Ce soir-là, une pluie de feuilles et de pétales roses s’était abattue sur la scène de l’Opéra de Limoges. Et c’est au milieu de cette floraison rose que jouèrent les musiciens. Le rose était en l’occurrence la couleur de la campagne si nécessaire de Lutte contre le Cancer du sein. La soirée était organisée avec le soutien de la Banque Populaire.
Au programme figuraient cinq œuvres composées par des femmes. Il est temps de s’intéresser aux femmes compositrices. On les a si longtemps ignorées ! Où étiez-vous donc, dans les siècles passés, femmes qui vous êtes dévouées à la musique ? Vous écriviez, jadis, des pages qu’aucun public n’écoutait. Voilà qu’on vous redécouvre. C’est tant mieux. Vos œuvres éclosent un peu partout, sur de nombreuses scènes, comme le renouveau d’un printemps qui vous est consacré.
Fanny Mendelssohn, d’abord, dont la musique est faite de clartés légères, de respirations, d’élans élégants. On entendit cinq Romances sans paroles, comme des confidences murmurées à une oreille amie. Puis il y eut Clara Schumann, la fervente, la vaillante, dont les Romances ont la même beauté, la même intensité, le même élan que celles de Robert son mari – mais avec une sensibilité toute féminine.
Vint ensuite Rebecca Clarke, et son trio magnifique — œuvre d’une femme qui, pour être entendue, dut en son temps prendre un pseudonyme masculin. Son écriture conciliant modernisme, impressionnisme et lyrisme, mêle la fougue et la brume, la caresse et la vivacité. Ce trio a tout d’un chef-d’œuvre.
Il y eut aussi une œuvre du présent. De Camille Pépin. Cette musique répétitive, faite de pulsations raffinées, traduit l’élégance de la pensée, la précision d’une main sûre — et ce charme conquérant des voix nouvelles.
Il y eut cinq musiciens pour interpréter ces œuvres. On aurait pu attendre cinq femmes. Mais ce fut cinq hommes. Cinq jeunes musiciens, attentifs, minutieux, d’une courtoisie exquise à l’égard des œuvres qui venaient de plumes féminines.
Arthur Hinnenwinkel, au piano, et Vassily Chymkov, au violon, dialoguaient avec grâce et finesse.
Dans le Trio Nebelmeer, qui interpréta la pièce de Clarke, il fallait entendre la virtuosité et la sensibilité individuelle de chaque musicien, le soin qu’ils mettaient à arrondir les phrases et synchroniser les coups d’archet, leur souci d’harmoniser les nuances et de respirer ensemble.
Quand le dernier accord s’éteignit, ce ne fut plus une averse de pétales, mais une pluie de bravos. C’était mérité. Et sur la scène encore couverte de feuilles roses, on aurait pu, avec un peu d’imagination, entrevoir les les silhouettes de ces femmes — Fanny, Clara, Rebecca. Elles étaient heureuses…
André PEYREGNE
14 octobre 2025
NDLR :
La soirée était présentée par André Peyrègne qui vient de publier « Petites Histoires féminines de la grande musique » justement consacré aux femmes oubliées de l’histoire de la musique (éditions Desclée de Brouwer)
©Steve Barek