôle de la comtesse, tandis que Carlotta sera réduite au rôle muet du page. A ce moment-là, la protestation véhémente de la diva culmine en une aria (« Prima Donna ») intégré dans le septuor sous une construction formelle identique à celle de Lucia di Lammermoor, (mais ici parodique bien sûr, voire humoristique) tandis que cette situation dramaturgique, sur le fondement d’un caprice de diva, ne paraît pas sans lien avec la scène et l’air de Musetta dans l’acte 2 de La Bohème de Puccini.

On passe ensuite avec la représentation Il Muto à une scène d’opéra buffa, dont la stylistique musicale est empruntée à Gluck, Haendel ou encore Mozart avec récitatif au clavecin réunissant les personnages typiques de la comtesse, de la servante et du vieux barbon.

Bien entendu Carlotta se voit confier les vocalises en cascades dans une séquence significative du « théâtre dans le théâtre » nantie du contraste subit de l’intervention occulte du fantôme, l’interruption de la pièce remplacée par un ballet de style bucolique avec la musique adéquate. Pendant cet interlude pastoral on voit en fond de scène le fantôme se balancer tel un Tarzan, sur une corde arrimée aux cintres, la corde soutenant, in fine, le cadavre de Buquet.

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©Marco Borrelli

Le duo sur le dôme de l’Opéra de Paris se déroule dans un décor à deux étages avec dans la partie inférieure des arceaux de ferraille entrelacés et au sommet verrière et coupole. Un lieu magique pour accueillir ce moment ineffable entre Christine et Raoul, celui d’une fervente exaltation amoureuse (« All I Ask of You ») née d’une subtile combinaison empruntée à Massenet et Puccini et sans conteste l’un des points culminants de l’ouvrage où Lloyd Webber fait preuve d’un lyrisme lumineux, transportant une profonde émotion parmi les plus belles pages qu’il n’ait jamais écrite. Ce duo idéalement interprété par Amelia Milo et Vinny Coyle, porté par un tapis de cordes voluptueuses précède le retour du Fantôme jusqu’alors dissimulé sous les arceaux (alors que dans la production originale, au contraire on l’aperçoit réfugié au sommet du dôme), avant de monter sur le lustre qui s élève vers les cintres dans une explosion de feu.

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©Marco Borrelli

Et lorsque le héros mystérieux, réapparaîtra sous un habit rouge, pour venir imposer à la troupe le manuscrit de Don Juan triumphant, on verra à nouveau ici un des nombreux effets spéciaux réalisés par Paolo Carta : les convives de la fête s’approchant du fantôme ne trouveront que du vide sous son manteau. Ce tableau se conclura sur quelques brèves notes grinçantes qui semblent renvoyer à celles employées par Chostakovitch dans la conclusion frénétique de l’acte 1 de sa Lady Macbeth de Mtsensk. Suit la scène où Madame Giry raconte à Raoul l’origine mystérieuse du fantôme, sur fond de décor en filigrane de fêtes foraines. Reconstitution du septuor et des nouvelles instructions du fantôme pour la création de son opéra Don Juan Triumphant suivie d’une répétition désordonnée où on atteint les accents discordants de certaines partitions dodécaphoniques, tandis que le piano tourne continuant à jouer sans pianiste. Là encore contraste entre scène et musique désordonnée avec le recueillement de Christine sur la tombe de son père, accompagné d’une musique assez proche d’un opéra de Massenet et d’un air particulièrement émouvant (« Wishing You Were Somehow Here Again »), bien fait pour mettre en valeur la voix de l’héroïne. Là aussi, un décor beaucoup plus dépouillé qu’à l’origine, avec une simple toile transparente derrière laquelle le fantôme va se transformer en une sorte de chauve-souris muni d’immenses ailes, à l’arrivée de Raoul qui exacerbe sa jalousie, marquée dans ce cadre romantique par l’apparition de flammes.

Suit la création sur la scène du Don Juan Triumphant et retour d’une musique proche de l’école sérielle pour les récitatifs initiaux, laquelle cède ensuite sa place à une sorte de tango tourmenté pour « The point of No Return » avant que les flammes ne s’élèvent à nouveau en bord de rampe, lorsque le fantôme entrainera une fois encore Christine dans les sous-sols du théâtre pour la scène finale aux termes de laquelle, la jeune fille refusera la contrainte imposée par le fantôme de sceller son sort au sien, alors que ce dernier tient au bout d’une corde la vie de Raoul. L’occasion comme dans nombre d’œuvres lyriques de mêler en forme de conclusion les principaux motifs musicaux entendus. Finalement, il cèdera après le long baiser de Christine qui scellera la délivrance des deux amants avant de laisser le héros dissimulé sur son lit disparaitre mystérieusement sous les yeux de ses assaillants n’abandonnant qu’une seule trace : celle de son masque recueilli par les mains de Meg Giry.

Une distribution électrisante autant qu’émouvante

Le compositeur a écrit l’une de ses partitions les plus significatives proche sur le plan musical d’un opéra avec des tessitures qui exigent incontestablement d’autres moyens et d’autres qualités que celles requises pour une comédie musicale « traditionnelle ».

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©Marco Borrelli

L’inamovible Ramin Karimloo incarne le personnage titre, après avoir marqué le 25ème anniversaire de l’ouvrage. L’air fameux de « Music of the Night » émis par la voix puissante qu’on lui connaît avec toutes les nuances piano requises, en font un véritable morceau de bravoure. Sa grandiose interprétation dramatique et vocale reste sans conteste l’une des principales attractions du spectacle. Pour Christine Daaé Lloyd Webber n’a pas hésité à écrire des vocalises aériennes et une partie aigüe tendue. Amelia Milo s’acquitte en fine musicienne de ce rôle de cantatrice dotée d’une voix d’ange avec cet aspect ingénu et juvénile qui en font une Christine Daaé à la fois attachante et émouvante. Vinny Coyle dispose de tous les atouts pour incarner un crédible et séduisant Raoul de Chagny.

Anna Corvino en Carlotta Giudicelli et Gian Luca Pasolini en Ubaldo Piangi, couple de chanteur italiens hauts en couleurs, nécessitant de solides gosiers font merveille dans le pastiche d’une prima donna capricieuse et d’un ténor à la corpulence de Pavarotti, tandis que tous les autres emplois – loin d’être des seconds rôles – se révèlent en tous points dignes d’éloges avec une mention toute particulière pour Earl Capenter ( ici Gilles André) qui pendant des décennies a brillé dans Javert des Misérables comme dans le rôle-titre du Fantôme de l’Opéra.

Mise en scène astucieuse à la fois spectaculaire et intimiste de Federico Bellone (également concepteur des décors) et remarquable orchestre de 16 musiciens sous la direction inspirée de Julio Awad

L’Opéra de Monte-Carlo a fait un magnifique cadeau pour les fêtes de fin d’année à ses spectateurs et le public a largement répondu présent car les 20 représentations se sont joués à guichets fermés.

Christian Jarniat

21 décembre 2023

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© Marco Borrelli

1 L’Opéra de Monte-Carlo a proposé un surtitrage en français et en anglais du Fantôme de L’Opéra

2 Federico Bellone a mis en scène de par le monde nombre de comédies musicales : Sunset Boulevard, Grease, Fame, La famille Addams, Mary Poppins, Charlie et la chocolaterie, The Bodyguard,Sugar, Titanic etc.

3 A l’identique de la récente production de West Side Story au Grimaldi Forum de Monaco ( Actuellement à l’affiche du Théâtre du Châtelet à Paris)

Direction musicale : Julio Awad

Mise en scène et décors : Federico Bellone

Supervision musicale : Giovanni Maria Lori

Chorégraphie : Gillian Bruce

Co-conception des décors : Clara Abbruzzese

Costumes, perruques et maquillages : Chiara Donato

Lumières : Valerio Tiberi

Conception audio : Roc Mateu

Illusions et effets spéciaux : Paolo Carta

Distribution :

The Phantom : Ramin Karimloo

Christine Daaé : Amelia Milo

Raoul, Vicomte de Chagny : Vinny Coyle

Gilles André : Earl Carpenter

Richard Firmin : Ian Mowat

Carlotta Giudicelli : Anna Corvino

UbaldoPiangi : Gian Luca Pasolini

Madame Giry :Alice Mistroni

Meg Giry : Zoe Nochi

Buquet : Matt Bond

Monsieur Lefevre /Don Attilio : Jeremy Rose

Dance Captain : Mark Biocca

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