On ne peut que féliciter très chaleureusement l’Opéra de Marseille et son directeur Maurice Xiberras d’avoir pris l’initiative – à l’occasion du centième anniversaire de la réouverture de la célèbre salle de la cité phocéenne en décembre 1924 après l’incendie destructeur de 1919 – d’offrir au public, en cette journée du 31 décembre, deux concerts (en matinée et en soirée) dont il convient de souligner la gratuité et qui ont attiré, comme on pouvait l’imaginer, nombre de spectateurs qui, heureux de célébrer en musique cette fin d’année 2024, ont rempli l’Opéra (soit plus de 3.500 personnes).
Une parenthèse particulièrement ludique et joyeuse en cette période festive, et qui surtout sortait des sentiers battus des sempiternelles célébrations de fin d’année et du nouvel an où l’on entend souvent égrener les mêmes morceaux musicaux. Ici, en revanche, pour préparer le passage à la nouvelle année, le programme s’avérait original, riche et varié, puisque on pouvait y entendre à la fois des extraits d’opéras, d’opérettes, de comédies musicales ainsi que des chansons et des musiques de films.
Traits communs caractéristiques de ce concert : la réunion d’artistes multidisciplinaires au talent éprouvé et ayant tous un lien avec les théâtres lyriques de Marseille.
L’Orchestre de l’Opéra de Marseille ainsi que les chœurs bénéficiaient de la direction de Didier Benetti dont la baguette est synonyme de « rythme » Ce timbalier solo de l’Orchestre National de France a dirigé maintes comédies musicales comme : L’Homme de la Mancha, My Fair Lady, Sugar (Certains l’aiment chaud) mais aussi nombre d’opérettes. L’Opéra de Marseille l’a accueilli récemment pour L’Auberge du Cheval Blanc et La Veuve Joyeuse et le théâtre de l’Odéon le retrouvera cette saison pour La Belle Hélène et La Mélodie du bonheur. Depuis 2013, il participe à « Musiques en fête » aux Chorégies d’Orange. On apprécie en outre son travail élaboré et subtil d’arrangeur.
Florian Laconi fêtait le lendemain de cette soirée ses 25 ans de carrière (débuts à l’Opéra d’Avignon en 2000). Que de chemin parcouru par ce ténor depuis Les Saltimbanques et le Tsarévitch à l’Opéra de Metz en 2001 !… Invité des grandes scènes lyriques il possède un impressionnant répertoire d’opéras et d’opérettes et il s’est produit à plusieurs reprises au Théâtre de l’Odéon mais aussi à l’Opéra de Marseille notamment la saison dernière dans L’Africaine de Meyerbeer. Il sera au mois d’avril sur cette même scène le protagoniste de Sigurd du compositeur marseillais Ernest Reyer.
Également à l’affiche Laurence Janot qui dansa dans la troupe prestigieuse du ballet de l’Opéra de Paris sous la direction de Rudolf Noureev puis qui, sur les conseils de Gabriel Dussurget, l’emblématique directeur du Festival d’Aix en Provence, se tourna vers l’opéra – après être passée par la case du « musical » avec Cats d’Andrew Lloyd Webber – et se retrouva très vite sur scène dans le rôle-titre de Lucia di Lammermoor aux côtés de Roberto Alagna à l’Opéra d’Avignon puis dans celui d’Elvira dans I Puritani à l’Opéra de Marseille, et divers emplois du répertoire lyrique partageant ainsi son temps entre l’opéra (La Traviata) et l’opérette (La Belle Hélène). On la retrouvera à nouveau dans le rôle de la séduisante reine de Sparte au théâtre de l’Odéon au mois de février.
Autre artiste “multifacettes” qui alterne avec un égal bonheur les rôles de baryton entre autres dans les opéras de Mozart ou de Gounod (et de tant d’autres encore), avec les personnages de comédies musicales : Sébastien Lemoine. ll danse, chante et a enregistré des œuvres de Bernstein ainsi que Bastien dans Ta Bouche de Maurice Yvain, spectacle primé aux Molières en 2005 et dont le DVD fut récompensé par un Diapason d’or. Il fut en outre l’un des membres fondateurs du groupe « Les Stentors » au succès retentissant avec plus d’un million d’albums vendus. Le théâtre de l’Odéon l’accueillera au mois de mai pour La Mélodie du bonheur .
Jean-Claude Calon présente le concert avec autant de classe que d’humour. A la fois acteur de théâtre (familier de Marivaux, Molière et Hugo) et de cinéma (avec notamment quatre films sous la direction de Bertrand Tavernier) ce chanteur lyrique a aussi partagé son temps entre la comédie musicale (Le Comte de Monte Cristo de Michel Legrand) et l’opérette notamment au Théâtre du Châtelet sous la direction de Maurice Lehmann. Son répertoire éclectique comprend des œuvres emblématiques telles que L’Homme de la Mancha, où il a incarné le personnage de Sancho Pança auprès de Jacques Brel. On admire notamment, tout au début du spectacle, son numéro inénarrable de bègue d’une virtuosité étourdissante.
Au programme des œuvres interprétées : Pomp and circumstance d’Edward Elgar avec orchestre et chœur et une marche éminemment populaire considéré comme « l’hymne britannique non officiel », un medley de La Veuve Joyeuse, le chœur du deuxième acte de cette œuvre suivi du « lied de Wylia » par Laurence Janot, puis un extrait de La Danse des heures, ballet de La Gioconda de Ponchielli, l’air du Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach par Florian Laconi, les chœurs enchaînés du Trouvère et de La Traviata de Verdi, le duo de La Veuve Joyeuse entre Missia et Danilo par Laurence Janot et Sébastien Lemoine ce dernier nous gratifiant de surcroît de l’impressionnant monologue de Javert extrait de la comédie musicale Les Misérables tandis que le vaillant « Nessun dorma » de Turandot de Puccini revenait à Florian Laconi, suivi d’une fantaisie de Noël composition de Didier Benetti reprenant dans sa thématique tous les motifs familiers à nos oreilles.
Vint ensuite de larges extraits de comédies musicales comme l’ouverture de Chantons sous la pluie par l’Orchestre, suivi de Un violon sur le toit avec l’air fameux :« Ah si j’étais riche » narré avec une verve succulente par Sébastien Lemoine faisant ici étalage de ses remarquables dons de « diseur », puis un hommage à Michel Legrand avec d’une part, Les Demoiselles de Rochefort et Les Parapluies de Cherbourg où s’illustrèrent en chant /contre-chant le violon-solo, l’alto solo et le violoncelle solo, longuement et fort justement applaudis.
L’un des points culminant de ce concert fut l’air du film de Sergio Leone Il était une fois dans l’Ouest (musique d’Ennio Morricone) chanté magistralement par Laurence Janot et le chœur suivi de la non moins magnifique « Quête » de L’Homme de la Mancha par Sébastien Lemoine, du sirtaki extrait du film Zorba le Grec de Michael Cacoyannis. Florian Laconi coupla ensuite la célèbre mélodie napolitaine « O Sole mio » avec l’inusable « Mexico » du Chanteur de Mexico de Francis Lopez. Quant à Jean-Claude Calon, quel régal que de l’entendre phraser « Quand ça balance » de Michel Legrand » et « Je suis swing »de Johnny Hess ! Laurence Janot à l’instar d’une jazzwoman éprouvée mettait la salle à ses pieds dans un stupéfiant et explosif « New-York New-York » de John Kander et Fred Ebb (à qui l’on doit aussi Cabaret et Chicago) interprété par Liza Minnelli pour le film éponyme de Martin Scorsese (1977). Musique de films encore, avec les thèmes de de Lalo Schifrin pour les séries télévisées Mannix et Mission impossible et un hommage à Charles Aznavour avec « Je me voyais déjà » (Jean-Claude Calon), « La Bohême » (Florian Laconi), « Emmenez-moi » (Laurence Janot) et « Formidable » (Sébastien Lemoine).
Comme il se doit le concert se concluait par l’incontournable brindisi de La Traviata (« Libiam ») mais aussi par l’irrésistible «Galop infernal» que Jacques Offenbach composa pour Orphée aux enfers qui fut ensuite repris aux quatre coins de la planète sous forme de «french cancan» sans conteste le plus connu au monde.
Un moment inoubliable autant qu’euphorique pour célébrer cette fin d’année 2024 consacré par les longs et vibrants applaudissements d’un public subjugué et conquis.
Christian Jarniat
31 décembre 2024
