Plus entendu dans la cité phocéenne depuis 2018, le célèbre « Barbier » s’offre un triomphe largement mérité dans une salle pleine à craquer.
Une mise en scène flamboyante signée Pierre-Emmanuel Rousseau
Quel bonheur de réentendre Le Barbier de Séville, l’une des œuvres du répertoire qui a su conserver à travers le temps toute sa verve, ici présentée dans la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau qui sait lui insuffler un souffle théâtral irrésistible. Fidèle à l’esprit de Beaumarchais, le plateau devient un véritable théâtre en action où les artistes virevoltent avec une énergie communicative. Le public adore.

Dès le lever de rideau, nous sommes transportés à Séville, dans une époque qui, au vu des costumes, est davantage proche du XIXème siècle finissant que celle de la création de l’œuvre. Le décor unique, un grand patio hispano-mauresque, impose son élégance : carreaux aux dégradés de rouge, balcon en fer forgé, bassin central…tout concourt à plonger le spectateur dans une Espagne vibrante et sensuelle. À cette atmosphère s’ajoute la dimension religieuse : procession à la Vierge, pénitents, faux dévots, et la statue de Marie trônant au cœur de la maison, rappelant la force du catholicisme dans la société hispanique.

Les costumes, également signés Pierre-Emmanuel Rousseau, sont un festival de couleurs chatoyantes où le rouge règne en maître. Rosine, quant à elle, se voit offrir une garde-robe somptueuse, mêlant chic et audace, qui restitue au personnage toute la modernité et la liberté qu’elle se doit d’incarner encore aujourd’hui.
Une belle esthétique donc que celle qui prévaut à cette production, et c’est suffisamment rare pour être applaudi sans réserve !

Une direction d’orchestre qui sait ce que diriger Rossini veut dire…
Dès la sinfonia introductive, le ton est donné et la soirée tiendra ses promesses sur le plan orchestral. Certes, le cor solo, un peu cueilli à froid par le malicieux compositeur, dérape brièvement mais l’agilité de l’ensemble est bien d’emblée présente en fosse. À la tête de l’orchestre de l’Opéra, Alessandro Cadario fait partie de cette nouvelle génération de chefs capables de conjuguer respect des traditions et connaissance des études musicologiques rossiniennes en cours depuis la « Rossini Renaissance » des années 1980. Son geste s’inscrit ainsi dans la filiation musicologique d’Alberto Zedda, figure tutélaire du festival de Pesaro, tout en insufflant à la phalange phocéenne une authentique respiration.
Sous sa direction, les pupitres – et particulièrement la petite harmonie – rivalisent d’espièglerie, révélant le brillant mais aussi la mélancolie subtile qui irrigue la partition du « cygne de Pesaro ». Les moments attendus sont au rendez-vous : l’« orage », passage romantique obligé, se déploie avec une maîtrise parfaite des attaques, tandis que les deux concertati conclusifs, réunissant chœur, solistes et orchestre, savent convaincre par leur mise en place impeccable.

Un plateau vocal de belle facture
Chez Rossini, le chœur ne fait pas de la figuration vocale : il commente l’action, soutient la dramaturgie et exige une rigueur stylistique constante, sans emphase inutile. C’est pleinement le cas lors de cette soirée, grâce à la préparation irréprochable de la formation maison par Florent Mayet. Un travail rigoureux et soigné, qui mérite d’être salué.
Distribuer les rôles secondaires chez Rossini n’est jamais chose aisée : à l’instar de Mozart, chacun dispose souvent, ici, d’un air où il doit prouver sa maîtrise de ce que « Bel Canto rossinien » veut dire.

Si c’est tout particulièrement le cas avec le Fiorello de Gilen Goicoechea, dont on connaît la probité stylistique, et l’officier bien chantant de Norbert Dol, on avoue avoir été quelque peu surpris par la manière de chanter Berta chez la soprano franco-roumaine Andreea Soare, voix imposante certes – elle fut récemment Donna Anna au Capitole de Toulouse – mais peu (plus ?) adaptée à cet emploi, malgré un « Il vecchiotto cerca moglie » de bon goût et une vis comica efficace auprès du public.

De la même manière, le rôle de Basilio, qu’il vaut mieux éviter de confondre avec le Commandeur ou Sparafucile, exige une basse rompue à l’art de la colorature, ce qui n’est pas complètement le cas pour Alessio Cacciamani, voix attractive mais, là encore, pas totalement adaptée malgré une incarnation scénique cohérente.
Si Marc Barrard n’a jamais été le baryton-bouffe rossinien que l’on peut avoir à l’esprit, après des années de « Rossini Renaissance », il dispose de suffisamment de rigueur stylistique, de technique et de bon goût pour ne jamais trop en faire et finir par convaincre.

C’est moins le cas, pour nous, du ténor argentin Santiago Ballerini. Si le timbre « di grazia » est plutôt séduisant, la prudence vocale affichée par le chanteur – sans doute liée à un virus de saison l’ayant empêché de chanter pleinement à la Générale – ne faisant entendre aucune pyrotechnie vocale, aucun suraigu attendu, dans une version amputée de l’électrisant « Cessa di più resistere » – un comble tout de même, aujourd’hui ! – limite un peu notre plaisir…mais pas celui d’une salle comble qui lui réserve un triomphe, ce qui, dans tous les cas, est réjouissant !

Faire du célèbre barbier un personnage marginal, souvent flanqué d’une bouteille de rouge, a pu surprendre plus d’un spectateur en ce soir de Première. Pour notre part, c’est surtout l’absence de malice et de luminosité dans le jeu scénique qui nous a souvent manqué chez Vito Priante, un chanteur à la -grande – voix parfaitement projetée, ne faisant qu’une bouchée de son « Largo al factotum » d’entrée, même si le manque de variations dans les couleurs et la vocalise restent un peu en retrait et limitent l’impact global. On sera vivement intéressé de l’entendre dans un autre répertoire, puisque le baryton napolitain lui est familier des emplois donizettiens et verdiens.

Mais c’est, selon nous, l’incarnation de Rosina par Eleonore Pancrazi qui, à elle seule, justifie le déplacement pour cette série de représentations.
En très grande forme vocale, la jeune mezzo ajaccienne signe ici une prise de rôle magistrale. Sans jamais grossir le volume, Eleonore Pancrazi – dont la voix a encore pris de la rondeur depuis notre dernière audition « live » en Preziosilla de « La Forza » à Toulon, la saison dernière – déploie une voix aux graves assurés, au médium charnu, à la morbidezza bienvenue et à l’agilité irréprochable. D’« Una voce poco fa » à la fameuse leçon de chant de l’acte II, c’est un parcours sans faute dont on se réjouit d’autant plus que, dans cette mise en scène, la pupille de Bartolo est tout sauf une sainte nitouche, et prend les choses en main avec une audace réjouissante ! Et, disons-le, quel sex-appeal chez cette Rosina qui, d’ores et déjà, apporte un souffle neuf à l’emploi !
Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas et lui fait un triomphe, comme à l’ensemble de la distribution.
Malgré nos réserves musicologiques, une fort belle soirée.
Hervé Casini
26 décembre 2025
Les artistes
Direction Musicale : Alessandro Cadario
Mise en scène, décors et costumes : Pierre-Emmanuel Rousseau
Lumières : Gilles Gentner
Rosine : Eleonore Pancrazi
Berta : Andreea Soare
Le comte Almaviva : Santiago Ballerini
Figaro : Vito Priante
Le docteur Bartolo : Marc Barrard
Don Basilio : Alessio Cacciamani
Fiorello : Gilen Goicoechea
L’officier : Norbert Dol
Comédiens : Laurent Dallias et Hagop Kalfayan
Orchestre de l’Opéra de Marseille,
Chœur de l’Opéra de Marseille, direction : Florent Mayet
Le programme
Il Barbiere di Siviglia, opéra en deux actes crée à Rome, Teatro Argentina, le 20 février 1816
Musique : Gioacchino Rossini (1792-1868)
Livret : Sterbini d’après Beaumarchais
























