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Opéra de Marseille : Brillante ouverture de la saison avec Norma de Bellini

Opéra de Marseille : Brillante ouverture de la saison avec Norma de Bellini

dimanche 29 septembre 2024

©Christian Dresse

Commémoration du centenaire de la reconstruction du théâtre de l’Opéra de Marseille  

C’est à Marseille qu’il fallait être pour célébrer l’ouverture de la saison de l’Opéra car, au cours de celle-ci, on y fête le centième anniversaire de sa reconstruction.

La première pierre du Grand Théâtre fut posée le 14 juillet 1786 et le bâtiment – construit sur les plans de l’architecte Charles Joaquim Bénard inauguré le 31 octobre 1787.

Le 13 novembre 1919, à l’issue d’une répétition de L’Africaine de Giacomo Meyerbeer, un incendie ravagea la quasi-totalité de l’édifice. Le feu ne laissa subsister de l’ancienne salle de spectacle que les structures extérieures : le péristyle et sa colonnade ainsi que les murs maitres.

Le 16 novembre 1920, la municipalité adopta un ambitieux programme de reconstruction. Pendant les trois ans et demi que durèrent les travaux, sous la direction de Gaston Castel, une équipe d’architectes et d’artistes construisirent une salle de conception typiquement Art déco.

La façade principale, où la colonnade d’époque pré-révolutionnaire se juxtapose au style des années 1920, illustre un ensemble qui constitue « un exemple réussi de l’insertion d’une structure nouvelle dans un édifice ancien».

La nouvelle salle de spectacle fut inaugurée le 3 décembre 1924 en présence du sénateurmaire de la ville, le docteur Siméon Flaissières, avec au programme une représentation du Sigurd d’Ernest Reyer.

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©Christian Dresse

Norma le chef-d’œuvre belcantiste de Bellini dans une production fascinante  

La saison marseillaise s’ouvrait donc sur Norma le chef-d’œuvre de Bellini à propos duquel Richard Wagner écrivait : « J’admire en Norma la veine mélodique la plus abondante, jointe à la plus profonde réalité, à la passion intérieure la plus intime ; une grande partition qui parle au cœur, le travail d’un génie. » Il dirigea d’ailleurs cet ouvrage à Riga en 1837 et en 1839, il écrivit même pour Luigi Lablache un air d’Oroveso : « Norma il predisse, O Druidi » qui ne sera cependant jamais intégré à l’ouvrage. Il n’oubliera pas Norma lorsqu’il écrira le final de Tristan und Isolde.

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©Christian Dresse

Une scénographie à la manière d’une tragédie antique mise en scène par une éminente spécialiste de Racine

L’Opéra de Marseille accueillait pour la circonstance la production du Capitole de Toulouse laquelle affichait en septembre 2019 Marina Rebeka dans le rôle de Norma et Karine Deshayes dans celui d’Adalgisa1 

Pour la scénographie Abel Orain et Hernán Peñuela ont conçu un panneau incliné traversant tout en longueur le plateau tandis qu’à cour et jardin s’élèvent des parois en forme de triangle. Suspendus aux cintres de larges pendrillons en tissu transparent blanc avec incrustation en noir d’arbres stylisés encadrent la scène.

Mine Vergez a dessiné des costumes intemporels avec des coiffes pareilles à des couronnes dorées et pour le narrateur, une énorme paire de ramures de cerf. Elle oppose souvent le noir et le blanc. Initiale blancheur virginale pour Adalgise ensuite vêtue toute de rouge pour l’aveu à Norma de ses amours avec Pollione.

Anne Delbée à la fois comédienne, pléthorique metteuse en scène, écrivaine, directrice de théâtre et de compagnie et grande spécialiste des tragédies raciniennes souligne dans sa note d’intention du programme de salle que « deux univers se font face : l’un poétique, qui s’ouvre sur un monde fantasmagorique, où le mythe celte se déploie et dans lequel (si l’on étudie de près les traditions druidiques) le Grand Cerf blanc, un Dieu pour ces « prêtres » de la forêt, annonce le destin aux humains qui se croisent. Norma irradie de toutes ses visions annonciatricesMême Pollione le romain est hanté par le songe prophétique de son destin. L’autre univers prosaïque est celui où les hommes veulent la guerre et les femmes découvrent la trahison »

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©Christian Dresse

Le Grand Cerf blanc (le comédien Valentin Fruitier) intervient entre les passages musicaux pour annoncer les malheurs susceptibles de s’abattre sur l’univers des hommes en guerre. Il évoque « le passage dans le ciel d’une comète annonciatrice d’horreurs ». Scénographie et mise en scène conjuguent habilement onirisme et symbolisme : en la circonstance les maitres-mots de cette tragédie lyrique. En témoigne la « cérémonie initiatique » au cours de laquelle les guerriers accroupis à genoux les mains posées sur la structure pentue du milieu de la scène entourent leur prêtresse

La vidéo apporte en outre un appoint pertinent notamment pendant l’aria de Norma « Dormono entrambi » où les deux enfants s’égayant dans la nature s’inscrivent habilement dans la scénographie et en parfaite harmonie avec la musique.

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©Christian Dresse

Le somptueux crescendo musical conclusif se révèle « annonciateur de l’ultime traversée, avec à la fin, l’épreuve du feu rédempteur ». Le panneau central incliné se soulève découvrant la barque de Charon pour le suprême voyage sur le Styx ainsi que le cheval sculpté dans le marbre blanc, archétype du psychopompe chargé d’accompagner l’âme des morts vers leur dernière demeure.

Tous les mouvements relativement lents semblent imprimés par un fascinant processus chorégraphique et la direction d’acteurs précise s’accorde pleinement à l’atmosphère hiératique de la scénographie, le tout assorti d’une envoûtante poésie et d’une indéniable élégance surlignée par un remarquable travail sur la lumière (Vinicio Cheli).

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©Christian Dresse

Une distribution de très haute volée et une direction musicale admirable

Karine Deshaye s’investit à Marseille – après Strasbourg – dans « le rôle des rôles » (en prolongement de sa version de concert de Norma au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2022). Un emploi dont il est superfétatoire de souligner la difficulté et la longueur (d’autant que, pour tous les rôles, les « reprises » – qui furent un temps supprimées – ont été rétablies par la vertu de versions critiques). Ainsi aborde-t-elle « Casta Diva » – qui constitue sans doute la plus célèbre « invocation-prière » de l’histoire de l’opéra – comme un lied, presque du bout des lèvres. Là où, sur d’autres passages de l’ouvrage, nombre de cantatrices donnent sans doute un volume plus impérieux à leur voix en osmose avec les impulsions de la prêtresse-guerrière en proie à une jalousie vengeresse, Karine Deshaye fait du personnage de Norma celui d’une femme aimante, sensible, tourmentée et souffrante, une héroïne « introspective » jusqu’au déchirant « Qual cor tradisti » (et donc parfois à l’opposé des opulents éclats d’une Gina Cigna qui chantait outre Norma : Turandot, La Gioconda et Aïda à l’instar de la célébrissime Maria Callas dont les impressionnantes notes graves poitrinées du duo « In mia man alfin tu sei »subjuguent pour l’éternité l’auditeur. Avec Karine Deshaye s’impose d’abord la remarquable technicienne belcantiste pourvue d’une agilité consommée de la colorature doublée d’une parfaite musicienne virtuose (un autre aspect parfaitement concevable de la grande prêtresse des druides). En témoigne l’impressionnant silence révélateur de la profonde attention du public au cours de ses airs ou duos (et ce dans une salle comble de 1800 places) 

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©Christian Dresse

Salomé Jicia possède un répertoire impressionnant ( La Traviata, La Donna del Lago, Sémiramis, Guillaume Tell, La Straniera, Giovanna D’arco, Maria Stuarda, Tosca, Otello, Anna Bolena et encore bien d’autres emplois) Elle chante également le rôle de Norma mais incarne ici Adalgise (a l’instar de Giulia Grisi, la créatrice de ce rôle, mais qui endossait également celui de Norma). La voix de la soprano géorgienne mêle avec bonheur, intensité et chaleur en s’appuyant sur un timbre aussi lumineux que charnel et d’une superbe couleur. Comédienne convaincante autant qu’émouvante ses deux duos avec Norma « Oh ! rimembranza ! » et « Mira ,o Norma » sont indubitablement des moments de grâce de la représentation.

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©Christian Dresse

Habitué de la scène marseillaise, Enea Scala s’y est produit notamment dans Fenton de Falstaff , Rodrigo de La Donna del lago, Roberto de Maria Stuarda, Rinaldo de Armida, Alfredo de La Traviata, le Duc de Mantoue de Rigoletto, Arnold dans Guillaume Tell, Raoul dans Les Huguenots, Riccardo dans Un ballo in maschera .

Ténor rossinien de formation, doté d’un registre grave consistant et d’un aigu rayonnant, il trouve en Pollione le rôle quasi idéal où toutes ses qualités se conjuguent. Le ténor sicilien, issu du Conservatoire de Bologne, se trouve actuellement au zénith de sa carrière, capable de maîtriser nombre d’emplois aussi bien belcantistes que verdiens mais aussi du répertoire du grand opéra français du 19e siècle. Dans cette Norma il éblouit non seulement par l’étendue de ses moyens, son aisance sur la totalité de sa tessiture, l’ardeur dans sa diction, la puissance vocale, la conviction de son interprétation et un charisme exceptionnel.

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©Christian Dresse

Patrick Bolleire précédemment apprécié, in loco, dans Guillaume Tell, l’Enlèvement au sérail et l’Africaine dessine avec sobriété un convaincant Orovese vocalement solide.

En Clotilde Laurence Janot fait montre du professionnalisme qu’on se plaît à lui reconnaître (petit clin d’œil que les amateurs chevronnés d’art lyrique connaissent sans doute : lorsque Maria Callas se produit en Norma au Royal Opéra House de Londres en 1952 le rôle de Clotilde est dévolu à Joan Sutherland !). Marc Larcher, comme à son habitude impeccable, démontre que Flavio vaut beaucoup plus qu’une « utilité».

Une mention toute spéciale pour le chœur de l’Opéra de Marseille excellent dans chacune de ses interventions. A la baguette le directeur musical Michele Spotti dirige avec maestria la partition de Bellini d’une manière particulièrement expressive et dynamique. Nombre de spectateurs ne se sont pas aperçu, lors de la représentation du dimanche après-midi, que, pris sans doute d’un bref malaise, il a été instantanément remplacé par le chef assistant à la toute fin du premier acte, sans que pour autant la continuité musicale de l’ouvrage n’ait été altérée d’une seule note. Prodigieuse substitution !… Michele Spotti revînt après l’entracte et dirigea avec la même ferveur, la même fougue et un sens aigu des contrastes et des nuances l’intégralité du  deuxième acte à la tête d’un excellent Orchestre de l’Opéra de Marseille. Le public lui a réservé une légitime et vibrante ovation.

Triomphe au rideau final pour tous les protagonistes de cet admirable spectacle qui fait honneur à l’Opéra de Marseille.

Christian Jarniat

29 septembre 2024

1 Comme à l’Opéra de Marseille Karine Deshayes sera cette fois ci Norma dans la reprise au Capitole de Toulouse en mars 2025

Direction musicale : Michele SPOTTI
Mise en scène : Anne DELBÉE
Collaboratrice artistique : Emilie DELBÉE
Décors : Abel ORAIN
Sculpteurs : Vincent LIEVORE et Augustin FRISON-ROCHE
Costumes : Mine VERGEZ
Lumières : Vinicio CHELI
Réalisation lumières : Jacopo PANTANI

Distribution :

Norma : Karine DESHAYES
Adalgisa : Salomé JICIA
Clotilda : Laurence JANOT

Pollione : Enea SCALA
Oroveso : Patrick BOLLEIRE
Flavio : Marc LARCHER
Grand cerf : Valentin FRUITIER

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

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