Quand tous les membres de la secte furent à terre et que la lumière s’éteignit, la salle du Théâtre de Nice explosa en bravos. On venait d’assister à un nouvel opéra qui sera certainement parmi les spectacles lyriques plus forts de la saison sur les scènes françaises : Guru de Laurent Petitgirard.
Il s’agissait de la création française d’un ouvrage dont la première mondiale avait eu lieu en Pologne en 2018.Nous prenons le pari que ce spectacle fera date.
En nette évolution par rapport à son précédent opéra Elephant man , Laurent Petitgirard a réalisé ici une synthèse musicale entre la tradition française issue de Debussy et Ravel et le modernisme de l’écriture contemporaine. Point de mélodies déchirées à la manière sérielle mais un langage fluide qu’on pourrait qualifier de « théâtre chanté ». Le chant se fait au rythme d’une syllabe par note, ce qui le rend le plus intelligible possible. L’orchestre se glisse dans la noirceur du drame, donne un élan à l’action. Les cuivres communiquent leur énergie, les cordes déploient leur volupté ou leur mystère. Les percussions s’activent de toutes parts, font claquer ici un coup de fouet, là un tintement de cloche, un choc de bloc chinois ou encore un éclat de glockenspiel. Plus loin, elles déchaînent un tonnerre de timbales ou de grosse caisse pour donner du corps à la tragédie. Au fond de l’orchestre et de la scène, on distingue le grand cercle cuivré d’un gong (tam-tam), apparu comme un soleil dans la pénombre.
L’histoire est celle d’un gourou qu’une ennemie nommée Marie vient défier dans son île. Le gourou s’appelle « Guru ». Dans cette île, on doit être en manque d’o ! A la fin se déroule un suicide collectif. Le livret a reçu l’aval du juriste et député Georges Fenech, spécialiste des sectes en France, qui, la veille de la représentation, fit un exposé de grande classe sur les dangers du sectarisme.
Admirable, la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz ! Exemplaire est la maîtrise avec laquelle elle traite les déplacements de foule (chœurs, vêtus de noir, formant un cercle tragique autour de l’aube blanche du gourou) ainsi que le jeu individuel des personnages, dont les visages apparaissaient sur un écran. Sous sa direction, les chanteurs deviennent des comédiens. Parmi les images qu’elle a créées, on retiendra celle du gourou au bord de la folie qui jette des cailloux dans une mare comme un enfant égaré.
Guru est chanté par un baryton qui est une révélation : Armando Noguera. Son personnage envoûte ses adeptes, lui envoûte le public. On est touché, à ses côtés, par la très bonne soprano Anaïs Constant, par la mezzo Marie-Ange Todorovitch, bien en voix, bien dans son rôle, par le ténor triomphant Frédéric Diquero et la bonne basse Nika Guliashvili. Il y a aussi Marie. Ce rôle parlé (sur un rythme écrit dans la partition) revient à l’émouvante tragédienne Sonia Petrovna.
Le chœur est excellent. Le Philharmonique de Nice est au mieux de sa forme. Laurent Petitgirard accomplit la prouesse de le diriger en ayant les chanteurs derrière lui. Et tout fonctionne avec la rigueur d’une horlogerie suisse.
Pour saluer ce spectacle, on peut utiliser les deux o qui n’ont pas servi dans Guru et crier bravooo !
André PEYREGNE
20 février 2024
Direction musciale : Laurent Petigirard
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz
Décors et costumes : Rudy Sabounghi
Réalisation vidéo : Julien Soulier
Distribution :
Guru : Armando Noguera
Marie : Sonia Petrovna
Iris : Anaïs Constans
Victor : Frédéric Diquero
Carelli : Nika Guliashvili
Marthe : Marie-Ange Todorovitch
Six adeptes : Rachel Duckett ; Noelia Ibañez ; Aviva Manenti ; Raphael Jardin ;
Eduard Ferenczi Gurban ; Trystan Daguerre
Chœur de l’Opéra de Nice
Orchestre Philharmonique de Nice