Olga Monakh arriva au piano dans une robe rouge et noire qui sont les couleurs de l’armée ukrainienne en guerre. Elle avait la tête en ébullition et ses doigts aussi. Elle expliqua que cette robe lui avait été offerte par des amis musiciens qui étaient partis sur le front repousser les attaques russes et qui souhaitaient ainsi, symboliquement, être présents sur scène avec elle. Tout en jouant, elle penserait à eux.
Sous les lambris du salon Empire de l’Hôtel Westminster à Nice, Olga Monakh donnait, ce jour-là, un récital de piano à quatre mains avec son mari le pianiste Nicolas Bringuier – frère de Lionel Bringuier, le jeune nouveau directeur du Philharmonique de Nice.
Ce concert prenait place dans une série de récitals qui ont été créés il y a trente ans par une bienfaitrice de la musique à Nice, Monique Ailhaud et qui sont actuellement organisés par ces musiciens bien connus et fort appréciés que sont Michel et Françoise Lethiec.
Dès le début du concert, l’âme de l’Ukraine fut exaltée au travers d’une œuvre débordante de charme et de romantisme, du grand compositeur ukrainien Mikola Lysenko. Olga Monakh et Nicolas Bringuier étaient à leur affaire dans ce répertoire. Le patriotisme se mêlait au lyrisme. La même flamme brûla tout au long de leur récital. On fut porté par ce souffle d’âme slave qui naissait sous leurs doigts. Ils nous emportèrent dans un tourbillon de Danses slaves de Dvorak, de Danses hongroises de Brahms, dans la Deuxième Rhapsodie hongroise de Liszt ou la Moldau de Smetana. Dans l’oeuvre de Smetana on entendait ruisseler les flots de la Moldau – la rivière qui arrose Prague. Dans la Rhapsodie de Liszt, on imaginait une féerie de danseurs tziganes. Au milieu du concert, ils nous conduisirent sur ce sommet de sérénité et de mélancolie qu’est la Fantaisie de Schubert. Leur duo est admirable, on peut même dire exemplaire. Ils sont brillants, virtuoses, émouvants. Quant à leur complicité, cela va de soi elle est parfaite. Si des organisateurs de concert recherchent deux pianistes à quatre mains, qu’ils n’hésitent pas, voici un couple idéal !
Et tandis que dans le confort luxueux et historique du salon Empire du Westinster, coulait le flot des musiques de Lysenko, Brahms ou Dvorak, là-bas des hommes qui avaient offert sa robe rouge à la pianiste se battaient dans la boue pour défendre leur liberté – une liberté qui est un peu la nôtre. Ainsi va la vie du monde…
André PEYREGNE
11 Février 2024